
Des espaces verts à perte de vue avec le chant des oiseaux, sans réseau téléphonique et face à des rangées infinies de montagnes et collines aux hauteurs diverses et variées. Installé au cœur de Cominac, une bourgade au cœur de l'Ariège prisée pour ses maisons de caractère en pierre typiques de la région, le gîte La Comté abrite ces derniers temps une nouvelle clientèle peu habituée à cet environnement de la déconnexion.
Dirigeants d'entreprises, entrepreneurs, manageurs, chefs d'équipe, commerciaux, responsables de secteur ou responsables des ressources humaines... À leur manière, ces professions ont aussi été en première ligne pendant la crise sanitaire. Entre la gestion du télétravail, la mise en place d'une nouvelle organisation pour respecter les gestes barrières, l'instauration parfois du chômage partiel, les plans sociaux, la chute du chiffre d'affaires, l'absence de rendez-vous commerciaux et d'activité, les raisons ne manquent pas pour justifier d'un mal-être des managers suite à la crise sanitaire.
Désormais, une poignée de gîtes aux alentours de Cominac vont accueillir des stages d'oxigénation post-Covid pour les dirigeants, menés par l'explorateur français Stéphane Lévin (Crédits : Rémi Benoit).
"Nous constatons que le niveau de l'épuisement professionnel s'est significativement accru et que la nature de l'épuisement s'est transformée pendant le confinement. L'épuisement habituel lié à une suractivité a muté en un épuisement d'empêchement où les sentiments d'impuissance et d'être coincé prennent le pas sur la déception et la lassitude", pointe ainsi les auteurs d'un rapport sur les entrepreneurs français publié en mars dernier par l'Observatoire Amarok, avec à la tête de cette analyse et de cet organisme le professeur Olivier Torres de l'université de Montpellier et de la Montpellier Business School.
La Grande consultation des dirigeants et chefs d'entreprise d'OpinionWay pour La Tribune, CCI France et LCI confirme cette vision de la situation. Fin mai, 46% des individus interrogés ont déclaré que la crise avait eu un impact négatif sur leur santé mentale/psychologique. Près de trois sur dix disent même avoir subi des répercussions négatives sur leur santé physique.
"Nous avons souffert"
Interpelé par la situation physique et mentale d'un ami dirigeant fondateur d'une entreprise du numérique basée non loin de Toulouse, tout en ayant connaissance de ces multiples rapports sur le sujet, l'explorateur Stéphane Lévin se met alors en tête de proposer "des stages d'oxygénation" à destination de ce public dans ce coin reculé de l'Ariège "afin de sortir du cadre et chasser les idées toxiques". C'est ainsi que s'est déroulé le premier stage du genre dans le petit gîte masqué parfois par la brume dès que le temps devient grisâtre, week-end dont La Tribune a eu un accès privilégié.
Typiques des environs, ces petits bâtisses en pierres ont vu leur valeur financière croître de manière fulgurante ces 18 mois, prisées par les citadins en recherche de nature (Crédits : Rémi Benoit).
"Nous avons déjà beaucoup de demandes pour des stages plus ou moins longs. Ayant tenu par le passé plusieurs conférences et séminaires team building, mon réseau d'entreprise a répondu favorablement à ce nouveau projet car il y a un besoin évident en interne", fait savoir l'explorateur qui a notamment passé quatre mois en solitaire dans l'Arctique pour participer à la préparation de longs voyages spatiaux, par exemple à destination de Mars.
Pour cette première édition, il a sous sa houlette quatre participants, tous de la région toulousaine, en provenance des univers du numérique et de l'informatique principalement.Au lancement de ce stage, tous expriment un sentiment de fatigue après cette période sanitaire aux contraintes complexes et des souvenirs difficiles de ces 18 derniers mois. "Je fais du conseil en informatique, donc cela fait partie des premières coupes en cas de difficultés financières... J'ai perdu ma principale mission dans un groupe de grande distribution avant l'été 2020. Je suis donc parti en vacances (forcées), mais par chance j'ai retrouvé deux autres missions à la rentée", se remémore à présent avec soulagement Patrice*. "Avec la Covid-19, du jour au lendemain, cela a été la chute. Côté affaires, nous avons souffert pendant six mois avec plus aucun rendez-vous du jour au lendemain... Cela génère du stress, de la fatigue et de la tension", témoigne quant à elle Monique*, responsable commerciale chez un éditeur de logiciels, une autre "stagiaire", comme aime les surnommer Stéphane Lévin.
L'explorateur français Stéphane Lévin arpente depuis des dizaines d'années ces coins reculés de l'Ariège (Crédits : Rémi Benoit).
Ces deux premiers participants partagent également l'envie de s'évader dans la nature, et c'est bien ce qui va rythmer cette première journée. Après un bref tour de table de présentation et de préparation des sacs, embarquement dans les 4x4. Au programme ?
Dans ces territoires reculés du département de l'Ariège, des moyens de mobilité et de marche adaptés sont plus que nécessaires pour découvrir pleinement ces espaces verts fournis (Crédits : Rémi Benoit).
Plus d'une heure et demie de marche avant d'atteindre le point prévu pour le pique-nique. L'occasion pour les participants de faire plus ample connaissance, s'ils ne se connaissent pas déjà ou uniquement dans un cadre purement professionnel. L'occasion également pour le chef d'expédition et explorateur de prodiguer quelques conseils à ses élèves sur la manière de marcher, de tenir son corps pendant l'effort et comment optimiser la récupération du corps humain en toutes circonstances. Plus inattendus, les deux journées de randonnée à travers les montagnes ariégeoises aux espaces croissants sont séquencées par des ateliers de franchissement de rivière à l'aide de cordes, ou encore d'allumage de feu (sous la pluie...), pour ne citer que ces exemples.
Les dirigeants stagiaires ont été confrontés à des exercices ludiques et instructifs, de leurs propres aveux, au cours de leurs diverses sessions de marche (Crédits : Rémi Benoit).
"Ce sont des exercices qui permettent de travailler la cohésion d'équipe, la communication, le sens du collectif, l'organisation et dans une moindre mesure la confiance en soi", commente Stéphane Lévin.
Échanges aussi au programme
Au-delà de l'aspect physique, ces stages d'oxygénation comportent de nombreux de temps de paroles et d'échanges. Autour d'un apéritif local, les stagiaires échangent notamment sur la façon dont ils ont traversé la crise sanitaire. "Pendant des mois et des mois, nous avons dû faire attention à l'état de nos salariés. Mais qui s'est préoccupé de nous pendant ce temps ? Nous aussi on a mal vécu cet épisode... Cela fait du bien de se laisser porter ici...", lâche sur un ton un peu amer Mathilde*, qui travaille au sein d'un cluster d'entreprises.
"Jusqu'à la crise sanitaire, nous étions à 25% à 30% de croissance par an et 45 salariés sous notre responsabilité. Face à la crainte générée par cette épidémie, dès le 28 février 2020 on a décidé de passer tout le monde en télétravail du jour au lendemain. Notre priorité était d'assurer la protection sanitaire de nos salariés et de nos clients. Puis au plus fort de la crise, nous n'avons pas fait appel au chômage partiel et nous avons même embauché cinq personnes. Au final, malgré le trou mais en s'activant sur tous les fronts, nous sommes parvenus à terminer l'année avec une croissance de notre chiffre d'affaires de +1,6%, ce qui était inespéré. Mais je suis sorti complètement essoré de cette année", raconte de son côté Éric* qui commercialise une solution logicielle à destination des collectivités pour gérer leur masse salariale.
Par ces temps de parole ouverts, l'idée est de lutter contre le sentiment de solitude en renforçant le partage du vécu à travers les participants, face à ces deux années qui auront marqué l'histoire de l'humanité. Dans la foulée de ces témoignages sur comment les dirigeants ont traversé les différents confinements, Stéphane Lévin partage lui aussi les souvenirs de ce qui s'apparente à des confinements comme ses quatre mois en solitaire sur l'Arctique et ses diverses expériences et voyages en tant qu'explorateur.
Pendant une heure, le chef d'expédition a raconté ses souvenirs aux quatre coins du monde (Crédits : Rémi Benoit).
Après 48 heures d'échanges et d'efforts physiques, fondus dans un petit collectif, un sentiment de bien-être parcourt les visages de tous les participants du stage, qui ont même l'impression d'avoir passé davantage de temps ensemble. Regonflés à bloc pour participer pleinement à la relance économique diront-ils...
* Les prénoms ont été changés.
Sujets les + commentés