
"Une prouesse technologique incroyable", "une avancée significative", "un pas gigantesque". Les mots ne manquent pas au Professeur Jean-Pierre Delord pour décrire une première en France, voire en Europe et même au niveau mondial. L'Institut Universitaire du Cancer de Toulouse (IUCT) - Oncopole, dont il est le directeur général, a annoncé jeudi 21 janvier la mise au point d'un vaccin individualisé contre le cancer.
Concrètement, un premier patient français atteint d'un cancer ORL a pu bénéficier du vaccin individualisé TG4050, le 15 janvier, dans le cadre d'un essai de phase 1 mené à l'établissement toulousain spécialisé dans la recherche contre le cancer. Conçue par la biotech Transgene, basée dans l'Alsace, l'immunothérapie TG4050 utilise un principe de vaccination thérapeutique individualisée. Pour mémoire, en cancérologie, les immunothérapies consistent à modifier le fonctionnement du système immunitaire pour lui permettre de reconnaître et détruire les cellules tumorales.
"Chaque patient a sa propre signature d'antigène (macromolécule permettant le déclenchement d'une réponse immunitaire, ndlr). Alors, grâce à un algorithme à base d'intelligence artificielle et de deep learning, nous comparons les plus de trois milliards de paires de base (caractéristiques, ndlr) d'une cellule normale et d'une cellule cancéreuse d'un patient. Autrement dit, nous séquençons la totalité de l'ADN de ces cellules cancéreuses et des cellules normales. Ainsi, nous sommes capables de créer un répertoire des mutations génétiques, qui sont à l'origine des 'néo-antigènes' disposés à la surface des cellules cancéreuses. En sélectionnant une trentaine de ces mutations, nous sommes capables de créer un vaccin personnalisé en l'espace de trois mois, qui permet d'immuniser le patient contre 'les propres erreurs' créées dans ses cellules en s'attaquant aux protéines de ses cellules devenues anormales", explique précisément à La Tribune le Professeur Jean-Pierre Delord, qui collabore avec le Professeur Christophe Le Tourneau (Institut Curie à Paris) sur cette étude.
Le Professeur Jean-Pierre Delord est le directeur général de l'IUCT-Oncopole (Crédits : IUCT).
Au maximum une vingtaine de patients concernés en 2021
Par conséquent, cette démarche scientifique expérimentale est avant tout un vaccin thérapeutique, et non pas préventif, ce qui signifie que "la maladie est déjà là", tient à préciser le scientifique. Dans le cas du patient toulousain, celui-ci a été opéré puis a suivi des séances de radiothérapies et c'est dans ce laps de temps que le vaccin unique a été produit par la société Transgene, avant qu'il lui soit administré. Une fois injecté, le traitement permet de réveiller les lymphocytes T présents dans les globules blancs, "comme tueur" s'amuse à dire le directeur général de l'IUCT-Oncopole, car ce sont eux qui vont tuer les cellules cancérigènes. Désormais, l'objectif est de montrer l'innocuité de ce traitement et prouver que le corps du patient a développé une réponse immunitaire.
"Les patients concernés vont nous donner leurs globules blancs. Dans ces derniers, nous devrons trouver des lymphocytes T immunisés contre le cancer traité dans ces cellules. En apportant la preuve scientifique irréfutable qui le prouve, alors nous aurons démontré que nous pouvons immuniser les patients contre leurs propres cancers en déclenchant une réponse immunitaire", expose le directeur général de l'IUCT-Oncopole.
Le Professeur Maha Ayyoub, immunologiste, et l'unité de recherche clinique, qui travaillent à Toulouse aux côtés de Jean-Pierre Delord sur le projet espèrent atteindre cet objectif d'ici 2022. D'ici là, ces professionnels de santé comptent "vacciner 12 à 20 personnes d'ici la fin de l'année 2021". Mais pour le moment, "nous observons avec attention le déroulement de l'essai et espérons prouver le déclenchement d'une réponse immunitaire", explique le Professeur Delord à propos du premier patient.
Chaque patient aura son propre vaccin (Crédits : IUCT).
Pas efficace sur tous les cancers
Cependant, si ce rythme volontairement lent et cette prudence s'expliquent par le fait que le projet est encore à une "phase très expérimentale", cette innovation ne pourra pas être le remède miracle à tous les cancers.
"C'est un vaccin qui peut soigner sept catégories de cancers, qui présentent des néo-antigènes. À contrario, nous savons qu'il y a des cancers qui se créent avec très peu de mutations sur les cellules et qui, par conséquent, ne peuvent être reconnus par le système immunitaire. Nous les appelons les tumeurs froides", tient-il à souligner afin d'éviter de susciter tout faux espoir chez certains patients.
Néanmoins, le Professeur Delord estime à "au moins 33%" la proportion de cancers qui pourraient être guéris par ce vaccin innovant. Ainsi, c'est un vrai espoir pour des patients atteints de cancers des poumons, du tube digestif ou ORL, pour ne citer que ces exemples...
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