
"Un texte suicidaire pour l'aéronautique français". Voilà les mots du député MoDem de la deuxième circonscription de Haute-Garonne, Jean-Luc Lagleize, à propos du projet de Loi Climat, actuellement voté en commission spéciale à l'Assemblée Nationale. Lui et "une cinquante d'autres députés, de tous horizons", pointent du doigt les articles 35 à 38 de cette future Loi Climat. Pour mémoire, cette loi émane des travaux de la Convention citoyenne pour le climat regroupant 150 citoyens.
Le premier de ces quatre articles - qui visent à limiter les émissions du transport aérien et favoriser l'intermodalité entre le train et l'avion - consiste à faire que "le transport aérien s'acquitte d'un prix du carbone suffisant à partir de 2025", selon le texte de loi. Une disposition dans la continuité de l'article 38 qui doit créer un système de compensation progressif des émissions de carbone pour les compagnies qui opèrent des vols intérieurs. Enfin, l'article 37 empêchera, à l'avenir, l'agrandissement des aéroports en France et donc leur capacité d'accueil.
"La Convention Citoyenne pour le Climat a été installée en octobre 2019, dans une période où le transport aérien était en croissance de 8% chaque année en moyenne. Désormais, nous vivons dans un autre monde et ces articles sont anachroniques. De part la baisse du trafic aérien, le problème écologique n'existe plus aujourd'hui ! Nous devons faire en sorte que le transport aérien redémarre. Ces quatre articles sont très intéressants oui, mais peut-être pour 2028 plutôt. Il faut envisager un report pour les jours où ça ira mieux", justifie le député du département qui héberge l'avionneur Airbus et un riche tissu de sous-traitants.
Devant la crainte de renforcer "l'aerobashing", les dirigeants de la filière ne se pressent pas pour commenter cette prise de position de ces élus français. Et pour ceux qui le font, ces textes sont injustifiés.
"Est-ce vraiment l'avion qui pollue le plus comme moyen de transport ? Quand je regarde les chiffres, j'ai du mal à comprendre cette stigmatisation. De plus, nous savons tous que l'avion est en train de se verdir en étant moins énergivore, tout comme la filière aéronautique dans son ensemble. Mais s'il faut aller plus vite, il faut alors augmenter les dispositifs de soutien à la R&D et l'innovation", réagit dans ce contexte Alain Di Crescenzo, le dirigeant de l'éditeur de logiciels IGE+XAO et président de la CCI Occitanie. "Le transport aérien consomme quatre litres au cent par passager voire seulement deux pour les nouveaux Airbus A320, contre six à sept pour la voiture", ajoute le député de la Gironde Benoit Simian (Libertés et Territoires).
La fermeture des petites liaisons aériennes, un problème ?
En attendant l'examen de ces articles au sein de l'Assemblée Nationale, début avril, certains des députés porteurs de cette initiative - qui ont tenu une conférence de presse le 16 mars pour "donner l'alerte" - ont fait savoir que des amendements de retrait ont déjà été déposés.
"Nous ne sommes pas contre la transition écologique, mais il y a aussi un contexte à prendre en compte", a ainsi plaidé à cette occasion le socialiste Joël Aviragnet, lui aussi élu en Haute-Garonne
Et il est sans appel : selon la banque de France en Occitanie, territoire qui héberge la majorité des emplois du secteur, l'industrie aéronautique régionale a vu son chiffre d'affaires reculer de -33% en 2020, tout comme elle a perdu -12% de ses effectifs. Par ailleurs, ce secteur endommagé travaille, grâce en partie aux différents soutiens financiers apportés par France Relance, sur l'avion du futur, à savoir un avion zéro émission à horizon 2035. Là encore, les députés sont vent debout contre l'article 36, qui prévoit d'interdire les liaisons aériennes intérieures quand il existe une alternative ferroviaire de moins de deux et trente minutes. Selon les élus, ce texte freinera le développement de l'avion décarboné.
"L'interdiction des vols courtes distantes ne fera qu'handicaper l'émergence de l'avion du futur. Son développement, pour arriver au gabarit d'avion que nous avons actuellement, passera par des petits avions de 10 à 12 places, qui se déplaceront d'aéroport en aéroport au début. Seulement, si vous supprimez ce marché, les entreprises n'y verront aucun intérêt à le développer, ou du moins en France. Nous risquons de faire fuir de l'activité économique à l'étranger", s'inquiète Jean-Luc Lagleize.
"Je partage cette vision. Les vols intérieurs seront le premier marché de l'avion propre dans un petit pays comme la France. Au-delà du frein à l'innovation que cela peut engendrer, la fermeture de ces lignes intérieures peut avoir de graves conséquences pour le trafic sur les longs courriers et les vols intercontinentaux. Par exemple, une personne qui vit à Bordeaux et qui veut aller à New-York doit passer par Roissy. Si vous supprimez cette liaison aérienne Bordeaux-Paris, les Bordelais vont se rediriger vers Madrid, Rome ou Londres plutôt. Cette fuite du trafic pourrait être périlleuse pour notre compagnie française Air France au moment de la reprise du trafic aérien", projette Nicolas Bonleux, managing director et chief commercial officer, chez Liebherr Aerospace & Transportation. Malgré la chute d'activité, ce sous-traitant aéronautique a d'ailleurs récemment fait savoir qu'il allait rapatrier à Toulouse la production d'un élément essentiel dans la quête de l'avion décarboné. "Avant l'urgence écologique, il y a l'urgence de continuer à exister pour ces acteurs, et en bonne santé pour qu'ils dégagent de l'argent et investissent dans la recherche pour l'avion de demain", poursuit le député Jean-Luc Lagleize.
L'Aerospace Valley réunit les acteurs de l'avion léger de demain
Ces derniers mois, les initiatives autour du futur avion décarboné se multiplient, notamment autour des petits aéronefs. Ce frémissement a ainsi poussé le pôle de compétitivité de la filière aéronautique et spatiale, l'Aerospace Valley, a créé le cluster Maele dans le but de rendre concrète ces nombreuses initiatives.
"Maele sera un groupement d'entreprises qui ont une convergence d'intérêts sur le développement d'un avion léger complètement décarboné. L'idée est d'accompagner les sociétés vers cet objectif avec, pourquoi pas, l'ambition d'être des fournisseurs de systèmes et de sous-systèmes de l'Airbus de demain qui sera aussi décarboné", avait ainsi expliqué Yann Barbaux, le président du pôle, lors de la présentation de cette initiative en novembre dernier.
Afin de concrétiser ce nouveau consortium et de mettre en avant rapidement ses acteurs pour "saisir des opportunités", comme l'espère Yann Barbaux, "son" Aerospace Valley et la région Occitanie se sont associés dans le cadre d'un appel à manifestation d'intérêt (AMI) pour "le développement de démonstrateurs d'avion vert dans l'aviation légère", avec un budget de dix millions d'euros. "Ces travaux permettront d'accélérer l'émergence de l'avion vert, en complémentarité avec ceux réalisés par le Corac et Cleansky, le futur programme européen vers l'aviation verte commerciale", précise de son côté la collectivité. Cette même région doit d'ailleurs accueillir d'ici 2024 un technocampus de l'hydrogène, dédié à l'avion décarboné, en s'appuyant sur la filière hydrogène émergente sur son territoire.
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