The Village : quatre idées à la loupe pour "réconcilier les territoires"

Pour sa 5e édition, l'événement The Village de La Tribune s'est penché sur la question des "nouvelles proximités". Faut-il généraliser le concept de ville du quart d'heure ? Accélérer le déploiement de la LGV pour désenclaver certaines régions ou au contraire ralentir d'urgence notre mode de vie? Comment retisser un lien affectif avec sa ville ? Autant d'interrogations qui ne trouvent pas écho seulement en France mais qui traversent la plupart des pays développés, comme en témoigne le panel international réuni le week-end passé à Frontignan (34).
(Crédits : Etienne Perra)

"Le thème des 'nouvelles proximités' colle parfaitement à la ville de Frontignan", a glissé en guise d'introduction son maire Michel Arrouy. Cette ville moyenne de 23.000 habitants au bord de la Méditerranée accueillait les 27 et 28 août l'événement The Village organisé par La Tribune en partenariat avec le conseil régional d'Occitanie et la chaire Entrepreneuriat Territoire Innovation (ETI) de l'IAE Paris Sorbonne Business School. Jusque dans les années 80, Frontignan accueillait encore une raffinerie du groupe Exxon Mobil. Elle a dû depuis entamer une mutation en misant notamment sur la culture pour dynamiser son coeur de ville avec la construction d'un cinéma de quatre salles ou en valorisant la proximité à 15 minutes à pied d'espaces naturels.

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La ville du quart d'heure, un modèle à généraliser ?

En débattant autour de ce thème des 'nouvelles proximités', la question de la proximité géographique apparaît d'emblée et avec elle le concept de "ville du quart d'heure". Développée par le chercheur Carlos Moreno, cette idée repose sur un modèle idéal d'une ville où tous les services essentiels sont à une distance d'un quart d'heure à pied ou à vélo. Le concept a été repris par la maire de Paris Anne Hidalgo lors de la campagne pour sa réélection aux dernières municipales. D'autres métropoles à travers le monde cherchent à s'en inspirer : Milan, Dublin, Valencia, Portland, Ottawa, Melbourne, etc.

"Attention tout de même à ce que les habitants puissent sortir de leur quartier et avoir accès à l'écosystème économique et au reste du monde, alerte Moussa Camara, président-fondateur de l'association Les Déterminés qui oeuvre pour développer l'entrepreneuriat dans les banlieues. Pendant le confinement, l'isolement a failli faire décrocher certains."

Même prudence du côté d'Aziza Akhmouch, cheffe de la division villes, politiques urbaines et développement durable à l'OCDE :

"De Melbourne à New-York, on voit bien une accélération de l'adoption de ce terme de ville du quart d'heure. Mais il faut veiller à ce que ces quartiers restent connectés à leur environnement sinon le risque est de générer de nouvelles formes de ségrégation spatiale. Désormais au sein des pays de l'OCDE, il y a plus d'inégalités au sein des pays qu'entre ces pays. Entre Londres et Baltimore, il y a 20 ans d'écart d'espérance de vie. Ces inégalités sont une bombe à retardement et il faut surveiller cette déconnexion entre le rural et l'urbain."

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Aziza Akhmouch, cheffe de la division villes, politiques urbaines et développement durable à l'OCDE (Crédits : Etienne Perra).

"Disposer des mêmes standards de vie dans les territoires ruraux et urbains ne va pas de soi', rappelle pour sa part Étienne Guyot. Le préfet de la région Occitanie ne croit pas qu'il faille viser "une égalité des territoires", qui sont par nature très différents "L'Occitanie est un condensé de la diversité qui existe à l'échelle de la France avec la mer, la montagne, les espaces ruraux et les grandes villes. Je crois qu'il faut rechercher une équité des territoires, soit tout le contraire du laisser-faire", a-t-il ajouté.

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Étienne Guyot, préfet de la région Occitanie (Crédits : Etienne Perra).

Des lignes à grandes vitesse ou ralentir nos modes de vie ?

Pour améliorer l'équité des territoires, faut-il accélérer le déploiement des lignes de train à grande vitesse ? C'est le cheval de bataille depuis des années de la présidente de région Carole Delga. Un projet qui pour l'élue dépasse la simple infrastructure de transport. "Pour éviter le décrochage et l'aggravation des fractures territoriales, il faut que les habitants se sentent considérés. Et quand on est comme aujourd'hui à Perpignan à 5h30 au mieux de Paris en train et que les billets d'avions sont très chers, on a l'impression de vivre au bout de la France", a martelé celle qui est également présidente des régions de France.

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Carole Delga, présidente de la Région Occitanie (Crédits : Etienne Perra).

Le sociologue Vincent Kaufmann lui a pris le contrepied de cette aspiration à accélérer nos modes de transport dans un essai intitulé Pour en finir avec la vitesse publié il y a quelques jours. "Les infrastructures de transport rapide élargissent les bassins de vie et limitent in fine la proximité. D'autant que la conjecture de Zahavi montre que les gains de vitesse dans les transports ne sont pas utilisés pour améliorer notre mode de vie mais pour aller plus loin. Dans les années 50, les habitants faisaient 1h30 de marche par jour pour aller au marché. Désormais, les citoyens passent 1h30 dans leur voiture", pointe-t-il.

Revitaliser un territoire pour retisser le lien social

Pour éviter à un territoire de décrocher, les villes impulsent souvent des projets de revitalisation. Au-delà d'une reconversion économique réussie, ces politiques permettent de retisser un lien d'attachement au territoire. Ce ce qu'a observé Idoia Postigo Fuentes à Bilbao, La directrice générale de Bilbao Metropoli-30, une association créée pour revitaliser 30 communes biscaïennes, rappelle :

"Bilbao a fait l'objet d'un processus de revitalisation très important. Moteur économique le plus important du Pays Basque, cette ville a un passé industriel autour de la sidérurgie et la construction navale avant de connaître une crise économique très grave dans les années 80. Le Musée Guggenheim est le projet le plus iconique de cette transformation. Ce monument a offert une campagne de pub internationale à cette ville industrielle devenue une métropole culturelle. Surtout, le musée a permis à la population de récupérer sa fierté et donné de l'espoir pour le futur. Quand on parle de proximité, le plan stratégique des villes ne peut être déployé sans vision sans objectif final."

Musée Guggenheim

 Le Musée Guggenheim à Bilbao en Espagne (Crédits : DR).

Autre exemple, cette fois en France à Roubaix. Cette ville du Nord qui a prospéré avec l'industrie textile est aujourd'hui l'une des plus pauvres communes de l'Hexagone. En 2014, la municipalité a lancé une politique autour de l'économie circulaire et le zéro déchet. "100 familles ont relevé le défi de réduire de 50% leurs déchets. Certaines familles sont passées de 250 à 2 kilos de déchets par an. Cela leur a donné plus de pouvoir d'achat, cela a changé leur vie et leur situation sociale", remarque Alexandre Garçin, adjoint au maire de Roubaix.

Une politique qui a eu aussi un impact économique. "Okaidi a lancé une fibre écologique avec le soutien du pôle textile du Nord. La marque roubaisienne Jules a entamé une collection élaborée à partir de jeans recyclés et a transformé des jeunes des quartiers en designers. Ce genre d'initiative permet de tisser du lien social", ajoute l'élu.

Penser la réversibilité des usages dès la conception

Pour qu'une ville soit durable, il faut aussi penser dès l'origine sa reconversion. "Quand on est maire, on bâtit pour longtemps, il faut penser à la réversibilité des usages", plaide l'édile de Montpellier Michaël Delafosse. C'est le choix qui a d'ailleurs été fait lors de la construction d'un parking silo de 800 places à proximité de la gare Saint-Roch. Anticipant les usages futurs possibles (logements, activités, services, équipements, etc), le parking dispose de hauteurs sous plafond qui atteignent 2,60 voire 3 m, au lieu des 2,20 m requis pour ce type de bâtiment et les dalles de grande portée constituent des plateaux libres qui pourront accueillir des fonctions diverses.

"Cela permet d'avoir une empreinte très faible lors de la reconversion des bâtiments", salue Carmen Santana, architecte urbaniste qui a travaillé sur le projet. Avant d'ajouter : "La pandémie a soulevé la question des bureaux réversibles. Les entreprises ont dû faire face à des bureaux trop grands, impossibles à ventiler, etc."

À l'issue des deux jours de débats et d'ateliers, Carlos Moreno conclut : "La proximité doit être à la fois métrique mais également affective, émotionnelle et linguistique. Avoir une approche durable des territoires ne signifie pas seulement l'aspect écologique mais il faut viser un triple zéro : carbone, pauvreté et exclusion. Les nouvelles proximités doivent mener à une convergence écologique, économique et sociale." Une restitution des idées ayant émergé au cours des ateliers de The Village est prévue le 30 septembre prochain lors de l'assemblée des Régions de France.

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