Armement : les Forges de Tarbes, seul fournisseur français de corps d'obus de 155 mm pour l'Ukraine, ont-elles arrêté la production ?

Les Forges de Tarbes, seule entreprise française capable de produire des corps d'obus, sont-elles dans la tourmente ? Bien que très sollicitée par la guerre en Ukraine, la société a fait le choix, pendant un certain temps, de stopper ses approvisionnements en acier chrome. Le groupe Europlasma, propriétaire du site, se veut rassurant et assure respecter ses objectifs de livraisons, tout comme ses promesses d'investissement. La Direction générale de l'armement a envoyé une délégation sur place et le ministre des Armées est attendu sur site dans un futur proche.
Les Forges de Tarbes, fournisseur de corps d'obus pour l'Ukraine notamment, a stoppé son approvisionnement en matière première un certain temps.
Les Forges de Tarbes, fournisseur de corps d'obus pour l'Ukraine notamment, a stoppé son approvisionnement en matière première un certain temps. (Crédits : Rémi Benoit)

C'est un dossier qui interpelle jusqu'au ministère des Armées. « L'outil de travail est dégradé donc l'inquiétude des salariés est là », confie Julie Perriguey, la responsable départementale de la CGT dans les Hautes-Pyrénées, à propos des Forges de Tarbes. Ce site industriel de 26.000 m2 est le seul en France à disposer des compétences nécessaires pour produire des corps d'obus. Sa chaîne de production est donc mise à rude épreuve pour honorer les promesses de livraison d'obus à l'Ukraine par la France, les Forges de Tarbes produisant des obus de 155 millimètres (conformes aux standards de l'Otan) qui approvisionnent les désormais célèbres canons français Caesar.

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Face à cette alerte, les équipes du ministre Sébastien Lecornu n'ont pas caché « travailler étroitement avec les Forges de Tarbes », qualifiant l'entreprise de « maillon essentiel de la production d'obus d'artillerie », dans un communiqué daté du 14 mars. Ce même document souligne qu'une délégation de la Direction générale de l'Armement (DGA) s'est rendue sur place « récemment ».

« Nous nous posons la question du devenir de cette usine (...) Il n'y a toujours pas eu les investissements promis pour améliorer les conditions de travail des salariés et augmenter les cadences de production », ajoute l'élue syndicale.

Bras de fer social

Depuis plusieurs mois, une partie des 60 collaborateurs du site est même engagée dans un bras de fer social face à la direction de l'usine, multipliant les mobilisations sous forme de grèves et débrayages. Une contestation qui a pris une tout autre ampleur à la suite de l'arrêt des approvisionnements en matière première, un acier au chrome fourni depuis Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) par Ascometal, depuis environ un mois.

« Ces approvisionnements vont reprendre, promet Jérôme Garnache-Creuillot, le PDG d'Europlasma qui a repris les Forges de Tarbes en 2021. Il y a eu du bruit car j'ai décidé d'arrêter de faire venir de la matière première pendant un temps. Nous avons peut-être une forge en capacité de sortir 300.000 pièces d'obus à l'année mais c'est une vieille mémère alors dans l'immédiat, nous ne pouvons sortir que 80.000 unités à l'année. Je ne vais pas acheter de la matière première pour 300.000 obus alors que j'en ai besoin que de 80.000. On dirait de moi que je suis un dirigeant qui ne sait pas gérer et surtout, cela nous confronterait à des problèmes de stockage, de sécurité et de trésorerie. »

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Une visite du ministre des Armées prévue

Cette pause dans l'approvisionnement a-t-elle ralenti ou stoppé la production de corps d'obus pour l'Ukraine ? Le PDG se veut très ferme à ce sujet : « La production ne s'est jamais arrêtée », promet-il auprès de La Tribune, en soulignant que les opérateurs avaient suffisamment d'encours à disposition pour travailler. Une affirmation légèrement nuancée par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, à l'occasion d'une audition devant la commission de défense de l'Assemblée nationale fin février : « Ils ont des difficultés en ce moment mais les carnets de commande, me dit-on, eux sont pleins ». La direction d'Europlasma concède tout de même qu'il y a eu quelques courts arrêts de certaines étapes de la production, notamment pour des raisons de maintenance de machines, mais l'activité de l'usine quant à elle n'a jamais été stoppée.

« Nous avons livré plus de 10.000 pièces depuis le début de l'année 2024. (...) Nous sommes totalement dans les clous de notre plan de montée en puissance prévisionnel. Notre engagement est d'avoir la capacité de fournir 160.000 corps d'obus par année, à partir de courant 2025 », insiste Jérôme Garnache-Creuillot.

« Selon les dirigeants de l'entreprise, l'interruption de production ne remet pas en cause l'atteinte des objectifs de production de l'année », ajoute le ministère des Armées.

Après « cette agitation organisée », selon le PDG d'Europlasma, les acteurs du dossier veulent désormais se tourner vers l'avenir. Dans l'entourage du ministre, on assure même que les Forges de Tarbes est « une affaire qui roule » à présent. Mais comme dit l'expression, la confiance n'exclut pas le contrôle... Une visite sur place de Sébastien Lecornu est donc bien dans les cartons, voire d'Emmanuel Chiva, le délégué général pour l'armement, dans les prochaines semaines. « La date n'est pas encore arrêtée », précise le cabinet du ministre des Armées.

Sébastien Lecornu s'est déjà rendu en Occitanie récemment, pour visiter l'usine de Delair, qui produit des drones d'observation pour l'armée ukrainienne depuis Toulouse, soit 300 au total. À l'occasion de cette visite, fin février, le membre du gouvernement avait aussi annoncé la livraison prochaine de drones kamikazes, pour la France et l'Ukraine, conçus par Delair, avec pour sous-traitant Nexter, client numéro des Forges de Tarbes.

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La DGA doit se rendre prochainement sur place

Si une nouvelle billeuse a, par exemple, été installée récemment dans l'usine tarbaise, avant deux nouveaux tours d'usinage qui seront fonctionnels avant fin mars, Europlasma promet toujours la tenue d'un plan d'investissement global de 12,3 millions d'euros, sur trois ans. Bien que la CGT exprime des inquiétudes sur sa réalisation, le propriétaire de l'usine d'armement rejette l'idée de pouvoir aller plus vite.

« Le plan d'investissement a été validé par la DGA en août 2023 seulement. Après cela, il a fallu établir un cahier des charges technique très exigeant, faire le design des machines et publier les appels d'offres, avant de choisir les fournisseurs, ce qui est fait désormais. Des machines sont arrivées, d'autres vont arriver et nous allons avancer. Mais transformer une usine en six mois, c'est impossible, je n'ai pas une baguette magique. Il faut avoir conscience que nous avons récupéré un outil de production complètement flingué ! », se défend le PDG.

Au-delà des ressources humaines, cette somme doit permettre « d'éliminer progressivement les goulots d'étranglement présents sur l'ensemble de la chaîne de production ». Cette somme va particulièrement servir à automatiser le site, mais aussi moderniser la phase préliminaire de chauffe des ballotins d'acier dans un souci d'efficacité industrielle et énergétique. Cet apport financier doit enfin permettre de produire d'autres types d'obus, à des degrés de précision différents de ceux commandés par Nexter, toujours en 155 millimètres.

« Le plan d'amélioration des capacités de production se poursuit avec pour objectif que la société ne soit pas le facteur limitant de l'augmentation de la production des munitions du canon Caesar, laquelle fait intervenir plusieurs industriels », commente le ministère des Armées à ce propos, lui qui va assurer plus de 7 millions d'euros du plan d'investissement, une fois que 80% des investissements auront été réalisés.

Une délégation de la DGA est attendue une nouvelle fois sur place dans les prochains jours, d'après les équipes de Sébastien Lecornu. Sollicitée par La Tribune sur les raisons de cette nouvelle visite, celle-ci n'avait pas encore donné suite à nos interrogations à l'heure où ces lignes sont écrites.

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Commentaires 21
à écrit le 21/03/2024 à 18:18
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Suis absolument sidérée que toutes ces infos soient publiées. Plus personne ne sait ce qu'est un secret défense??

le 21/03/2024 à 21:02
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D'accord avec vous. Il faut éviter de donner des infos d'identification, localisation, etc... On peut parler de cette question et mentir sur les noms propres ... Pour la bonne cause...

à écrit le 21/03/2024 à 18:17
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Suis absolument sidérée que toutes ces infos soient publiées. Plus personne ne sait ce qu'est un secret défense??

à écrit le 20/03/2024 à 13:37
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Bonjour, bon ils est regrettable que notre pays soit dépendant de quelque industrielle pour produire des munitions d'artillerie... Personnellement, je suis pour la mise en places d'un système économique ou l'état est propriétaire de l'entreprise a...

à écrit le 20/03/2024 à 11:24
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Voilà c'est très clair. On voit l'Europe sortir des "plans de financement" pour passer des commandes.. Un plan de financement, c'est certes nécessaire, mais ca ne fabrique aucun obus. C'est donc un outil industriel ( une usine quoi) qu'il nous f...

à écrit le 20/03/2024 à 10:57
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Après s'être fabriquée son propre ennemi - puisqu'on ne devrait plus avoir le droit d'ignorer qu'une guerre revêt (aussi) cette faculté de tout lui mettre sur le dos (politique de la terre brûlée) - la France de demain pourra toujours partir au front...

à écrit le 20/03/2024 à 10:40
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"une partie des 60 collaborateurs du site" Le collaborateur libéral exerce son activité en toute indépendance, sans lien de subordination tandis que le collaborateur salarié est sous la hiérarchie administrative de son employeur .Tout salarié est ...

à écrit le 20/03/2024 à 10:37
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Pendant ce temps : Jusqu’à présent, si certaines entreprises pouvaient accorder des congés aux salariés en arrêt maladie d’origine non professionnelle, cela n’était ni une obligation pour les entreprises, ni un droit pour les salariés.Pour se mett...

à écrit le 20/03/2024 à 10:01
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Les obus de 155 mn c'est bien connu 😂 mn = minute mm = millimètres

à écrit le 20/03/2024 à 9:40
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Bonjour, bon l'outil industriel est dégradée. ... Bon depuis 50 ans des investissements sur la chaîne de fabrication ne sont pas importants, ensuite les machines ne doivent pas être trops fatiguée car , elle ons produit peut d'obus.... Non, nous avo...

le 20/03/2024 à 9:58
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Sachant qu'en plus en 1938 1939 le Petit Père des Peuples avait envoyé ses consignes de sabotages à ses relais de transmission en Europe de l'Ouest. Nos canons fabriqués en 1938 1939 ont été sabotés à l'acide par certains ouvriers encartés des arsen...

à écrit le 20/03/2024 à 9:28
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Pour éviter une guerre que nous plus les moyens de nous offrir, je propose de capituler sans combattre; Notre vainqueur sera peut-être compatissant. Si, en temps de paix, nous avons de la peine à trouver des créanciers, imaginez trouver des prêteurs ...

le 21/03/2024 à 5:35
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@henry. Il n'y a qu'à se tourner vers l'Allemagne qui produira ces obus au lieu de poursuivre cette croisade pour fournir aux ukrainiens tout ce qu'ils demandent en ruinant la France qui ne peut pas tout faire sauf à ruiner nos enfants pour des décen...

le 21/03/2024 à 8:27
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ça c'est dans la veine de la propagande russe! On ne cède pas à un dictateur qui s'il devait nous envahir, nous transformerait en esclave et on ne ce soucierait pas d'investissement et de créances!

à écrit le 20/03/2024 à 9:27
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2 aciéries en France, une usine de 60 salariés pour fabriquer les corps d'obus de 155, la poudre à canon importée de Chine 😕si on doit faire la guerre un de ces jours pour satisfaire notre président matamore elle ne durera pas longtemps avant qu'on c...

à écrit le 20/03/2024 à 9:15
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Tout cela est d'une tristesse totale. Que les administrations et entreprises ne soient pas capables de s'aligner pour faire monter la cadence à 300 000 pièces par an en quelques mois est bien plus explicite sur l'Etat de déliquescence de notre tissu...

à écrit le 20/03/2024 à 8:50
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bon, y a certainement eu des commandes que l'etat a oublie de payer, c'est un grand classique.......tout comme les syndicats, qui exigent de la reindustrialisation pour pouvoir prendre les gens en otages

le 20/03/2024 à 10:05
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L'Etat ou bien un grand groupe, les sous-traitants étant particulièrement maltraités en France et c'est pour ça que les jeunes aspirent le plus souvent à travailler idéalement certaines professions libérales protégées (les plus lucratives), ou bien d...

à écrit le 20/03/2024 à 8:32
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Ils sont bien gentils les Ukrainiens, mais ce sont des kings du chantage affectif, et ça marche impec, il faut le dire, auprès de nos élites (et des autres aussi, qui sont nettement moins brillants) toujours en quête de bonne conscience. On pourrait...

le 20/03/2024 à 9:04
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On est mal, patron. Acier au chrome en provenance de Fos/mer, donc aciéries pouvant facilement être détruites par des missiles, idem pour Dunkerque. Poudre d'artillerie dont certains composants chimiques viennent de Chine. En 1914-1918, nos aciéries ...

le 20/03/2024 à 10:33
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CGT c'est PCF(shut faut pas le dire) c'est Poutine c'est blocage comme en 39-41... Où la CGT s'abotait les usines françaises pour retarder la production

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