Polluants éternels : comment Michelin et Safran veulent se passer des PFAS

Alors que la France veut restreindre la fabrication et la vente de produits contenant des polluants éternels d'ici à 2026, les industriels comme Michelin et Safran commencent déjà à s'organiser pour trouver des alternatives à ces substances très utilisées dans l'aéronautique et l'automobile. A Toulouse, l'IRT Saint-Exupéry pilote un projet pour faire émerger un isolant en partie biosourcé, d'origine végétale, pour les futurs avions électriques.
Safran réfléchit déjà à des alternatives aux PFAS.
Safran réfléchit déjà à des alternatives aux PFAS. (Crédits : Safran)

Les poêles de cuisson sont loin d'être les seules à contenir du téflon. Tous les pans de l'industrie font appel à ces substances polyfluoroalkylées (PFAS), également appelées polluants éternels du fait de leur persistance dans l'environnement.

Le téflon des câbles d'avion persiste pendant des milliers d'années

C'est notamment le cas dans dans l'aéronautique.

« Les câbles utilisés pour les avions contiennent du téflon, utilisé comme isolant. Le téflon a l'avantage de résister à des températures pouvant atteindre 260°C et c'est un matériau qui a des propriétés stables dans le temps, parfois même un peu trop stables. Lors de campagnes de vieillissement, nous avons relevé que ces matériaux avaient une durée de vie de plusieurs milliers d'années, voire de dizaines de milliers d'années. Ce n'est pas forcément en adéquation avec la durée de vie d'un avion qui est seulement de 20 à 40 ans », a indiqué Pierre Henrard, chef de projet à l'IRT Saint-Exupéry, à l'occasion de la conférence ECHT organisée du 5 au 7 juin à Toulouse.

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Pour sa part, Hélène Ierno-Rochais, experte risques chimiques chez Safran, confirme que dans l'aéronautique, les applications des PFAS « sont multiples, entre les joints, les câbles, dans certains tissus ». Avant d'ajouter : « Ces substances sont utilisées parce qu'elles permettent à la fois d'avoir une altération chimique, une résistance en température, etc. »

Dans l'automobile, du côté de Michelin, les polluants éternels « ne font pas partie des composants de nos pneus mais nous en retrouvons sur nos machines de fabrication », précise Aurélie Clair, experte matériaux, traitement de surface, usure du groupe. « Les utilisations sont très variées, pour des problématiques d'isolation ou d'étanchéité », précise-t-elle.

Urgence à trouver une alternative

Ce qui explique que la nouvelle réglementation française risque de donner du grain à moudre aux industriels. Après l'Assemblée nationale au mois d'avril, le Sénat a voté fin mai à son tour une proposition de loi écologiste qui vise à restreindre la fabrication et la vente de produits contenant des « polluants éternels » d'ici à 2026. Le texte doit encore passer en deuxième lecture à l'Assemblée nationale qui a été dissoute il y a une semaine, ce qui pourrait bousculer l'adoption du texte.

« Nous n'allons pas attendre que la restriction soit réellement passée, il faut absolument prendre les devants. A l'heure actuelle, c'est extrêmement serré, voire impossible en tant qu'industriels de développer de nouvelles solutions avant 2030 sachant que leur déploiement prend habituellement 10 à 15 ans », mentionne Aurélie Clair.

Chez Safran, Hélène Ierno-Rochais informe que le groupe a lancé, début 2023, un vaste chantier d'inventaire des usages de PFAS. « Un travail de longue haleine », fait-elle remarquer puisque au-delà de la consultation des fiches de sécurité des produits chimiques, Safran doit surtout se renseigner sur les produits employés par ses sous-traitants, en sachant que le groupe s'approvisionne auprès de 6.000 fournisseurs directs de pièces aéronautiques.

« Nous ne sommes pas fabricants de câbles aéronautiques donc nous devons absolument travailler avec nos fournisseurs pour aligner nos besoins techniques, notamment en résistance aux températures, et la réglementation », poursuit-elle.

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Risque d'obsolescence

Le motoriste pointe même un risque d'obsolescence de certains matériaux.

« L'un des plus gros producteurs de PFAS au monde a annoncé fin 2022 qu'il arrêterait ses productions fin 2025. Nous devons traiter ce risque d'obsolescence, ce qui explique que nous devons avancer très rapidement sur le sujet », alerte Hélène Ierno-Rochais.

Comme la France et l'Europe sont pour l'instant les seuls à afficher une volonté de réglementer l'usage des polluants éternels, les industriels craignent aussi une distorsion de concurrence ou une réorganisation de la production.

« Pour fabriquer les mélanges, Michelin est obligé d'utiliser sur les machines un revêtement anti-collant à base de fluoropolymères. Si on les supprime, nous ne pourrons plus produire certaines gammes en Europe », signale Aurélie Clair.

Même si les industriels planchent sur des alternatives aux polluants éternels, ils se préparent d'ores et déjà à des solutions de remplacement moins efficaces : « Aujourd'hui, les PFAS sont extrêmement performants dans certains cas d'application. Ils ne seront pas remplaçables à court-terme par une autre solution. Il existera toujours un écart au niveau des performances en termes de tenue en température, de conditions de frottement », glisse Guillaume Desbordes, chef de projet R&D dépôts PVD chez Citra (centre d'ingénierie en traitements et revêtements de surface avancés.

Une alternative pour les avions électriques

Des résultats prometteurs sont espérés en revanche sur de nouvelles architectures d'avion. A Toulouse, l'IRT Saint-Exupéry pilote ainsi un projet, baptisé Grinhelec (GReen INsulation for High power ELECtrical harnesses) qui vise à rendre possible l'utilisation d'un isolant bio-sourcé, d'origine végétale et haute température développé par Arkema. en lieu et place des isolants fluorés pour les câbles des futurs avions électriques.

« Aujourd'hui, nous utilisons le téflon au niveau des moteurs thermiques, la température peut monter à 260 degrés. Mais dans la zone moteur des avions électriques, les températures maximales ne pourront pas excéder, on va dire 150 à 200 degrés. C'est la raison pour laquelle nous pouvons imaginer des solutions alternatives au téflon », lance Pierre Henrard, chef de projet à l'IRT Saint-Exupéry. Le projet, qui implique notamment Airbus et Safran, doit durer jusqu'à fin 2026.

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