Des chercheurs d'Occitanie créent un outil pour améliorer les incubateurs

Le nombre d’incubateurs est en constante en augmentation. Aujourd’hui, en France, près de 1 500 structures, financées sur fonds publics, accueillent environ 200 000 jeunes entreprises. Déjà en 2012, la Cour des comptes estimait à plus de deux milliards et de demi d’euros la dépense en faveur des startups. Seulement, beaucoup d’entre elles finissent par mettre la clef sous la porte. Jonathan Maurice, maître de conférences en sciences de gestion à l’Université Toulouse Capitole et chercheur au sein de la TSM (Toulouse School of Management) en contrôle de gestion et comptabilité, Chaffik Bakkali et Gérald Naro de l’université de Montpellier, ont mis au point un outil de gestion qui permet d’améliorer le fonctionnement et l’efficacité des incubateurs parfois sujets à des préoccupations. Entretien.
Cinq incubateurs en Occitanie ont été suivis par le chercheur.

La Tribune : Quel est l'objet de vos recherches sur les incubateurs de startups ?

Jonathan Maurice : Avec deux collègues de l'université de Montpellier, Chaffik Bakkali et Gérald Naro, nous avons travaillé sur les outils de contrôle de gestion à destination des incubateurs. Nous avons mis au point un outil de gestion pour améliorer leurs pratiques. Celui-ci leur permet d'avoir un pilotage et une évaluation pluridimensionnelle de leurs performances en ce qui concerne l'accompagnement de ces jeunes entreprises.

Comment fonctionne ce nouvel outil censé améliorer ces structures ?

Il s'agit d'un tableau de bord à quatre dimensions, inspiré du "balanced scorecard". Un tableau équilibré très utilisé dans le monde de l'entreprise qui comporte quatre perspectives : financière, client, processus internes et apprentissage organisationnel.

Ici, il a été adapté au processus d'accompagnement entrepreneurial. Nous l'avons mis en place dans cinq incubateurs en Occitanie (le chercheur ne souhaite pas les citer, ndlr), plus précisément dans l'Hérault qui sont de taille différente, avec des missions différentes. L'outil possède des indicateurs de performance des entreprises qui sont accompagnées au sein de ces incubateurs. Il se présente sous forme de fichiers Excel avec un manuel de procédure sur les différents indicateurs et comment les renseigner et les calculer. Les incubateurs répondent à des questions chiffrées, ou fermées (où la réponse est oui ou non). Par exemple, quel est le nombre d'accompagnants consacrés à l'incubateur, le nombre de projets suivis, le nombre de créations d'entreprises, le budget de l'incubateur, quels sont les revenus des entrepreneurs avant/après, quel est leur chiffre d'affaires prévisionnel et le chiffre d'affaires réalisé, etc. Certains des indicateurs vont être renseignés sur une périodicité mensuelle et d'autres tous les ans ou les six mois en fonction de la disponibilité des données et de leur pertinence. L'idée est d'avoir à un bilan tous les ans.

Jonathan Maurice

Le chercheur Jonathan Maurice travaillait depuis 2010 sur la question de ces incubateurs./ Crédits DR.

Comment un tel projet de recherches a-t-il vu le jour ?

Tout est parti d'une demande des collectivités territoriales qui ont financé un projet à hauteur de plusieurs milliers d'euros. Les financeurs avaient besoin d'outils de mesure de la performance pour évaluer si les financements accordés étaient bien utilisés, et si les incubateurs, financés par ces collectivités territoriales, accompagnent de façon efficace les entreprises dont ils ont la charge.

Cette démarche n'avait jamais existé auparavant. On finançait des incubateurs sans avoir de retour sur leur efficacité, la satisfaction des startups, etc.

Ce travail a commencé en 2010 et le tableau de bord a été mis en place en 2012 dans les cinq incubateurs. On a ensuite observé durant près de dix-huit mois la manière dont les structures s'en emparaient.

Suite à la mise en place de cette nouvelle méthode, quelles améliorations avez-vous observé au sein des cinq incubateurs utilisateurs ?

Cette initiative a permis aux structures de parler entre elles à travers des réunions communes autour de la mise en place de cet outil. Nous nous sommes rendus compte qu'à force de discuter et formaliser leurs activités à travers cet outil, les incubateurs ont partagé leurs bonnes pratiques et donc amélioré chacun leurs processus et accompagnement en se rendant compte de ce que faisaient les autres. Ce partage d'expérience n'existait pas avant.

Ensuite, les pratiques des incubateurs entre le début et la fin de la mise en place de l'outil ont évolué pour prendre en compte les dimensions qu'ils n'avaient pas envisagé au départ. Par exemple, certains se sont rendus compte qu'ils ne faisaient pas de l'accompagnement psychologique à la suite d'un échec de création d'entreprise. Cette prise de conscience leur a permis de développer des compétences pour mieux accompagner cet échec. Les incubateurs ont également vu dans ce tableau de bord une façon de prouver que leur performance d'accompagnement est multidimensionnelle et pas seulement économique. 

Enfin, il faut savoir que la mise en place de cet outil a donné lieu à des adaptations pendant un an et demi jusqu'à ce que chacun aboutisse à un tableau de bord différent des autres. Ils se rendaient compte que certains indicateurs n'étaient pas pertinents et que d'autres manquaient et donc il a fallu les ajouter.

Maintenant que le dispositif est bien en place, comment cet outil de gestion va évoluer par la suite ? D'autres incubateurs vont-ils l'adopter ?

C'est maintenant aux incubateurs d'en faire ce qu'ils ont envie en fonction de leurs besoins. Malgré la fin de notre mise en place et le fait que cela soit une recherche pilote, l'outil est toujours utilisé par les structures.

Par la suite, ce serait pertinent d'étendre la mise en place d'un tel outil de pilotage à d'autres incubateurs dans d'autres régions pour professionnaliser davantage l'accompagnement entrepreneurial. Pour qu'il soit installé de façon systématique dans les incubateurs, cela ne peut venir que de l'État, des collectivités territoriales qui les financent, ou des réseaux d'incubateurs qui imposeront l'utilisation du tableau de gestion.

Travaillez-vous sur d'autres projets de recherches en ce moment ?

Oui, deux. Le premier, avec Nathalie Bénet et Christophe Godowski, des collègues de l'université Toulouse Capitole. Ce travail porte sur l'université française et la mise en place d'un outil de gestion des risques et de contrôle interne, puisque avec la loi d'autonomie des universités, celles-ci gèrent leur budget, masse salariale et parc immobilier. Par conséquent, elles doivent assumer un ensemble de risques comptables et financiers et l'État a imposé la mise en place d'outils adaptés pour. L'outil a été développé de 2011 à 2015 et nous sommes encore en train de suivre les évolutions, les résultats ne seront pas disponibles avant 2020. 

L'autre projet, en collaboration avec des collègues de l'université de Montpellier, porte sur la façon dont les entreprises concurrentes sont amenées à collaborer ensemble. Par exemple, il y a des constructeurs automobiles qui sont concurrents sur le produit fini, mais qui ont des plateformes de fabrication communes. Dans les domaines du spatial et de l'aéronautique, les entreprises concurrentes collaborent parfois ensemble. Nous cherchons donc à comprendre comment elles vont répartir leur budget entre la collaboration avec les concurrents d'un côté et les processus qui vont permettre la compétition de l'autre.

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