Sigfox : Ludovic Le Moan vise "les 100 millions d'objets connectés en 2023" sur son réseau 0G

Son livre, le plan social qui touche Sigfox, la vente de ses réseaux d'antennes, l'avenir de son réseau bas débit qu'il appelle la 0G, son opinion sur la 5G, ses nouvelles ambitions dans l'univers de l'IoT... Le président de la société toulousaine Sigfox, Ludovic Le Moan, répond sans détour à toutes ces questions dans un entretien accordé à La Tribune et expose les grandes lignes de la nouvelle stratégie de son entreprise. Interview exclusive.
Le patron de Sigfox, Ludovic Le Moan, confie à La Tribune sa nouvelle feuille de route pour son réseau bas débit dédié à l'Internet des Objets (IoT).

La Tribune - Pourquoi avoir publié votre livre intitulé "Zéro G" en ce début d'année, alors que l'actualité des télécommunications en 2020 est accaparée par l'émergence de la 5G ? Quel message avez-vous voulu faire passer à travers celui-ci ?

Ludovic Le Moan - J'ai voulu écrire ce livre et le nommer de cette façon non pas en prétendant que c'est l'opposé de la 5G. Pour moi, cette technologie consiste à permettre d'avoir plus de capacité haut débit dans des lieux où il y a beaucoup de monde, c'est cela ma définition de la 5G, le reste n'est que de la foutaise. Je ne dis pas qu'il ne faut pas de 5G, mais à l'opposé du spectre, il y a des besoins de frugalité et dans mon livre, je démontre que la zéro G c'est la frugalité. Le secteur des télécommunications pourrait être un domaine de réflexion pour continuer à progresser sans pour autant pousser les curseurs dans le rouge. Je ne suis pas dans la décroissance joyeuse, mais l'idée est d'instaurer une réflexion frugale dans le développement de l'économie.

La zéro G peut être un moyen d'apporter un progrès social, environnemental et dans la souveraineté. Ce dernier aspect est la plus grande menace que la France peut avoir. Si nous laissons quelques années, quand on observe la puissance des GAFA et des Chinois, nous ne sommes pas très loin de devenir demain dépendants de ces deux forces-là. Plus que gagner de l'argent, je démontre comment on peut faire pour avoir une alternative.

Vous venez de l'aborder : ce terme de "frugalité" revient des dizaines de fois au cours des 170 pages de votre ouvrage. Est-ce un choix volontaire et assumé ? Pourquoi cette insistance ?

La frugalité et la zéro G, pour moi, c'est ni plus ni moins qu'adapter les moyens aux besoins. Ma priorité est celle-ci : répondre à un besoin par le bon moyen. Quand on dit qu'il faut la 5G pour tout le monde, honnêtement je ne suis pas d'accord. Alors que la Terre brûle, je ne me casse pas la tête, après la 4, je fais la 5 en mettant plus de débit parce que cela se vend bien. Les consommateurs mangent cela en achetant les derniers smartphones et écrans. Cela fonctionne depuis la nuit des temps, avec un marketing de plus en plus puissant. Est-ce-que c'est ce que nous voulons ? Pour moi, la réponse est non.

Nous pouvons créer des choses utiles dans le domaine de la santé par exemple, issues d'une réflexion profonde. Et il est vrai que c'est difficile pour moi d'expliquer ce que serait la zéro G, comment on fait un réseau mondial bas débit, qui ne consomme quasiment pas d'énergie et qui va amener des nouveaux services à tout le monde. Par exemple, les personnes âgées qui tombent chez elles sans que personne ne puisse venir les aider. Si nous avions tous un bracelet qui coûte quelques euros, qu'on donnerait à partir d'un certain âge et quand cette personne tombe cela génèrerait une alerte, tout en prévenant les personnes autour de soi. Pour quelques euros, est-ce que la dignité humaine ne serait pas meilleure avec cet équipement ? La zéro G est un vrai sujet de société et ce sont ce type d'exemples qui ne sont pas faisables en dehors de la zéro G sur lesquels il faut se pencher.

Si les acteurs des télécommunications annoncent un monde hyperconnecté grâce et par la 5G, ne craignez-vous pas que la zéro G soit perçue comme un recul technologique pour le consommateur ?

C'est une bonne remarque et cela peut être perçue ainsi. Mais je ne suis pas en train de dire que la zéro G peut remplacer la 5G, ou qu'il faut arrêter la 5G. Dire cela serait une pure connerie, car je pense que la zéro G ne permet pas de faire plein de choses que la 5G permettrait de faire. Mon but n'est pas de les opposer. Pour moi, la zéro G c'est le réseau qui est là pour durer car nous sommes dans le très bas débit, avec une logique que plus le temps passera, plus l'énergie nécessaire pour envoyer un message en zéro G baissera. S'il devait y avoir une évolution dans la 0G, cela serait comment faire en sorte que l'énergie utilisée dans le réseau, dont les terminaux se servent pour communiquer avec la 0G, tende vers zéro. C'est l'objectif de la 0 G.

A contrario, avec la 2G, 3G, etc, nous changeons les standards, donc il faut jeter les équipements et en prendre des nouveaux. La 0 G est là pour l'humanité. Elle sera partout. Si demain il y a un tremblement de terre ou des inondations comme récemment, où les communications étaient devenues impossibles car l'eau a tout ravagé, nous aurons encore de la zéro G. Donc on pourrait toujours envoyer des alarmes et avoir des boutons "détresse" dans les villages qui fonctionnent encore.

Vous écrivez : "Nous ne sommes pas encore conscients qu'une transformation radicale de nos modèles économiques, de nos modes de vie, de nos façons de communiquer et de consommer se produira à plus ou moins brève échéance. Nous allons passer de la préhistoire à l'âge d'or de l'IoT". Par conséquent, ne pensez-vous pas que Sigfox est arrivé trop tôt sur le marché ? Que l'opinion n'est pas encore prête à entendre votre discours ou du moins à vous accompagner dans ce projet de la zéro G ?

Ce n'est pas simple à répondre. J'aurais tendance à dire oui et non. Il a fallu quelques années pour que la technologie Sigfox soit vraiment robuste et efficace, et même attendre 2014 pour avoir quelque chose qui fonctionne de manière industrielle et fiable. Cette durée est incompressible car entre l'idée et la mise au point, il faut du temps. Entre 2015 et 2020, avons-nous tenu nos attentes ? Je dis non parce que je pensais que ça monterait plus vite que cela et que la montée en maturité serait plus rapide. Si je crée Sigfox en 2020, alors que personne ne parlait de bas débit avant nous, les choses se reproduiraient à peu près de la même façon. Oui j'aurais bien aimé que ça aille plus vite, mais je pense que si je démarrais aujourd'hui, il faudrait autant de temps pour faire grandir le marché et la maturité technologique. Peut-être qu'on gagnerait un an ou deux, grâce aux besoins des entreprises qui veulent désormais connecter leurs conteneurs, leurs voitures, etc. Pour moi, le grand public ne va pas être un acheteur de la zéro G avant longtemps. Nous serons plutôt sur du B to B to C.

"Pour délivrer la promesse d'un réseau sans zone blanche, il faut y associer une constellation d'une quarantaine de nanosatellites", comme vous l'écrivez page 110. Alors, justement, où en êtes-vous dans le développement de votre constellation en partenariat avec Eutelsat ?

Il y a eu quelques retards à l'allumage, à cause d'une fusée qui a explosé. Notre technologie n'était pas dedans mais cela a retardé le lancement et il y a eu la Covid-19. Aujourd'hui, les satellites sont prêts et ils devraient être lancés avant la fin de l'année. Deux d'ici fin 2020 pour faire des tests et mises au point, et les autres au fil du temps sur les années 2021 et 2022. Cela prendra peut-être deux à trois ans, mais ce service mis en oeuvre avec Eutelsat va être vraiment un complément du réseau terrestre de Sigfox et non pas un concurrent. Surtout, ce qu'à réussi à faire Sigfox, et qui est unique, c'est le même terminal qui parlera avec un réseau sol, mais aussi un satellite, sans surcoût additionnel, et non pas un pour chaque réseau. Personne d'autre n'est capable de faire ça aujourd'hui.

Vous le présentez comme un complément à votre réseau terrestre, mais vous venez de vendre votre réseau d'antennes allemand à Cube Infrastructure Managers. Des discussions en ce sens seraient aussi enclenchées pour vos réseaux français et américains. Confirmez-vous ces échanges ?

C'est vrai, mais il faut comprendre que la constellation de satellites dont nous parlons n'appartiendra pas à Sigfox, mais à Eutelsat. Et donc les antennes aujourd'hui appartiennent à des fonds d'infrastructures dont c'est le métier, cela fait beaucoup plus de sens plutôt qu'elles appartiennent à Sigfox. Nous avons appris à faire le déploiement et la maintenance d'antennes, mais ce n'est pas là où nous sommes les meilleurs. Il y a des groupes et notamment Cube, dont c'est leur métier. Ils sont mieux aguerris que nous pour le faire.

Ces ventes sont-elles donc le témoin d'un recentrage stratégique de Sigfox autour du software, de la data et du cloud uniquement ?

On peut dire que c'est un recentrage, mais pour moi c'est davantage une évolution naturelle. Quand nous avons démarré il y a 10 ans, personne n'imaginait que nous aurions besoin d'un réseau bas débit. Il a fallu du temps pour le faire admettre. Nous avons donc été obligés de démontrer que la proposition de valeur était pertinente et réaliste en concevant et installant nos antennes. Mais si j'avais eu en 2010 ou 2011 un acteur comme Cube qui m'aurait proposé de s'occuper du réseau, tout en me laissant gérer le cloud, j'aurais signé. Sauf qu'à l'époque, ces acteurs ne nous regardaient pas en disant que notre truc était une pure utopie. Nous avons eu besoin de 10 ans pour que ce type de structure nous prennent au sérieux et décident d'investir.

Au-delà de la crise sanitaire qui fragilise un grand nombre d'entreprises, la séparation de votre réseau hardware n'est-elle pas la décision qui a provoqué la nécessité d'un PSE chez Sigfox, de 47 personnes comprenant 25 départs volontaires, sur près de 400 salariés ?

C'est en partie la raison... Il y a des postes qui ne sont plus pertinents dans Sigfox et il y a aussi le fait que nous sommes rentrés dans une crise comme tout le monde le sait et nous ne savons pas combien de temps cela va durer et quels vont être ses impacts. Par conséquent, en mars, nous nous sommes dits qu'il était urgent de faire des économies et de voir quels sont les projets prioritaires chez Sigfox et ceux secondaires. Et par pure protection, afin d'assurer le développement de la société à long terme, nous avons décidé d'interrompre un certain nombre de projets, et donc par la même occasion supprimer des ressources associées qui n'étaient plus utilisés. C'est pour cette raison que nous nous retrouvons avec des personnes dans un plan social. De fait, l'évolution naturelle de l'entreprise et la crise de la Covid-19 nous obligent à être plus prudents. Ce sera plus facile de relancer demain des projets que nous arrêtons maintenant, plutôt que garder tout le monde et quand le mur arrive se dire : nous avons parié et nous avons perdu, ce qui serait dramatique. Nous avons le devoir que ce projet aille au bout et délivre sa promesse.

Vous faites part de vos inquiétudes autour des conséquences sur le marché et les investisseurs. À ce propos, l'année dernière vous accordez une interview à La Tribune en évoquant qu'il ne manquait plus que 300 millions d'euros pour une couverture mondiale en zéro G. Alors en êtes-vous dans cette quête de fonds ?

Cette remarque que j'ai faite a été mal comprise je pense. Pourquoi j'ai dit ça ? Sigfox a levé aujourd'hui environ 300 millions, nos partenaires, les Sigfox coopérateurs, ont levé ensemble la même somme. Cela fait donc 600 millions d'euros à date investis pour créer ce réseau mondial et j'ai estimé à 300 à 400 millions l'investissement global qui reste à faire pour avoir un réseau planétaire. Mais ce n'est pas Sigfox uniquement, ce sera avec les partenaires que nous recrutons. Dans cette enveloppe, nous aurons peut-être quelques dizaines de millions à aller chercher. Mais la majorité de ces 300 millions, ce sont des acteurs qui vont rejoindre le réseau Sigfox et qui vont investir dans l'achat et le déploiement d'antennes. Mais ce n'est pas notre entreprise qui a besoin de ces 300 millions d'euros, nous avons atteint quasiment l'équilibre.

Plus de 10 ans après la création de votre société pour mettre en œuvre ce réseau dédié à l'IoT, quelle est votre feuille de route pour l'avenir, notamment en nombre d'objets connectés ? Vous qui visez initialement le milliard d'objets connectés à la 0G en 2023...

Disons-le ! Nous avons fait un projet interne qui était trop ambitieux, avec un milliard d'objets en 2023. Nous le savions bien que ce n'était pas tenable, mais parfois il faut des rêves et essayer de s'en rapprocher. C'est un objectif que nous comptions atteindre en développant la technologie que nous appelons SFID (technologie RFID), des puces qui coûteraient quelques dizaines de centimes et qui pourraient être collées sur des chariots, palettes, etc. Nous travaillons toujours sur ce projet mais il va prendre plus de temps que prévu, car il n'est plus prioritaire avec la Covid-19. Aujourd'hui, nous sommes donc à 16 millions d'objets connectés en 2020. Si tout va bien, l'enjeu sera d'atteindre les 100 millions en 2023. Au départ, on misait sur 2023 pour lancer notre technologie SFID, qui sera bien plus performante que la RFID, en espérant maintenir les efforts R&D sur ce projet, mais ce n'est pas le cas, donc nous nous dirigeons vers une mise en service en 2025.

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Commentaires 5
à écrit le 08/10/2020 à 14:39
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"Adapter les moyens aux besoins" ? Comme c'était le cas en URSS? Accorder tant de mètres carrés par personne ? Décider qui a droit à quoi ? Non mais, je cauchemarde!

à écrit le 08/10/2020 à 9:16
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Sigfox est mort. La 5G va eliminer son marché, c est trop tard pour eux. Il a eut raison de recruter Lauvergeon (ex Areva): elle vient de couler sa 2eme societe

à écrit le 08/10/2020 à 8:38
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"Un livre" "c'est cela ma définition de la 5G, le reste n'est que de la foutaise" A économie bidon, protagonistes bidons.

à écrit le 07/10/2020 à 21:41
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et l'on détruit les paysages et les forêts en campagne avec des monstres d'éoliennes de 200 m de haut dont la production d'électricité ne remplacera pas le charbon ou le nucléaire mais viendra s'ajouter pour pourvoir me connecter avec mon frigo.... ...

à écrit le 07/10/2020 à 21:17
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Les produits connectés, le truc de bobo, inutile par nature. Sigfox a mangé son pain blanc, la mode est passée, en plus avec la crise qui arrive.

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