Partage des données : Comment créer la confiance chez les utilisateurs ?

Fondamentale dans les relations commerciales, la confiance reste à renforcer dans un monde numérique qui utilise de plus en plus les données des utilisateurs. Pour contribuer à cette thématique, l'éditeur toulousain Berger-Levrault a mis en place un conseil scientifique et multiplie ses relations avec le milieu universitaire. Entretien avec Mustapha Derras, directeur de l'innovation chez Berger-Levrault.
Mustapha Derras
Mustapha Derras (Crédits : Rémi Benoit)

Pourquoi l'éditeur Berger-Levrault s'intéresse-t-il à la confiance numérique ?

La période facile de l'informatique et du numérique est terminée. La grande époque des 40 dernières années avec des solutions gestion basique compta, paye, RH facturation etc. C'est passé. Nous arrivons à un moment de l'histoire où l'on va devoir mettre en place de nouveaux échanges qui impliquent le partage de données. Cela va nous toucher jusque dans nos habitudes les plus intimes, dans nos vies de citoyens, nos façon de penser la politique et nos relations aux institutions. Ce mouvement vers l'informatique la plus distribuée qui soit nécessite l'établissement de critères de confiance.

Pourquoi ?

Parce que jusqu'à présent, il y avait des tiers de confiance. Les signatures électroniques sont par exemple certifiées par Certinomis ou Chambersign, etc. Dans cette informatique de masse, on ne peut plus imaginer un modèle qui centralise tout. Il est physiquement impossible et numériquement trop complexe d'équiper les 7 milliards d'humains de certificats même s'il y a des travaux européens sur l'identité numérique.

Or, si on ne peut pas établir un modèle fondé sur la confiance, on n'aura pas de modèle économique, ni de transaction dans le monde économique et social.

La confiance a énormément de sens. En mathématique, c'est un calcul de distance entre deux valeurs. Évaluer la confiance dans une mesure, c'est déterminer sa fiabilité et sa précision. Socialement, c'est la relation entre les gens. C'est une valeur complexe.

Quand je m'adresse à ma mairie pour une formalité administrative, j'ai une confiance par défaut envers cette institution. Par contre, si la mairie délègue son service à un acteur tiers, je vais m'en méfier. C'est pourtant infondé. On est dans le psychologique.

Ce débat sur la confiance est à rapprocher de celui sur l'éthique dans le domaine des sciences biomédicales. Il y a 20 ans, on s'est rendu compte qu'on pourrait faire n'importe quoi dans le domaine de la manipulation de l'ADN, clonage, etc. On s'est demandé si on pouvait cloner les gens, ce qu'est un clone, son statut, etc.

Quelles sont vos actions pour développer la confiance numérique ?

Depuis 2009, nous organisons des universités d'été avec nos salariés et nos utilisateurs pour prendre de la hauteur sur ces sujets qui ont forcément des retombées économiques. Nous avons fait appel à Milad Doueihi, qui se définit comme un humaniste du numérique. C'est un universitaire de renom qui a enseigné à Havard, à Princeton, etc. Il a une chaire d'humanisme numérique à la Sorbonne. Cet historien et philosophe nous accompagne dans notre projet en tant que président du Conseil scientifique de Berger-Levrault pour animer ces thématiques, notamment sur la confiance numérique.

Depuis quand travaillez-vous sur ces sujets?

La réflexion a commencé fin 2011 lors du lancement de notre plan BL 2020. Cela pris corps en 2014 lors de la création du conseil scientifique. Cette année, nous avons signé un partenariat de deux ans avec l'École normale supérieure. Jacaopo Domenicucci, un étudiant en dernière année de Centrale va commencer sa thèse autour de la confiance du numérique dans nos locaux. Il est inscrit dans le programme de recherche que nous finançons. Il réfléchit avec nos différents contributeurs pour publier un livre sur ce thème début 2017.

Concrètement, avez-vous des pistes ?

Nous avons des pistes sur l'exploitation de la donnée. L'open data et les mégadonnées, c'est très bien. Mais il n'y a pas beaucoup d'applications. Quel service peut-on apporter au citoyen, de manière sécurisée et pérenne ? Quelles données va-t-il nous envoyer avec confiance ?

Il s'agit de poser un cadre. De se poser les questions. Avons-nous le droit d'utiliser les données des clients en leur faisant signer un bout de papier ? Pendant combien de temps ? Il y a-t-il un droit à l'oubli ?

Ce sont des questions de fonds qu'il faut que l'on aborde sans laisser les Gafas statuer sur ce qui peut se faire. Il faut rester européens.

C'est une spécificité européenne de se poser ces questions ?

L'Europe est issue des Lumières. Nous ne sommes pas des technicistes ou des solutionnistes. Nous sommes réfractaires au webcentrisme à l'anglo-saxonne. Nous voulons protéger notre vie privée et notre capacité à être des citoyens acteurs et non des consommateurs de notre propre data. L'Europe a sorti une première législation là-dessus.

Je constate que le monde anglo-saxon se pose beaucoup moins de questions et lâche plus de choses. Les lois sont construites différemment. Leurs us et coutumes l'emportent. Ils ont tendance à réagir après que les choses soient faites. Cela donne l'impression qu'ils sont plus efficaces et rapides que nous.

Nous sommes issus d'un humanisme globalisé. Nous nous posons les questions avant d'agir. Nous passons pour les derniers de la classe car nous réfléchissons avant de faire. Mais à la fin, ils s'inspirent de ce que nous avons fait. Les réflexions sur le bioéthique sont d'origine européenne. Celles sur l'open source aussi. On a produit plus de 80 % de l'open source de la planète parce qu'on s'est posé les questions de fonds plutôt que de partir sur des solutions commerciales à la Oracle, Microsoft et compagnie. Aujourd'hui, les plateformes sont américaines et quand on demande à quelqu'un ce qu'est l'open source, on dit que c'est américain, alors que c'est faux. C'est européen.

Quelles sont vos attentes en menant ses réflexions ?

Nous ne sommes pas dans une réflexion béate. Berger-Levrault et les métiers que nous adressons sont très tournés vers l'intérêt collectif. Mais tant que nous n'aurons pas abordé ces sujets, nos marchés vont rester verrouillés : ils n'iront pas facilement vers l'open data et l'internet des objets. Nos marchés historiques dans les institutions territoriales et les maisons de santé et de soin vont rester en attente d'une réflexion de fond sur tout cela.

Quelle est votre place dans l'écosystème?

Nous sommes un influenceur en tant qu'acteur de l'écosystème. Une personne de la Cnil fait partie de notre conseil scientifique. La Cnil commence à sortir des réglementations. Nous contribuons au débat en mettant en contact les différents acteurs. Réfléchir à cette thématique nous donne un coup d'avance.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.