Intermodalité avion-train : ce qui coince selon une étude de BearingPoint

De par les enjeux économiques, pendant trop longtemps le transport ferroviaire et le transport aérien ont été opposés. Aujourd'hui, face aux enjeux climatiques, l'enjeu serait plutôt de les associer. Mais le chemin s'annonce complexe à en croire une étude du cabinet BearingPoint.
L'aéroport Toulouse-Blagnac ne bénéficie d'aucune connexion directe à la gare SNCF de Toulouse, comme beaucoup d'autres villes en France.
L'aéroport Toulouse-Blagnac ne bénéficie d'aucune connexion directe à la gare SNCF de Toulouse, comme beaucoup d'autres villes en France. (Crédits : Rémi Benoit)

Il y a quelques semaines, l'article 36 de la Loi Climat interdisant les liaisons aériennes quand il existe une alternative ferroviaire de moins de 2h30 a été adopté. De quoi renforcer davantage la concurrence entre le transport aérien et le transport ferroviaire, alors que l'aéroport de Bordeaux s'est déjà vu réduire la fréquence de sa navette vers Paris avec l'arrivée de sa LGV et que Toulouse pourrait connaître le même sort en cas de naissance d'une connexion ferroviaire avec Paris en trois heures dans les prochaines années.

"À moins de trois heures de trajet, le train a déjà 80% des parts de marché, donc le match était déjà plié avant même l'adoption de cette loi. En revanche, le train ne peut se substituer à l'air pour des trajets supérieurs à trois heures", commente Tristan Thiebaut, senior manager spécialisé sur les questions de transport au sein du cabinet de conseil européen BearingPoint.

Pour autant, faut-il opposer durablement ces deux modes de transport, notamment sur la base de leurs rejets d'émissions polluantes, plutôt défavorables à l'avion ? Face à ce sentiment de concurrence, ce cabinet a révélé les premières conclusions de son étude "Air et fer, et si vous preniez les deux ?", à l'occasion des Rencontres nationales des transports publics (RNTP) qui se sont tenues à Toulouse du 28 au 30 septembre.

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Une offre déjà existante mais snobée

Dans les faits, l'intermodalité air-fer est déjà une réalité grâce à l'existence d'une offre "Train + Air", fruit d'un partenariat entre la SNCF et une douzaine de compagnies aériennes. Concrètement, ce service permet d'avoir un billet combiné pour partir de 19 villes de Province, avant de rejoindre un vol sur les aéroports parisiens de Roissy et Charles-de-Gaule et prendre un vol long-courrier.

"Ils sont 160.000 passagers à opter pour ce service chaque année. Mais en réalité, ils sont 800.000 usagers chaque année à opter pour deux billets séparés et donc contourner cette offre. Par ailleurs, nous estimons qu'il y a chaque année 4,5 millions de personnes qui partent de Province pour transiter vers Charles-de-Gaulle avant de prendre un vol hors Union européenne", révèle Tristan Thiebaut, soulevant quasiment la non-existence d'une intermodalité organisée entre l'aérien et le ferroviaire.

Concernant l'offre "Train + Air", BearingPoint juge que l'obligation de se rendre à un guichet pour bénéficier de ce service est un frein important à son développement, tout comme la méconnaissance de cette possibilité. Ainsi, le cabinet suggère une totale digitalisation de l'offre et une meilleure communication autour de celle-ci, tout comme des avantages tarifaires plus importants en cas de souscription.

Par ailleurs, l'expert soulève que la rupture de charge entre la gare de connexion et l'aéroport est l'un, si ce n'est LE principal frein à cette intermodalité train-avion, avec en toile de fond la problématique des bagages. Une situation bien trop présente dans de nombreuses grandes villes françaises. Pour mémoire, une rupture de charge dans le domaine des transports signifie le changement de véhicule entre deux modes via une correspondance.

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Des aéroports mal desservis en France

"Aujourd'hui, nous avons cinq des dix plus grands aéroports français qui n'ont pas de liaison ferroviaire directe, générant forcément une rupture de charge", constate Laetitia Chatain, manager dédiée aux transports du cabinet BearingPoint, qui travaille aussi sur cette étude qui sera dévoilée prochainement en intégralité.

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Parmi eux, l'aéroport Toulouse-Blagnac en est un exemple emblématique. Aujourd'hui, il est possible de relier la gare SNCG Matabiau et l'aéroport Pierre Baudis via une navette bus dédiée (40 minutes de trajet), ou bien par une combinaison par métro-tramway (une heure de trajet). À l'occasion de l'arrivée en 2028 de la troisième ligne de métro à Toulouse, le tissu économique local a milité pendant des années pour que cette infrastructure passe par l'aéroport, mais la majorité municipale et Tisséo n'ont pas cédé. Si les entrepreneurs locaux parlent "d'un rendez-vous manqué qui coûtera cher plus tard", ils devront tout de même se contenter d'une "navette express" après avoir emprunté cette future ligne de la gare SNCF de Toulouse à la station Jean Maga de Blagnac.

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A contrario, BearingPoint met en avant le RhôneExpress, qui permet de relier directement la gare de la ville de Lyon et son aéroport de manière directe malgré une rupture de charge, ou encore le projet de CGC Express. Initialement prévu pour les Jeux Olympiques de 2024, il ne devrait entrer en service que vers 2026, selon Augustin de Romanet. Le président d'ADP est néanmoins satisfait de l'avancée des travaux, malgré un contentieux sur une zone où la présence d'un lézard des murailles dans le ballast bloquent les travaux : "Nous attendons un jugement de la cour administrative d'appel dans quelques semaines qui, je l'espère, permettra au chantier de reprendre", a-t-il déclaré lors du dernier Paris Air Forum organisé par La Tribune en juin dernier.

Créer davantage le réflexe train

Néanmoins, le cabinet appose un bémol sur ces infrastructures dédiées. "La connectivité des aéroports avec des infrastructures peine à trouver son modèle économique et ce pour plusieurs raisons. Cela dépend du facteur politique, la plupart du temps ce sont des travaux complexes à mener au sein d'un tissu urbain et ils coûtent donc chers. De plus, le réseau de transports urbains est pensé pour les trajets domicile-travail du quotidien et non pas pour aller à l'aéroport deux fois dans l'année", souligne Laetitia Chatain.

Selon les travaux menés dans le cadre de l'étude de BearingPoint, un kilomètre d'infrastructures ferroviaires en métro ou train coûte 85 millions d'euros en moyenne, contre 20 pour le tramway. Par ailleurs, le ticket moyen dans une infrastructure dédiée coûte 23 euros en moyenne pour le voyageur, contre quatre euros si celui-ci peut utiliser une infrastructure ferroviaire déjà existante et implantée dans un réseau global.

Ainsi, le cabinet salue dans son étude l'aménagement d'une gare TER à proximité immédiate de l'aéroport de Strasbourg, qui offre un véritable avantage à ses usagers en ayant la possibilité d'utiliser le réseau ferroviaire déjà existant pour emprunter l'avion. En plus des longues distances, l'intermodalité avion-train peut aussi être une option pour les courtes distances au départ des aéroports régionaux.

"Certaines personnes font parfois trois heures de route pour rejoindre leur aéroport provincial, donc il faut créer le réflexe train en régionalisant l'offre de transport dont le service avion. Aujourd'hui, la priorité de la SNCF n'est pas de créer de nouvelles lignes mais de remplir ses trains déjà en place. L'intermodalité air-fer peut être un excellent moyen pour y parvenir", conclut Tristan Thiebaut.

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