La saga des promesses non tenues du voyagiste Fram

Repris fin 2015 par le groupe Karavel-Promovacances, le voyagiste toulousain Fram évolue depuis dans un contexte social compliqué. Malgré un redressement économique qui semble amorcé, le repreneur n’a pas respecté tous ses engagements. Enquête.
Que devient le voyagiste toulousain Fram ? (Crédits : Rémi Benoit).

Dans la Ville rose, le voyagiste Fram est un symbole de la florissante économie toulousaine. Tout habitant originaire de la quatrième ville de France connaît son nom. Néanmoins, depuis quelques années, ce totem a perdu de son aura en raison de ses difficultés économiques qui n'ont pas laissé indifférente la filière française du tourisme. Et pour cause, l'entreprise a connu un véritable effritement de son chiffre d'affaires, passant de 410 millions d'euros fin 2010 à 275 millions d'euros à la fin de l'année 2014. Plusieurs raisons expliquent la chute. Tout d'abord, l'entreprise fondée en 1949 n'est jamais parvenue à prendre le tournant du numérique. Il faut ajouter à cela le Printemps arabe dans les pays de la partie nord du continent africain - un marché très important pour Fram - sans oublier des conflits de gouvernance entre des actionnaires familiaux. Ces maux ont alors mené le navire Fram et ses 1 200 salariés (dont 680 rien qu'en France) à l'abîme le 29 octobre 2015. Ce jour-là, après plusieurs mois d'in- certitude sur son avenir et une hypothétique reprise par des investisseurs chinois, Fram dépose le bilan auprès du tribunal de commerce de Toulouse. Cette juridiction tente alors de trou- ver un repreneur via la procédure du prepack cession.

"Pour les non Toulousains, l'affaire Fram est connue grâce à l'utilisation pour la première fois en France du prepack cession, dispositif inspiré du droit américain. Cette procédure, censée confidentielle, doit ainsi permettre de limiter la mauvaise presse et la panique des distributeurs autour de l'entreprise en difficulté et par conséquent éviter de faire baisser sa valeur. Surtout, un conciliateur indépendant nommé au préalable doit sonder et trouver assez rapidement des repreneurs potentiels, tout en maintenant la confidentialité de la procédure, décrypte Laura Sautonie-Laguionie, professeur à l'université de Bordeaux et spécialiste du droit des entreprises en difficulté.

À l'issue de la procédure, le 25 novembre 2015, le tribunal de commerce toulousain retient l'offre de dix millions d'euros présentée par les entreprises Voyages Invest et Phoenix, filiales de LBO France, l'actionnaire principal, à l'époque, du groupe Karavel-Promovacances. Néanmoins, ce repreneur ne tiendrait pas certains de ses engagements pris auprès de la juridiction toulousaine, notamment en ce qui concerne l'emploi. Ainsi, il était prévu que soient repris 429 salariés en CDI, ce qui a été fait. Seulement, depuis le début de l'année 2016, Fram connaît une hécatombe au sein de ses effectifs. Selon des documents internes, hors fins de CDD, Fram a enregistré sur les années 2016 et 2017 une quarantaine de départs par démission, une trentaine via des licenciements non économiques et plus de 60 par ruptures conventionnelles, sans compter la trentaine de départs au cours de l'année passée.

Des effectifs en chute

Autrement dit, en trois ans, le voyagiste toulousain a été confronté à plus de 150 départs, compensés seulement par près de 70 embauches sur les trois dernières années. Actuellement, l'entreprise compte 250 CDI, ce qui est loin des engagements initiaux.

"Nous sommes revenus à la première offre du repreneur voire même moins... Par conséquent, plusieurs services tournent à flux tendus et nous sommes en sous-effectif", peste un salarié en poste depuis une dizaine d'années.

Effectivement, dans une première offre de reprise, avant de l'améliorer quelques jours plus tard, LBO France et le groupe Karavel-Promovacances présidé par Alain de Mendonça s'étaient engagés à reprendre 356 salariés en CDI. Un tel nombre de départs peut-il s'apparenter à un PSE [Plan de sauvegarde de l'emploi, ndlr] déguisé ? D'autant plus que les entreprises de plus de 50 salariés ont des quotas à respecter notamment en ce qui concerne les ruptures conventionnelles ?

"Elles permettent, grâce à un échange de consentements entre le salarié et l'entreprise, de mettre fin à un CDI en échange d'indemnités, chaque convention doit ensuite être validée par l'inspection du travail. Mais comme tout dispositif qui a vocation à donner de la souplesse et de la flexisécurité, il peut engendrer des situations frauduleuses. Ainsi, la Direccte peut effectuer des contrôles plus poussés dans des entreprises s'il y a un faisceau d'indices concordants émettant l'hypothèse d'un plan social déguisé. Par exemple, nous allons regarder si les ruptures conventionnelles sont enregistrées sur une période courte, ou si elles concernent une tranche d'âge spécifique. Néanmoins, les représentants du personnel d'une société peuvent également saisir la Direccte en cas de soupçon", explique Jean-Marc Royer, le directeur délégué de l'unité départementale de Haute-Garonne de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).

Au-delà de la diminution alarmante des effectifs, c'est le contexte social dans lequel ils évoluent qui irrite en interne et qui a déjà provoqué des mouvements de grève ponctuels depuis la reprise. Comme le fait savoir un tract récent émanant du comité d'entreprise, les tickets-restaurants ont été supprimés, tout comme l'abondement PEE/Perco, l'accord sur l'aménagement du temps de travail, la prise en charge des trois premiers jours d'arrêt maladie et la retraite complémentaire cadres et assimilés cadres. "En moyenne, un salarié a perdu 2 000 euros de revenus annuels entre l'an- cien Fram et le nouveau", regrette un autre membre du personnel.

"La famille Colson [les anciens propriétaires] entretenait une politique d'entreprise familiale voire paternaliste à l'égard de leurs salariés. Mais avec Karavel, ils sont passés à une politique d'entreprise de la nouvelle économie, basée sur le résultat et l'efficacité", analyse Jean-Pierre Mas, président des Entre- prises du voyage (EdV), l'ex-Snav.

Les mécanismes de surveillance

Rien de surprenant quand l'objectif des repreneurs est de redresser une entreprise qui a enregistré près de 30 millions d'euros de perte sur son dernier exercice. Et ce n'est pas la seule décision que LBO et Karavel ont pris dans ce sens. Ces derniers se sont séparés de la filiale Fram Nature, un camping cinq étoiles à Soustons (Landes), rachetée six millions d'euros par Sandaya. Néanmoins cette cession a été réalisée au début de l'année 2017, selon des articles publiés dans la presse spécialisée, soit un peu plus de 12 mois après la reprise alors que le vainqueur de la procédure du prepack cession s'était engagé à ne pas s'en séparer dans les 24 mois suivant la reprise. En cas de non-respect d'engagements pris auprès du tribunal de commerce, existe-t-il alors des moyens de les faire respecter ?

"Il y a des mécanismes de surveillance, comme l'article L.642-11 du Code du commerce. Cet article prévoit que le liquidateur judiciaire chargé du dossier et qui veille à la bonne mise en œuvre du plan de reprise, puisse stopper la reprise en cas de non-respect des engagements pris par le repreneur en saisissant le tribunal de commerce. Dans ce cas, le prix payé par le cessionnaire reste acquis en faveur des créanciers et une nouvelle procédure collective est ouverte. Cet article peut être utilisé par tout intéressé, par le ministère public, le tribunal de commerce ou un créancier également", ajoute Laura Sautonie-Laguionie.

Néanmoins, son aboutissement potentiel en cas d'activation semble peu probable. Le président du tribunal de commerce de Toulouse disant "privilégier la pérennité d'une entreprise à la faveur d'engagements antérieurs". Surtout, cette procédure pourrait fragiliser une entreprise sur le chemin de la renaissance, après avoir connu entre-temps un changement d'actionnaire principal avec l'arrivée du fonds Equistone en avril 2018 au détriment de LBO. Selon les derniers chiffres connus, Fram a réalisé un chiffre d'affaires de 160 millions d'euros en 2018, pour des pertes estimées entre 5 et 6 millions d'euros. Contactée, la direction du voyagiste toulousain n'a pas donné suite à nos sollicitations.

Lire aussi : Les remous sociaux de Fram au grand jour

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Commentaire 1
à écrit le 03/06/2019 à 19:37
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si les agnces veulent aller mieux il faut former leur personnel que ce ne soit pas juste des distributeurs de catalogues

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