C'est un dossier qui interpelle jusqu'au ministère des Armées. « L'outil de travail est dégradé donc l'inquiétude des salariés est là », confie Julie Perriguey, la responsable départementale de la CGT dans les Hautes-Pyrénées, à propos des Forges de Tarbes. Ce site industriel de 26.000 m2 est le seul en France à disposer des compétences nécessaires pour produire des corps d'obus. Sa chaîne de production est donc mise à rude épreuve pour honorer les promesses de livraison d'obus à l'Ukraine par la France, les Forges de Tarbes produisant des obus de 155 millimètres (conformes aux standards de l'Otan) qui approvisionnent les désormais célèbres canons français Caesar.
Face à cette alerte, les équipes du ministre Sébastien Lecornu n'ont pas caché « travailler étroitement avec les Forges de Tarbes », qualifiant l'entreprise de « maillon essentiel de la production d'obus d'artillerie », dans un communiqué daté du 14 mars. Ce même document souligne qu'une délégation de la Direction générale de l'Armement (DGA) s'est rendue sur place « récemment ».
« Nous nous posons la question du devenir de cette usine (...) Il n'y a toujours pas eu les investissements promis pour améliorer les conditions de travail des salariés et augmenter les cadences de production », ajoute l'élue syndicale.
Bras de fer social
Depuis plusieurs mois, une partie des 60 collaborateurs du site est même engagée dans un bras de fer social face à la direction de l'usine, multipliant les mobilisations sous forme de grèves et débrayages. Une contestation qui a pris une tout autre ampleur à la suite de l'arrêt des approvisionnements en matière première, un acier au chrome fourni depuis Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) par Ascometal, depuis environ un mois.
« Ces approvisionnements vont reprendre, promet Jérôme Garnache-Creuillot, le PDG d'Europlasma qui a repris les Forges de Tarbes en 2021. Il y a eu du bruit car j'ai décidé d'arrêter de faire venir de la matière première pendant un temps. Nous avons peut-être une forge en capacité de sortir 300.000 pièces d'obus à l'année mais c'est une vieille mémère alors dans l'immédiat, nous ne pouvons sortir que 80.000 unités à l'année. Je ne vais pas acheter de la matière première pour 300.000 obus alors que j'en ai besoin que de 80.000. On dirait de moi que je suis un dirigeant qui ne sait pas gérer et surtout, cela nous confronterait à des problèmes de stockage, de sécurité et de trésorerie. »
Une visite du ministre des Armées prévue
Cette pause dans l'approvisionnement a-t-elle ralenti ou stoppé la production de corps d'obus pour l'Ukraine ? Le PDG se veut très ferme à ce sujet : « La production ne s'est jamais arrêtée », promet-il auprès de La Tribune, en soulignant que les opérateurs avaient suffisamment d'encours à disposition pour travailler. Une affirmation légèrement nuancée par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, à l'occasion d'une audition devant la commission de défense de l'Assemblée nationale fin février : « Ils ont des difficultés en ce moment mais les carnets de commande, me dit-on, eux sont pleins ». La direction d'Europlasma concède tout de même qu'il y a eu quelques courts arrêts de certaines étapes de la production, notamment pour des raisons de maintenance de machines, mais l'activité de l'usine quant à elle n'a jamais été stoppée.
« Nous avons livré plus de 10.000 pièces depuis le début de l'année 2024. (...) Nous sommes totalement dans les clous de notre plan de montée en puissance prévisionnel. Notre engagement est d'avoir la capacité de fournir 160.000 corps d'obus par année, à partir de courant 2025 », insiste Jérôme Garnache-Creuillot.
« Selon les dirigeants de l'entreprise, l'interruption de production ne remet pas en cause l'atteinte des objectifs de production de l'année », ajoute le ministère des Armées.
Après « cette agitation organisée », selon le PDG d'Europlasma, les acteurs du dossier veulent désormais se tourner vers l'avenir. Dans l'entourage du ministre, on assure même que les Forges de Tarbes est « une affaire qui roule » à présent. Mais comme dit l'expression, la confiance n'exclut pas le contrôle... Une visite sur place de Sébastien Lecornu est donc bien dans les cartons, voire d'Emmanuel Chiva, le délégué général pour l'armement, dans les prochaines semaines. « La date n'est pas encore arrêtée », précise le cabinet du ministre des Armées.
Sébastien Lecornu s'est déjà rendu en Occitanie récemment, pour visiter l'usine de Delair, qui produit des drones d'observation pour l'armée ukrainienne depuis Toulouse, soit 300 au total. À l'occasion de cette visite, fin février, le membre du gouvernement avait aussi annoncé la livraison prochaine de drones kamikazes, pour la France et l'Ukraine, conçus par Delair, avec pour sous-traitant Nexter, client numéro des Forges de Tarbes.
La DGA doit se rendre prochainement sur place
Si une nouvelle billeuse a, par exemple, été installée récemment dans l'usine tarbaise, avant deux nouveaux tours d'usinage qui seront fonctionnels avant fin mars, Europlasma promet toujours la tenue d'un plan d'investissement global de 12,3 millions d'euros, sur trois ans. Bien que la CGT exprime des inquiétudes sur sa réalisation, le propriétaire de l'usine d'armement rejette l'idée de pouvoir aller plus vite.
« Le plan d'investissement a été validé par la DGA en août 2023 seulement. Après cela, il a fallu établir un cahier des charges technique très exigeant, faire le design des machines et publier les appels d'offres, avant de choisir les fournisseurs, ce qui est fait désormais. Des machines sont arrivées, d'autres vont arriver et nous allons avancer. Mais transformer une usine en six mois, c'est impossible, je n'ai pas une baguette magique. Il faut avoir conscience que nous avons récupéré un outil de production complètement flingué ! », se défend le PDG.
Au-delà des ressources humaines, cette somme doit permettre « d'éliminer progressivement les goulots d'étranglement présents sur l'ensemble de la chaîne de production ». Cette somme va particulièrement servir à automatiser le site, mais aussi moderniser la phase préliminaire de chauffe des ballotins d'acier dans un souci d'efficacité industrielle et énergétique. Cet apport financier doit enfin permettre de produire d'autres types d'obus, à des degrés de précision différents de ceux commandés par Nexter, toujours en 155 millimètres.
« Le plan d'amélioration des capacités de production se poursuit avec pour objectif que la société ne soit pas le facteur limitant de l'augmentation de la production des munitions du canon Caesar, laquelle fait intervenir plusieurs industriels », commente le ministère des Armées à ce propos, lui qui va assurer plus de 7 millions d'euros du plan d'investissement, une fois que 80% des investissements auront été réalisés.
Une délégation de la DGA est attendue une nouvelle fois sur place dans les prochains jours, d'après les équipes de Sébastien Lecornu. Sollicitée par La Tribune sur les raisons de cette nouvelle visite, celle-ci n'avait pas encore donné suite à nos interrogations à l'heure où ces lignes sont écrites.
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