Le Festival TV de Luchon, une véritable gabegie financière ?

C'est un séisme dans la scène culturelle régionale devant l'importance de cette manifestation. Plusieurs prestataires du Festival audiovisuel de Luchon accusent sa direction de factures impayées, sur plusieurs éditions. Conscient du problème de trésorerie, les organisateurs travaillent à l'élaboration d'un fonds de soutien pour remplir les caisses. Suffisant pour satisfaire des collectivités qui ont suspendu leurs subventions, dans l'attente de la tenue d'une réunion de crise ?
Christian Cappe, le directeur du festival audiovisuel de Luchon, est accusée de mauvaise gestion financière par de nombreux prestataires impayés.
Christian Cappe, le directeur du festival audiovisuel de Luchon, est accusée de mauvaise gestion financière par de nombreux prestataires impayés. (Crédits : Festival TV de Luchon)

Les services du conseil régional d'Occitanie demandent une réunion d'urgence devant l'ampleur de la situation, avec tous les acteurs du dossier. « Nous sommes de plus en plus interpellés par des prestataires du festival audiovisuel de Luchon qui ne sont pas payés », commente un proche du dossier au sein de la collectivité. Depuis plusieurs jours, la direction de ce rendez-vous annuel de la fiction française dans cette commune aux pieds des Pyrénées doit faire face à de multiples témoignages d'impayés de ses prestataires.

« À l'été 2021, j'ai été nommé co-directeur artistique du festival mais en septembre je n'étais toujours pas payé. J'ai donc décidé d'arrêter la collaboration. Avec l'aide de mon avocat, j'ai récupéré 4.000 euros mais on me doit encore 2.000 euros », commente Luc Adam, un prestataire parisien attaché de presse dans la fiction, joint par La Tribune.

Grâce à un appel sur les réseaux sociaux, ce professionnel de la filière audiovisuelle est parvenu à rassembler une quinzaine de prestataires divers aussi victimes d'impayés de la part du festival de Luchon. Ensemble, ils ont la volonté de porter une action commune en justice si aucune évolution en leur faveur n'intervient rapidement.

« Mes coordonnées étaient sur la plaquette informative de l'édition 2022. Les prestataires, n'arrivant pas à joindre la direction, m'ont contacté et au fil des semaines j'ai pris conscience de l'ampleur de la situation. Beaucoup de professionnels de l'édition 2022 et même avant ne sont toujours pas payés », partage à son tour Cathy Sanchez, l'ancienne programmatrice de la sélection espagnole de l'édition 2022, qui attend encore 1.250 euros en sa faveur.

Des hôteliers face à des impayés

Dans les témoignages, un homme concentre toutes les critiques : Christian Cappe, le directeur du festival de Luchon qui s'est vu confier la production de celui-ci par la mairie depuis l'édition 2022. « Il a mis en place une escroquerie généralisée », peste Anaita Bostoni, la gérante de la société toulousaine Framirex, qui a fourni des décors de scène pour l'édition 2022 de la manifestation culturelle. Sur le montant de 5.000 euros demandé par son  entreprise, seulement 3.500 ont été payés à ce jour malgré de multiples relances. « C'est un hypocrite et un escroc qui vole le festival à de formidables bénévoles. Personne ne comprend pourquoi il est encore là », lâche Mélanie Degoy, qui a été attachée de presse pour les médias espagnols sur l'édition 2022 et dont son employeur de l'époque, Ligne Sud, attend encore 4.000 euros de la part des organisateurs.

« Il se plaint qu'il a des moyens limités pour le festival mais les frais engagés par Christian Cappe, à la charge du festival de Luchon, pour lui sont effrayants. Il passe des semaines entières à l'hôtel plutôt que de prendre un appartement sur Luchon », dénonce cette ancienne prestataire.

Si la parole se libère pour les professionnels hors Luchon, c'est loin d'être le cas pour les hôteliers et restaurateurs locaux malgré les ardoises laissées par le festival. Le silence règne face à la peur d'être mis au banc pour les éditions futures, car pour certains cette manifestation représente une part non négligeable du chiffre d'affaires, même avec des impayés.

« De ce que je sais, il y a quatre à cinq hôteliers et deux à trois restaurateurs qui ont des impayés de l'édition 2023 et même avant. Mais tout le monde se tait aussi par peur de ne pas être payé s'ils parlent. Personnellement, le festival de Luchon me doit encore 6.500 euros pour l'édition 2023 et cela représente un dixième de mon chiffre d'affaires. Je suis obligé de vendre mon minibus pour apporter de la trésorerie dans mon affaire », témoigne Christophe Deschamps, le président de l'association des commerçants et des artisans du Luchonnais, et propriétaire d'une maison d'hôte dans le centre-ville de Luchon.

Devant ces nombreux signalements, le conseil régional d'Occitanie a lancé un audit pour connaître la réelle situation financière du festival de Luchon et de l'association l'Union Francophone qui porte officiellement la manifestation. « Des prestataires et des hôteliers locaux pas payés, ça ne peut plus durer », prévient la collectivité qui souligne que le festival de Luchon « fait partie des festivals audiovisuels les plus aidés en Occitanie ». « Son fonctionnement interroge vraiment. Comment peut-on laisser des ardoises jusqu'à 8.000 euros dans un hôtel de la ville ? », poursuit cette même source.

Un fonds de soutien au festival de Luchon en préparation

Joint par La Tribune, Christian Cappe, le directeur du festival, ne nie pas qu'il doit faire face à une situation financière complexe. Et ce malgré les 500.000 euros de financement (apportés à parts égales par le public et le privé), selon ses dires.

« Le festival de Luchon rencontre des problèmes de trésorerie (...) Tout  ne sera pas réglé en un claquement de doigt mais chaque dossier sera régularisé au fil du temps. Il est normal que tous les prestataires soient payés pour les prestations réalisées. Je veux résoudre cette antériorité et véhiculer de la sérénité dans ce dossier », répond le dirigeant face aux critiques.

Pour démontrer sa bonne foi, il fait savoir qu'il a procédé à « des économies de gestion excessivement importantes », notamment sur la masse salariale. Par ailleurs, Christian Cappe annonce qu'il souhaite diversifier le festival de Luchon, spécialisé dans la fiction et les documentaires, vers ce que la filière audiovisuelle nomme les programmes de flux (télé-réalité, divertissement, magazine, etc) afin d'obtenir de nouveaux partenaires privés dont les financements se seraient raréfiés depuis la crise sanitaire.

Par ailleurs, il travaille sur la création d'un fonds, qui sera abondé par des acteurs privés de la filière audiovisuelle française, afin de répondre aux besoins de trésorerie nécessaires sur les éditions futures en amont.

« Nous avons déjà des accords de principe pour des versements dans ce fonds de la part de professionnels et de diffuseurs. Mais il est encore trop tôt pour communiquer dessus. Je souhaite pouvoir annoncer ces soutiens d'ici deux mois. C'est mon gros challenge de ces prochaines semaines », confie à La Tribune Christian Cappe.

Une nouvelle organisation à instaurer ?

Enfin, le directeur du festival met en avant des retards de versement des subventions de la part des collectivités partenaires, à savoir la mairie de Luchon, le conseil départemental de Haute-Garonne et la Région Occitanie. Mais pour ces dernières, la raison est tout autre.

« Dans le cadre de l'instruction du dossier de demande de subvention de la 25ème édition du Festival TV de Luchon, le Conseil départemental a demandé des précisions à la direction du festival sur la destination précise de la subvention, en rappelant que son soutien était exclusivement destiné à l'organisation de l'édition du festival.
Les pièces demandées n'ayant à ce jour pas été fournies par le Festival TV de Luchon, le Département a décidé de suspendre sa subvention pour l'édition 2023, d'un montant de 95.000 € », fait savoir à La Tribune la collectivité présidée par le socialiste Sébastien Vincini.

Le conseil régional d'Occitanie a pris la même décision à propos de sa subvention 2023, suspendue en attendant les résultats de l'audit. « Mais en décembre 2022, Christian Cappe n'avait toujours pas sollicité la subvention de 50.000 euros attribuée au titre de l'édition 2022 malgré le vote favorable de la collectivité », fait savoir la collectivité présidée par Carole Delga, voulant souligner la mauvaise gestion financière de la manifestation.

Néanmoins, ses services estiment qu'il est « important de maintenir le festival de Luchon ». Une position partagée par tous les prestataires lésés interrogés par La Tribune, qui se disent prêts à revenir si une nouvelle gestion est mise en place sans l'association L'Union Francophone dans le spectre. « Il faudrait que cet événement soit porté par une collectivité », propose Christophe Deschamps, le président de l'association des commerçants locaux.

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