À Toulouse, riverains et élus locaux en guerre contre une future usine de goudron de Vinci Autoroutes

La colère monte entre les riverains et Vinci Autoroutes, à Gragnague, au nord de Toulouse, face à la potentielle arrivée d'une usine d'enrobé. Elle pourrait servir à la rénovation d'une partie de l'A68. Mais les probables nuisances environnementales et sanitaires d'une telle installation inquiètent les riverains et les élus locaux. Une crainte accentuée par une possible pérennisation de l'usine en vue de la construction de la future A69, entre Toulouse et Castres.
L'association opposée à la future usine de goudron au nord de Toulouse compte quelques dizaines de membres à l'heure à Toulouse.
L'association opposée à la future usine de goudron au nord de Toulouse compte quelques dizaines de membres à l'heure à Toulouse. (Crédits : Rémi Benoit)

Le bras de fer se poursuit au nord-est de Toulouse entre les riverains et la filiale de Vinci Autoroutes, Eurovia, face à l'arrivée prochaine d'une usine d'enrobage. Dans le cadre de l'entretien des chaussées, Vinci Autoroutes va réaliser entre mai et début septembre 2023, la rénovation des chaussées de l'autoroute A68, sur une section de 17 kilomètres entre Toulouse et Gémil.

 « Il s'agit d'un chantier classique de rénovation des chaussées comme Vinci Autoroutes en mène une dizaine chaque année sur le réseau autoroutier », précise le pôle autoroutes de Vinci, interrogé par La Tribune.

Or, pour mener ce chantier, une usine temporaire de production d'enrobé devra donc être installée non loin du chantier. La société Eurovia Grands Projets France, retenue suite à un appel d'offres, est en charge des travaux et souhaiterait mettre en place cette usine sur une plateforme empierrée existante, située sur le domaine public autoroutier concédé, à proximité immédiate de l'autoroute, sur les communes de Gragnague et de Castelmaurou.

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Des riverains farouchement opposés au projet

Opposés au projet, des riverains de Gragnague et de Castelmaurou se sont rassemblés sous l'association Nature et Vie sur les Coteaux et se dressent contre Vinci Autoroutes et sa filiale à travers plusieurs actions comme des rassemblements ou des pétitions.

« Nous souhaitons porter à l'attention de tous les risques que cette installation engendre, en particulier pour les habitants à proximité, les 368 élèves de l'école située à un kilomètre du site et les 650 élèves (1.700 élèves à terme) du lycée polyvalent Simone de Beauvoir, inauguré en septembre 2022, qui se trouve également à proximité de la zone », s'offusque Julien Guérin, le président de l'association.

Pour comprendre, il faut savoir que l'enrobage est un processus industriel qui implique l'utilisation de produits chimiques et de matériaux polluants, tels que les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les métaux lourds. Reconnues comme cancérigènes par l'OMS et le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC), ces substances sont dangereuses pour la santé humaine.

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Or, selon l'association, Eurovia, n'a pas pris en compte le nouveau lotissement de 300 habitations situé à côté du site. L'association déplore donc le manque de sérieux autour de l'étude d'impacts environnemental et sanitaire présentée dans le dossier pour demander l'autorisation à la préfecture d'exploiter le site. « Il est primordial de considérer ces éléments avant de prendre une décision qui aura des conséquences durables sur notre environnement et sur nos vies », insiste Julien Guérin.

« Pour mener ce type de chantier, des usines spécifiques capables d'atteindre des rendements élevés sont nécessaires pour réduire la durée des chantiers et l'incidence sur la circulation, ce que l'usine fixe de Saint-Jory, déjà évoquée, ne sait pas proposer. Par ailleurs, aucun site ne permet de s'affranchir de la question des nuisances potentielles pour les riverains, qui sont protégés par une procédure réglementaire stricte et le contrôle des installations », se défend la société.

En effet, l'usine de Saint-Jory semble, pour l'association et ses soutiens, être une solution au problème, puisqu'elle se situe à une vingtaine de kilomètres du site de Gragnague. Par ailleurs, Carole Delga, présidente de la région Occitanie, s'est également exprimée sur le sujet à travers une lettre adressée à Pierre Anjolras, le PDG d'Eurovia : « Dans un souci de prévention des risques industriels, je vous demande d'étudier de nouvelles options quant à la localisation de ce projet », a notamment demandé l'élue locale.

« L'utilisation de cette plateforme (à Gragnague) permet d'éviter d'artificialiser un site naturel et de limiter les passages des camions sur le réseau routier local et les nuisances associées grâce à une connexion directe à l'autoroute. Cette proximité permet également de limiter les distances de transport et favoriserait la réduction des émissions de CO2 du chantier. Elle dispose donc d'avantages notables sur le plan de la protection de l'environnement », se défend Vinci Autoroutes.

Une usine classée ICPE

Outre l'aspect sanitaire, les opposants à l'installation de l'usine craignent des répercussions sur l'environnement. ​Et pour cause, les usines de fabrication d'enrobé comptent parmi les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), une distinction qui concerne les sites industriels les plus dangereux sur ce point.

Cette centrale est ainsi qualifiée d'écocide par les riverains. Elle pourrait contribuer à la destruction d'espèces protégées de la faune et de la flore, ainsi qu'à la détérioration d'habitats naturels. Les zones agricoles, dont certaines ont le label agriculture biologique, présentes dans le rayon d'incidence du site, pourraient, elles aussi, avoir des répercussions négatives (contamination des productions et perte d'activité).

L'installation des ICPE est toutefois soumise à des réglementations spécifiques (arrêté ministériel du 9 avril 2019) et autorisée par un arrêté préfectoral qui précise les engagements de l'entreprise pour s'assurer de la protection de l'environnement. Si cet arrêté est pris, l'usine fera alors l'objet de contrôles par un bureau extérieur et indépendant, contrôles qui devraient permettre de s'assurer du bon respect des normes sanitaires et environnementales sur le plan de la protection de l'air, l'eau et du bruit.

La crainte d'une installation pérenne pour les chantiers de l'A69

À l'heure actuelle, la plus grande crainte des riverains reste celle de la pérennisation de l'usine. « Sur d'autres installations du même type, c'est ce qui a l'air de se passer », affirme Julien Guérin. Cette usine pourrait également fournir en enrobé une partie du chantier de l'A69. Didier Cujives, conseiller départemental, également présent lors des manifestations contre la construction de l'A69 à Saïx, le 22 avril dernier, qui s'oppose là aussi contre l'installation de l'usine d'enrobé, assure que l'usine restera pour des travaux supplémentaires.

« Je ne suis pas un dangereux révolutionnaire, je ne m'oppose pas à tout et à n'importe quoi, mais la localisation de cette usine est invraisemblable. J'ai rencontré Vinci, qui m'a affirmé très clairement qu'ils prendront en charge la partie de l'échangeur de l'A68 jusqu'à Verfeil », déclarait-il lors d'un rassemblement devant le site d'Eurovia.

La construction du tronçon de route situé en Haute-Garonne devrait donc être assurée par Vinci Autoroutes sur l'A680 pour doubler ses voies (en vue du chantier de l'A69), là où la partie de l'A69 entre Verfeil et Castres sera assurée par le concessionnaire Atosca et donc son actionnaire principal NGE.

« Nous sommes encore en phase de consultation pour choisir l'entreprise qui réalisera les travaux de l'A680 (entre Castelmaurou et Verfeil) et il est, en effet, possible que la plateforme de Gragnague soit de nouveau utilisée par l'entreprise qui sera retenue, comme base-vie, aire de stockage ou aire d'installation d'une nouvelle usine temporaire, comme d'ailleurs nous en avons informé les habitants », assure Vinci Autoroutes.

Dans ce dernier cas, l'usine fera alors l'objet d'une nouvelle procédure d'autorisation avec consultation du public.

Les communes s'offrent les services d'un avocat

Plusieurs rencontres ont eu lieu entre les représentants des communes concernées et Eurovia. Dans le cadre de la procédure ICPE et de la consultation du public organisée du 15 février au 20 mars, les équipes d'Eurovia et de Vinci ont tenu une permanence à la mairie de Gragnague le 10 mars pour répondre aux questions des riverains. Vinci Autoroutes a par ailleurs procédé à la distribution d'un courrier d'information aux habitants des communes de Gragnague et Castelmaurou.

« Nous n'avons appris l'existence de ce projet que fin janvier à travers l'enquête publique », regrette Diane Esquerre, maire de Castelmaurou. Des élus ont également été reçus à la préfecture de Toulouse, le 14 avril, avec l'objectif de convaincre le préfet de rejeter l'autorisation de mise en service de l'usine d'enrobé.

Afin de poursuivre la lutte contre l'installation de l'usine de goudron, la commune va faire appel à un avocat, Me Faro, familier de ce genre d'affaires, puisqu'il est l'un des avocats de l'ONG Greenpeace.

« Pour l'instant, l'arrêté préfectoral autorisant l'installation de cette usine n'est toujours pas sorti. Donc légalement, elle n'a pas le droit de fonctionner. Nous attendons cette autorisation. Il faudra ensuite regarder ce que contient précisément l'arrêté. Nous ne voulons pas, que sous couvert d'une autorisation provisoire, l'usine fonctionne ad vitam eternam et donc pour le chantier de l'A69 », explique Me Faro.

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