Comment Toulouse veut devenir un leader de l’intelligence artificielle

La Ville rose est en lice pour accueillir un institut dédié à l’IA. Elle mise sur sa maîtrise de l’intelligence artificielle hybride et la force de son industrie aéronautique et automobile.
Renault a ouvert à Toulouse un centre de recherche sur la voiture connectée.

Toulouse parviendra-t-elle à décrocher son institut interdisciplinaire d'intelligence artificielle (3IA) ? La Ville rose fait partie, aux côtés de Grenoble, Nice et Paris, des quatre sites présélectionnés par le gouvernement en novembre dernier pour accueillir un tel établissement. Une initiative en réponse à l'appel à manifestation d'intérêt initié par le député et mathématicien Cédric Villani, qui plaidait dans son rapport sur l'IA, publié en mars 2018, pour la création d'« un réseau de recherche d'excellence ». Les villes lauréates se partageront une enveloppe globale de 100 millions d'euros de financements de l'État.

À Toulouse, c'est l'Université fédérale qui porte le projet baptisé Aniti (Artificial and Natural Intelligence Toulouse Institute). La particularité de la candidature du Sud-Ouest est de miser sur l'IA hydride. Alors que les Gafa prônent le deep learning et le machine learning, des approches très performantes mais dont les résultats sont peu robustesToulouse est l'un des seuls pôles universitaires en France à mener des recherches sur l'IA hybride. Il s'agit de construire des règles via une IA symbolique pour rendre les résultats stables tout en intégrant la puissance de calcul du deep learning.

Intégrer le « deep learning »

« Le deep learning pose un problème de robustesse. Le système apprend par exemple à reconnaître une vache avec 20 000 photos d'animaux. Mais si l'on change quelques pixels de l'image, la machine peut en déduire que c'est un fusil. Cela pose un enjeu de sécurité informatique. Supposons qu'un avion ou une voiture autonome utilise un système d'IA, il est possible de tromper le système de manière invisible à l'œil nu et le véhicule ne verra pas un pilier en béton sur une autoroute ou un autre avion à éviter. Avec l'IA hybride, nous pouvons instaurer des contraintes absolues comme maintenir une vitesse de vol sécurisée ou prévenir la tour de contrôle en cas de problème », décrit Nicholas Asher, directeur scientifique du projet.

« Aller défier Google en créant un meilleur joueur de go n'aurait pas de sens. En revanche, Toulouse est le leader mondial en matière de transport aérien et les industriels ont un réel besoin d'IA dans les transports, notamment pour les véhicules sans chauffeur. » poursuit le directeur.

Un projet soutenu par les industriels

Pas étonnant, donc, de retrouver parmi les partenaires du projet Aniti les grands donneurs d'ordre de l'aéronautique et du spatial (Airbus, Thales, le pôle de compétitivité Aerospace Valley) mais aussi l'industrie automobile avec Actia, Continental qui travaille avec Météo-France sur des alertes pour la voiture de demain, ou encore Renault qui a implanté à Toulouse son centre de recherche dédié à la voiture connectée et autonome. « Il est clair que les transports est le secteur prioritaire de notre projet mais nous avons des forces dans d'autres domaines », souligne Philippe Raimbault, le président de l'Université fédérale. Sept thèmes ont été identifiés : l'exploitation des données, l'acceptabilité de l'IA (ce qui englobe les questions éthiques, de modèle économique et juridique), les véhicules autonomes, la robotique et les assistants virtuels, l'usine du futur, l'agriculture durable et enfin les biotechnologies.

« Notre recherche en santé n'est pas très forte. Dans le classement de Shanghai, Toulouse et Montpellier ne figurent pas dans les 200 premières villes mondiales. En revanche, dans les soins, le CHU de Toulouse est régulièrement dans le top 3 des hôpitaux. De même, l'Occitanie est la première région mondiale de production de vin. Or, avec la transformation climatique, les périodes de très fortes précipitations vont augmenter, ainsi que les périodes de sécheresse. L'IA sera nécessaire dans la gestion de l'eau pour développer des plantes moins sensibles à la sécheresse ou prédire les précipitations », souligne de son côté Christian Desmoulins, académicien des technologies.

Si la plupart des grands groupes ont lancé une réflexion sur l'IA, beaucoup d'entreprises restent prudentes. D'après une étude menée par EY en partenariat avec le cluster régional Digital113 et le Syntec numérique, seuls 10 % des éditeurs de logiciels d'Occitanie placent l'IA comme priorité technologique, bien loin derrière le passage au cloud. « Pour l'instant il y a quelques expériences mais surtout beaucoup de com' autour de l'intelligence artificielle. C'est une technologie très coûteuse par rapport aux investissements demandés », estime Pascal Grémiaux, fondateur d'Eurécia, spécialisée dans des solutions logicielles pour la gestion RH.

« Il faudrait un afflux massif de financement dans l'IA et arrêter de saupoudrer. Dans le même temps, les Chinois me ent plusieurs dizaines de milliards sur le sujet », pointe de son côté Jean-Nicolas Piotrowski, président du spécialiste de la cybersécurité ITrust qui a lancé un centre de recherches sur l'IA.

Former et conserver les talents en IA

 Une poignée d'entreprises a également émergé dans le domaine de chatbots à l'image d'Inbenta, Synapse et Gogowego. L'ambition du projet Aniti est de créer une centaine de startups sur l'IA. Pour y parvenir, un plan de formation massif est envisagé. « Nous allons doubler le nombre de personnes formées d'ici à 2023. Cela passe par la création de formations à tous les niveaux, du bac + 2 au doctorat. Nous allons aussi intégrer des modules IA dans des filières non liées directement à cette thématique. Si le manageur de demain a fait une école de commerce mais n'a pas intégré l'impact de l'IA sur les métiers qu'il dirige, il aura un problème, pointe Philippe Raimbault. Pour la formation continue, nous avons défini quatre catégories de métiers (data scientist, consultant, ingénieur/développeur, manageur) avec des programmes réalisés dans l'entreprise via des enseignements à distance et un peu de présentiel à l'université. » Des formations imaginées avec la trentaine d'entreprises partenaires qui se sont engagées à mettre plus de 20 millions d'euros dans le projet.

D'autres acteurs de l'écosystème toulousain entendent se positionner sur ce créneau très prometteur. À l'image de la communauté de startups AtHome qui planche sur un programme de conférences pendant trois ans et de la formation technique à destination des entreprises. De son côté, la datascientist Alexia Audevart, qui conseille notamment Airbus et Pierre Fabre via sa société Datactik, veut « proposer des programmes de formation à destination des managers, accompagnée de professionnels de l'IA et des applications de métiers ».

Fuite des cerveaux

Restera aussi à trouver comment garder à Toulouse ces talents formés à l'IA. La Ville rose n'est pas épargnée par le phénomène de « fuite des cerveaux » vers les États-Unis, comme en témoigne le parcours du chercheur toulousain Luc Julia, cocréateur de l'application Siri d'Apple avant de rejoindre Samsung (lire l'entretien pages 10-11). « Nous ne pouvons pas concurrencer les Gafa au niveau des salaires mais ce n'est pas Google qui va sauver la planète. Toulouse y travaillera à sa façon avec des systèmes appliqués à la météo, etc. », relève Nicholas Asher. Le coordinateur du projet Aniti, Mohamed Kaâniche, abonde : « À partir du moment où l'on fait de Toulouse le cœur de l'activité IA avec les grands acteurs des systèmes critiques, tous les jeunes formés voudront rester. »

La Ville rose compte aussi devenir le centre névralgique des enjeux liés à l'acceptabilité sociale de l'intelligence artificielle avec notamment de la médiation scientifique auprès du grand public. « L'IA a connu plusieurs hivers et pourrait en connaître un nouveau si un mouvement comme les "gilets jaunes" émergeait en réaction à l'IA, par crainte de pertes d'emplois », note Nicholas Asher. « L'acceptabilité sociale se joue sur la confiance. Si les gens ne comprennent pas la technologie, le premier réflexe est de se protéger », complète Mohamed Kaâniche. L'avenir dira si cette stratégie axée sur une quête de sens autour de l'IA sera gagnante.

L'Université sera auditionnée le 11 avril prochain par un jury international. Elle espère une réponse de l'État dans la foulée pour recruter les meilleurs talents et éviter qu'ils ne partent vers d'autres horizons.


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