Réindustrialisation pharmaceutique : la stratégie de l'Occitanie et de la France à l'envers ?

La France peut-elle redevenir une puissance mondiale dans l'industrie pharmaceutique ? Au regard des multiples projets et investissements menés en Occitanie, et dans d'autres régions, tout semble possible. Seulement, les acteurs de la filière - invités à débattre sur le sujet à Toulouse jeudi 21 septembre dans le cadre de l'événement Transformons La France organisé par La Tribune - sont loin d'être satisfaits par la stratégie gouvernementale mise en place sur la souveraineté sanitaire. Entre mauvaises priorités, crainte d'une souveraineté partielle et suppression de formations clés, le chemin pour y parvenir s'annonce encore long. Les détails.
Vincent Huraux, le directeur des opérations pour les Laboratoires Pierre Fabre regrette la stratégie de « souveraineté partielle » de la France en matière de production pharmaceutique.
Vincent Huraux, le directeur des opérations pour les Laboratoires Pierre Fabre regrette la stratégie de « souveraineté partielle » de la France en matière de production pharmaceutique. (Crédits : Rémi Benoit)

« Le plus grand ennemi de la réindustrialisation pharmaceutique, c'est la France elle- même », lâche Alain Sainsot, le président de GTP Bioways. Entre mauvaises priorités et tensions sur les ressources humaines, la volonté des pouvoirs publics français de redevenir une puissance pharmaceutique est pour le moment encore un voeu pieux pour de nombreux acteurs de la filière. Certains d'entre eux étaient ainsi invités par La Tribune à débattre, à Toulouse jeudi 21 septembre, de l'état de santé actuel de l'industrie pharmaceutique, à l'occasion de l'événement Transformons La France au regard des nombreuses actualités sur le sujet. Pas plus tard qu'en juin dernier, le président Emmanuel Macron avait notamment présenté au cours d'un déplacement dans l'Ardèche un plan de relocalisation en France de 50 médicaments jugés critiques avec une première enveloppe de soutien à hauteur de 50 millions d'euros.

« Nous faisons beaucoup d'investissements, nécessaires, je ne remets pas en cause cela, mais il nous manque aujourd'hui tout un pan de la filière, qui est partie à l'étranger. On s'inscrit donc dans une souveraineté partielle pour le moment (...) On peut produire la partie finale d'un médicament en France oui, mais si pour ce faire nous dépendons toujours de fournisseurs étrangers voire très lointains, comme c'est souvent le cas en chimie et bien c'est une souveraineté partielle (...) Nous faisons le plus facile pour l'instant, mais ce n'est pas suffisant », analyse Vincent Huraux, le directeur des opérations des Laboratoires Pierre Fabre.

Ce grand groupe pharmaceutique, qui concentre 70% de son activité en Occitanie et qui produit 90% de ses principes actifs en France, fait partie du G5 Santé. Cette structure, qui réunit les huit industriels français du secteur qui ont une démarche volontariste sur la souveraineté sanitaire du pays, préconise une autre priorité au gouvernement.

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(Crédits : Rémi Benoit.)

« La Chine et l'Inde sont des grands participants à la chaîne de production pharmaceutique. S'il y a un événement géopolitique, ce sera problématique, d'autant plus que ce sont des pays lointains. Avec le G5 Santé, nous portons la volonté de recréer un socle en France. Il faut investir sur l'ensemble de la chaîne de valeur, et pas seulement le maillon final, et notamment aller chercher ce qu'il nous manque comme certains composants chimiques clés. Nous estimons à un milliard d'euros d'investissement le retour de cette filière », poursuit le directeur des opérations.

Entre hausse du coût du travail et baisse des prix des médicaments, la viabilité économique a été mise à rude épreuve ces dernières décennies, au profit d'autres pays et continents comme l'Asie. Pour certains, le retour d'une filière pharmaceutique forte passera aussi par l'acceptabilité sociétale de l'industrie.

« Les usines, c'est bien, mais plutôt chez les voisins...Il y a des procédés assez sensibles en matière d'environnement et de sécurité et donc certains préfèrent les voir ailleurs, donc tout un pan de notre industrie pharmaceutique est partie. Mais l'épisode Covid a été un révélateur de ces manques malgré nos alertes par le passé. Maintenant, nous sommes au pied du mur et face à un constat extrêmement compliqué, encore pire en chimie qu'en biologie. La souveraineté en biologie est, peut-être plus facile à envisager qu'en chimie », ajoute quant à lui Alain Sainsot.

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Alain Sainsot vient de mener des investissements importants à Toulouse, pour doubler sa production pharmaceutique biologique (Crédits : Rémi Benoit).

Des dizaines de millions d'euros injectées dans la pharmaceutique en Occitanie

Avec son entreprise, GTP Bioways, l'entrepreneur vient d'investir 12 millions d'euros pour l'installation de deux lignes de production pharmaceutique et 40 emplois à la clé. Spécialisées dans la production de protéines recombinantes, les équipes de GTP Bioways sont avant tout des prestataires pour le monde pharmaceutique. Au sein de la filière, il s'agit d'un CDMO, c'est-à-dire qu'ils accompagnent leurs clients dans l'industrialisation d'une molécule jusqu'à la production des premiers lots pour les essais cliniques.

Lire aussiRéindustrialisation : GTP Bioways installe deux nouvelles lignes de production pharmaceutique à Toulouse

À quelques centaines de mètres de leurs locaux flambant neufs à vol d'oiseau, autour de l'Oncopole, c'est le groupe allemand Evotec qui a aussi fait parler de lui deux ans en arrière avec l'annonce de la construction d'une usine de productions de médicaments biosimilaires dans la Ville rose, contre 150 millions d'euros dont 50 millions d'euros de subventions apportées par l'État et les collectivités locales.

« Nous avons posé la première pierre en septembre dernier. Aujourd'hui, le bâtiment est sorti de terre et nous attaquons la dernière ligne droite, à savoir installer les équipements et commencer les qualifications, pour pouvoir produire au premier trimestre 2025 », précise Zahia Hannas, la vice-présidente d'Evotec, responsable de la conception et du design des process de production.

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Zahia Hannas estime qu'Evotec pourra lancer sa production de médicaments biosimilaires à Toulouse au début de l'année 2025 (Crédits : Rémi Benoit).

Au-delà de ses quelques opérations de croissance externe, le groupe Pierre Fabre s'est aussi démarqué en investissant une quinzaine de millions d'euros sur son site de Gaillac  (Tarn) ces trois dernières années. C'est une usine clé dans l'organisation du groupe régionale, étant une usine de principe actifs chimiques. « Elle est très stratégique car elle nous permet d'intervenir assez tôt dans la chaîne de valeur », commente Vincent Huraux.

Lire aussiGaillac, ce site du groupe Pierre Fabre plus que jamais stratégique

Dans l'ombre de cette émulation occitane autour du rapatriement de certaines productions pharmaceutiques, comme dans d'autres régions de France, certains acteurs tirent leur épingle du jeu. C'est particulièrement le cas de la société LDI, installée à Lourdes (Hautes-Pyrénées). « Nous fournissons à ces acteurs des consommables pour produire des médicaments et des vaccins, ou autre. Nous sommes spécialisés dans la production d'équipements pour réaliser du transfert aseptique, afin de ne pas altérer une cellule, une molécule, etc. Notre action consiste à réduire les coûts de production voire éliminer certaines phases en apportant de la flexibilité. L'idée est que les lignes de production servent à plusieurs produits et pas un seul », commente le CEO de la structure Cédric Lambert, qui jouit d'une croissance à deux chiffres actuellement. La PME, qui emploie une douzaine de salariés actuellement, cherche à lever près de deux millions d'euros pour se structurer commercialement et gonfler ses exportations.

La formation, un point faible

Malgré cette dynamique réjouissante sur le papier, l'Occitanie ne figure qu'au septième rang des régions de France, avec seulement 6% de la production pharmaceutique française, selon des chiffres proposés par Pierre Fabre. Soit très loin derrière l'Île-de-France (30%) et Auvergne-Rhône-Alpes (17%). Surtout, la formation n'est pas au rendez-vous à en croire ces acteurs.

« Nous nous sommes installés à Toulouse pour bénéficier de compétences locales, avec notamment la proximité de l'Oncopole. Il y aussi beaucoup d'universités à Toulouse comme l'Insa, ou la faculté de pharmacie. Mais nous sommes quand même obligés d'aller chercher des ressources humaines à l'international », regrette Zahia Hannas d'Evotec. « Quand nous publions une annonce d'emploi, nous avons très peu de candidatures voire aucune. Alors, nous sommes obligés de prendre des personnes sans expérience et nous faisons le choix de les former en interne, au fonctionnement d'une salle blanche », etc, ajoute Cédric Lambert.

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Cédric Lambert, le CEO de LDI, veut gonfler sa clientèle internationale dans un avenir proche (Crédits : Rémi Benoit).

Preuve que c'est un point faible du territoire, plusieurs acteurs de la filière regrettent dans les coulisses que la future usine du groupe allemand (150 emplois), provoque des tensions dans la filière sur le plan humain. Pour répondre à ses besoins, Evotec a aspiré beaucoup de talents présents dans les PME locales. Mais ces dernières ne jettent pas la pierre sur cette entreprise et pointent plutôt du doigt le manque de flair des collectivités locales sur ce sujet.

« Cette arrivée aurait dû être anticipée sur le plan éducatif avec de la formation supplémentaire ! Nous souffrons tous sans exception d'un manque de techniciens. Au final, je suis sûr que le projet d'Evotec génère zéro création nette d'emplois sur le bassin de Toulouse tellement que les tensions sont fortes (assise à côté, Zahia Hannas ne dément pas, ndlr). Ce n'est pas normal qu'un projet avec 150 emplois déstabilise un écosystème, mais c'est révélateur des manques de ce territoire. C'est plus facile de recruter un directeur administratif et financier qu'un technicien, c'est inconcevable », peste Alain Sainsot.

Dans la continuité de ces témoignages, la filière régionale regrette, par exemple, que le lycée Déodat de Séverac, à Toulouse, stoppe sa formation pour former les futurs conducteurs d'industries chimiques. Un choix qui paraît incompréhensible au regard des tendances industrielles du moment.

« Chez Pierre Fabre, nous regrettons cette décision car nous étions un grand client. La formation dans une région, c'est fondamentale et nous regrettons de ne pas être plus aidés que cela sur ce point en Occitanie. Nous allons nous substituer à cette formation avec une organisation tripartite avec deux partenaires pour former des talents », tance Vincent Huraux.

Actuellement, les acteurs invités à débattre par La Tribune travaillent en coulisse pour favoriser l'installation à Toulouse de l'IMT de Tours, une école spécialisée dans les métiers de production pour les industries pharmaceutiques, cosmétiques et biotechnologiques. Une étape désormais indispensable, au risque que la France soit une fausse puissance pharmaceutique.

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Commentaire 1
à écrit le 22/09/2023 à 14:41
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la France était en 2021 le 4e exportateur mondial de médicaments (Pourquoi la Suisse est en manque de produits pharmaceutiques, Swissinfo, 23/03/2023).

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