Face à la soudaine montée du prix des carburants, le mécontentement des automobilistes grandit et la révolte s'organise. Pour autant, cet épisode inflationniste n'est ni le premier, ni le dernier. Aussi compréhensibles soient les revendications des Français à ce sujet, ils doivent dès à présent accepter l'idée d'un prix à la pompe de plus en plus élevé et, plus généralement, d'une énergie d'origine carbonée de plus en plus onéreuse.
Pour en comprendre la raison, il est nécessaire d'identifier les composantes du prix des carburants qui varient au cours du temps, et connaître les raisons de leur évolution. On peut ainsi répondre à la double question de la hausse générale des prix à la pompe et de la réduction de l'avantage tarifaire dont bénéficiait jusqu'à présent, en France, le gazole face à l'essence.
Ce sont donc le prix du pétrole et les diverses taxes qui pèsent le plus sur le prix final
Pour simplifier, le prix d'un litre de carburant comprend le prix du pétrole brut (à hauteur de 26,8% du prix total en moyenne en 2018 pour le SP95 contre 28,3% pour le diesel[1]), le coût du raffinage (4,6% pour le SP95 contre 5,5% pour le diesel), le coût de la distribution (7,2% contre 7,6%) et enfin la fiscalité (61,4% contre 58,6%). Ce sont donc le prix du pétrole et les diverses taxes qui pèsent le plus sur le prix final. Ce sont également ces deux éléments qui évoluent, ou sont susceptibles d'évoluer, le plus fortement dans le temps.
La volatilité des cours du pétrole brut sur les marchés mondiaux est la principale cause de fluctuation du prix des carburants à court terme. À titre d'illustration, le prix du baril était de 69$ à la mi-août 2018. Celui-ci a grimpé jusqu'à 87$ début octobre, pour redescendre à 67$ à la mi-novembre, soit une augmentation de 26%, suivie d'une diminution de près de 23% de sa valeur en l'espace de trois mois[2]. Indépendamment de ces fluctuations conjoncturelles, la tendance sur le long terme du prix des énergies fossiles est à la hausse, poussée par une diminution des réserves économiquement accessibles et une exploitation des gisements toujours plus coûteuse.
La fiscalité sur le prix des carburants comprend trois volets. La taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) est une taxe unitaire constante dont le montant est inscrit dans la loi de finance de l'année en cours. En 2018, elle s'élève à 0,68€/litre pour le SP95 et à 0,59€/litre pour le diesel. Cet avantage fiscal dont bénéficie le diesel tend à s'amenuiser et il est prévu un rattrapage complet du montant du SP95 pour 2021[3]. Depuis 2014, s'ajoute à cette taxe la contribution climat énergie (CCE), assimilable à une taxe sur les émissions carbonées. Cette contribution a fortement augmenté entre 2017 et 2018 (+46%), passant de 7 centimes/litre à 10,25 centimes pour le SP95 et de 7,9 à 12,65 centimes pour le diesel[4]. Elle doit encore augmenter de 23% l'an prochain. Notons que le gazole est ici désavantagé par rapport à l'essence du fait de son contenu en CO2 supérieur. Enfin, la TVA à 20% porte sur l'ensemble des composantes que nous venons de citer. Celle-ci joue un rôle d'amplificateur des variations nominales du prix des carburants.
Manque de pédagogie sur la fiscalité carbone
En résumé, les prix à la pompe - tous carburants confondus - augmentent du fait de l'augmentation des prix du pétrole et de l'accroissement de la taxe carbone, et le prix du diesel croît plus vite que celui de l'essence en raison de l'alignement prévu des niveaux de TICPE et d'une plus forte pénalisation par la CCE. L'inquiétude des automobilistes est donc fondée. Néanmoins, leur mécontentement est accentué par trois phénomènes :
- Le manque de pédagogie sur la fiscalité carbone. Autant la signature des Accords de Paris en décembre 2015 a suscité une forte adhésion de la part des citoyens, autant il est très difficile de leur faire accepter l'idée d'une fiscalité sur le carbone, ce qui peut paraître paradoxal. Pour rappel, à la suite de la COP 21, la France a établi une stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui ambitionne une réduction de 40% des émissions de CO2 d'ici 2030, et l'atteinte de la neutralité carbone à horizon 2050. Pour parvenir à cette transition énergétique, les dispositifs d'accompagnement existants jusqu'alors (bonus-malus automobile, crédits d'impôt et autres formes de subventions pour l'amélioration de l'efficacité énergétique, etc.) ne suffisaient plus[5]. À l'image de ce qui s'est fait dans d'autres pays européens (pays scandinaves, Irlande, RU, Suisse...), une taxe carbone (la CCE précédemment citée) a donc été instaurée par anticipation dès 2014... dans la quasi indifférence générale. En effet, celle-ci a été introduite à un niveau initial très faible (7€/tCO2) et alors que les prix du pétrole étaient au plus bas, ayant donc des effets peu visibles sur le prix des énergies fossiles. Pourtant, son principe de progressivité était acté dès le départ, et les montants qu'elle atteint aujourd'hui, déjà prédéterminés. Plus d'informations sur ce dispositif aurait donc permis à la population de s'habituer à l'existence de cette nouvelle taxe dans leur paysage fiscal, et à en anticiper l'évolution sur leur pouvoir d'achat. De plus, des doutes subsistent auprès de cette même population quant à l'utilisation des recettes fiscales générées par cette taxe, sensée pourtant contribuer au financement de la transition énergétique.
- Le système de bonus-malus automobile. Créé en 2007 à la suite du Grenelle de l'environnement, ce dispositif avait pour but de rediriger les acheteurs de véhicules neufs vers des modèles moins émetteurs de CO2. Les taux d'émissions étant proportionnels aux niveaux de consommation des véhicules, et les voitures fonctionnant au gazole consommant en moyenne moins que les modèles essence équivalents, le système s'est donc transformé en un vaste plan de subventions du diesel en France. Déjà avantagés par une plus faible fiscalité sur les carburants, la part des véhicules diesel a atteint 62% du parc automobile français en 2016[6]. Ce sont ces mêmes modèles qui, pour d'autres raisons environnementales - leur taux élevé d'émissions de particules fines et de NOx qui contribue à la pollution de l'air en zones urbaines - sont aujourd'hui pénalisés.
- Le manque de visibilité dans les mesures d'accompagnement. Les plus touchés par la hausse des prix du carburant sont sans nul doute les ménages les plus démunis et/ou les plus dépendants des énergies fossiles (i.e. ceux dont la part des dépenses énergétiques dans le revenu est la plus forte). À ce sentiment d'injustice s'ajoute l'incompréhension de ces mêmes personnes face à l'exonération de CCE de certains secteurs[7]. Dans l'urgence, le gouvernement a annoncé des mesures spécifiques d'accompagnement. Mais à l'heure où ces lignes sont écrites, celles-ci restent encore trop peu précisées, et leur durée d'action trop incertaine, pour réellement permettre l'adhésion de la population à la fiscalité carbone.
La taxation des énergies carbonées à des niveaux qui croissent au cours du temps, entraînant une hausse de leur prix, reste le moyen le plus efficace pour envisager de réduire leur utilisation (et donc les émissions de CO2). En ce sens, le dispositif mis en place par la France constitue une véritable avancée. Tout l'enjeu à présent consiste à convaincre la population pour qu'elle l'accepte !
[1] Calculs d'après les données de l'UFIP (https://www.ufip.fr/). Ces parts incluent les marges des différents intermédiaires.
[2] L'évolution corrélée de l'euro face au dollar atténue partiellement ces variations sur le marché français puisque mesuré en euros, le prix du pétrole a alors augmenté de 21% puis diminué de 19% sur les mêmes périodes.
[3] Plus d'informations sur le site ministériel https://www.prix-carburants.gouv.fr/rubrique/documentation/
[4] Ses valeurs sont calculées à partir deux types de données : le taux d'émission de CO2 de chaque type de carburant et le montant officiel de la taxe carbone. Le SP95 émet 2,3kg de CO2 par litre et le diesel, 2,6kg. La taxe carbone était de 30,5€/tCO2 en 2017, contre 44,6€ en 2018. Son montant doit augmenter à 55€/tCO2 en 2019. Il est prévu qu'il augmente encore dans les années à venir - afin de faire respecter les engagements de réductions des émissions de CO2 que s'est assignée la France - mais les niveaux sont encore à l'étude.
[5] Dans la théorie économique, ces dispositifs sont qualifiés de « second rang » car ils ne portent pas directement sur le bien économique à l'origine de l'externalité environnementale, c'est-à-dire les énergies fossiles. Ils sont donc moins efficaces qu'un instrument dit de « premier rang », par exemple une taxe carbone, pour réduire les émissions de C02. Mais ils bénéficient d'une meilleure acceptabilité sociale.
[6] Source CCFA (https://www.ccfa.fr/)
[7] Sont exonérés de CCE les entreprises déjà actrices sur le marché européen des permis d'émission (EU-ETS) et, pour préserver leur compétitivité, les entreprises à forte intensité énergétique, i.e. dont les dépenses énergétiques sont supérieures à 3% de la valeur de la production.
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