Revenu de base pour les jeunes : le préfet bloque l'expérimentation du département de Haute-Garonne

Le préfet d'Occitanie a bloqué l'expérimentation d'un revenu de base pour les jeunes de 18 à 24 ans menée par le conseil départemental de Haute-Garonne. Menacée d'une accusation de détournement de fonds publics, sans parler du fait que les jeunes bénéficiaires auraient pu être amenés à rembourser l'allocation mensuelle, la collectivité a préféré reculer. Néanmoins, elle n'abandonne pas le dossier.
Georges Méric, le président socialiste du conseil départemental de Haute-Garonne, regrette le refus de l'État de le laisser mener à bien son expérimentation autour du revenu de base pour les jeunes.
Georges Méric, le président socialiste du conseil départemental de Haute-Garonne, regrette le refus de l'État de le laisser mener à bien son expérimentation autour du revenu de base pour les jeunes. (Crédits : Rémi Benoit)

Le conseil départemental de Haute-Garonne "accuse le coup" de l'aveu même de son président socialiste, Georges Méric. La préfecture de Haute-Garonne et d'Occitanie a demandé, par courrier, de retirer la délibération (soumise au vote de l'assemblée de la collectivité le 8 mars pour le vote du budget) portant sur l'expérimentation du revenu de base pour les jeunes. Sollicitée par La Tribune pour avoir des explications sur cette décision, le représentant de l'État met en avant l'illégalité de la démarche.

"Le département a été sensibilisé en amont sur le caractère illégal de la démarche, celle-ci n'étant pas autorisée par la loi au regard de l'article 72 de la constitution. Par la suite, dans le cadre du contrôle de légalité exercé a posteriori, l'illégalité du dispositif projeté a été confirmée", déclare le préfet Étienne Guyot.

"Nous avons fait analyser par plusieurs avocats, les dires de monsieur le préfet, qui est très intelligent dans ses propos (des échanges de courriers ont eu lieu, ndlr). D'après les avocats, il y a un risque réel d'accusation de détournement de fonds publics à l'encontre du président et il y a un risque que les jeunes bénéficiaires de ce revenu de base soient contraints de rembourser l'argent reçue. S'ils doivent rembourser 3.000 euros dans quelques mois, ils n'y arriveront pas...", réagit Georges Méric.

Face notamment à ce second risque présenté par l'élu, le conseil départemental de Haute-Garonne a préféré repousser l'instauration concrète de son revenu de base pour les jeunes. "Nous retirons provisoirement cette délibération, mais nous continuerons à travailler sur ce dossier", prévient Arnaud Simion, le vice-président du conseil départemental de Haute-Garonne, en charge de l'action sociale de proximité, alors que les premiers versements devaient avoir lieu en avril 2022.

"Pas un piège politique"

Pour mémoire, cette expérimentation du revenu de base de Haute-Garonne, d'une durée de 18 mois, aurait coûté neuf millions d'euros à la collectivité sur ses fonds propres. 1.000 jeunes de 18 à 24 ans - ainsi tirés au sort grâce à des bases de données internes - auraient bénéficié d'un revenu de base de 350 à 500 euros par mois, en fonction des revenus fiscaux de référence du foyer de résidence du jeune en question. Un autre groupe témoin, lui aussi de 1.000 jeunes, n'aurait quant à lui pas bénéficié de ce revenu de base afin de faire la comparaison avec le groupe de bénéficiaires. "Nous demandions simplement et uniquement le cadre d'une expérimentation", répète Georges Méric.

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Pour mener à bien cette étude, le conseil départemental avait engagé un travail depuis plusieurs mois avec six chercheurs du laboratoire interdisciplinaire Solidarités, Sociétés et Territoires (LISST) de l'université Jean-Jaurès de Toulouse. En parallèle, la collectivité avait trouvé un accord pour associer à la démarche la chaire Bernard Maris de Sciences Po Toulouse. Cette collaboration, combinée à des échanges et entretiens entre les jeunes impliqués dans l'expérience et les chercheurs, devaient permettre de rendre un rapport étayé sur les apports ou non d'une telle mesure.

"La question de la jeunesse est primordiale. Le revenu de base, s'il avait été expérimenté, peut-être, aurait été un amortisseur aux difficultés sociales de notre société car c'est un revenu d'existence qui une vie décente. Est-ce encore normal qu'en 2022, des jeunes se demandent chaque mois comment ils vont payer leur loyer, comment ils vont s'acheter à manger ou comment ils peuvent s'offrir une connexion internet pour suivre des cours en ligne ? Ce n'était pas un piège politique, ni une démarche électoraliste, c'était un engagement sincère", regrette Arnaud Simion.

"Nous ne voulions pas instaurer une allocation sociale supplémentaire, c'est un projet de transformation de société que nous portions, avec une volonté d'égalité des chances par de l'émancipation sociale", ajoute Georges Méric.

Concurrence avec le CEJ

Par ailleurs, le fait que les bénéficiaires soient tirés au sort est un problème selon la préfecture de Haute-Garonne-Occitanie.

"Si le département ne peut allouer des aides à des bénéficiaires choisis aléatoirement, entraînant un risque de rupture d'égalité, il n'en demeure pas moins qu'il pourrait intervenir, au titre de sa compétence en matière de solidarité et d'action sociale, pour instaurer des aides dédiées à un public spécifique, sur des critères liés à une situation sociale et financière objective. C'est dans cette voie que le département a été orienté pour redéfinir, le cas échéant, son dispositif expérimental en faveur des jeunes de moins de 25 ans", a ajouté le préfet Etienne Guyot.

Bien que tirés au sort, les volontaires devront être représentatifs de l'ensemble des situations existantes sur le territoire départemental, aussi bien au niveau géographique, financier que professionnel. Ils étaient 4.000 jeunes Haut-Garonnais a avoir manifesté leur désir de participer à l'expérience. Un aspect qui encourage la collectivité locale à suivre son combat après les élections présidentielle et législatives, elle qui avait fait du revenu de base pour les jeunes la mesure phare de ce nouveau mandat.

"Les conseils départementaux volontaires sur le sujet reprendront leur lobbying. Nous allons continuer le combat législatif et faire le siège de la future chambre des députés, tout en s'appuyant sur nos forces au Sénat. Nous demandons une loi d'expérimentation pour le revenu de base", martèle Georges Méric.

Mais cette décision de la préfecture et la demande du président du conseil départemental de Haute-Garonne intervient dans un cadre politique particulier. Mardi 1er mars, le Pole Emploi Occitanie et l'antenne régionale des Missions locales ont mis fortement en lumière la signature des premiers Contrat d'Engagement Jeune (CEJ), le "concurrent politique" du revenu de base pour les jeunes porté par une vingtaine de conseils départementaux en France. Le jeune bénéficiaire bénéficie d'un accompagnement personnalisé avec un conseiller dédié, avec 15 à 20 heures d'ateliers et formations par semaine pour construire son projet d'insertion professionnelle, en l'échange d'une allocation mensuelle pouvant aller jusqu'à 500 euros.

CEJ

CEJ

Pole Emploi Occitanie et le réseau régional des Missions locales ont signé les premiers CEJ au début du mois de mars, à Toulouse (Crédits : Rémi Benoit).

Une centaine de contrats de ce type a déjà été signée en une semaine sur le département de Haute-Garonne. "157 conseillers ont été formés pour ce nouveau dispositif dédié aux jeunes et nous avons déjà 3.100 jeunes qui ont manifesté leur intérêt pour signer un CEJ", fait savoir Christophe Carol, le directeur adjoint du Pole Emploi Occitanie. "663.00 jeunes en Occitanie ont entre 16 et 25 ans et 20% n'ont ni formation, ni emploi ou ne sont pas scolarisés. Ce sont eux la cible du CEJ", ajoute Christophe Lerouge, le directeur de la DREETS. L'État espère signer plus de 33.000 Contrats d'Engagement Jeune en Occitanie rien qu'en 2022, il n'est donc pour l'heure pas question de faire de l'ombre à cette initiative sociale avec le revenu de base pour les jeunes défendu par des départements socialistes...

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