Occitanie : la filière agroalimentaire face au réchauffement climatique

Entre la raréfaction de l’eau et la pression des consommateurs pour consommer local, le premier secteur employeur d’Occitanie tente de faire face à la hausse du thermomètre. Décryptage d’une situation inquiétante pour ce poumon économique régional, malgré des initiatives prometteuses.
La filière souffrant d’un manque d’attractivité de ses métiers, Area Occitanie a créé un programme pour les présenter à des collégiens, lycéens et des apprentis.
La filière souffrant d’un manque d’attractivité de ses métiers, Area Occitanie a créé un programme pour les présenter à des collégiens, lycéens et des apprentis. (Crédits : Rémi Benoit)

L'aéronautique n'est pas le premier employeur régional en Occitanie. C'est un constat qui pourrait surprendre plus d'une personne, mais c'est bien la réalité. Selon une enquête de l'Insee parue en 2018, la filière aéronautique et spatiale régionale emploie environ 86 000 salariés, voire 102 000 si sont pris en compte les métiers partagés avec d'autres secteurs. Malgré ces statistiques impressionnantes, c'est bien la filière agroalimentaire qui représente, et de loin, le plus important employeur de la région. Selon le Conseil régional Occitanie, qui a fait de l'alimentation l'une de ses priorités, ce secteur d'activité représente 164 000 emplois, pour 83 000 exploitations agricoles et 7 200 entreprises agroalimentaires. Et ces données ne demandent qu'à croître selon les acteurs de la filière.

"Dans le secteur de l'agroalimentaire uniquement, et non pas dans la filière qui englobe les exploitations, les entreprises n'arrivent pas à recruter et c'est un frein à leur développement économique. Au niveau régional, Pôle emploi estime à 21 000 le nombre d'emplois non pourvus dans notre secteur d'activité, ce qui est faramineux. Nous souffrons d'un gros problème d'attractivité de nos métiers et de nos formations, sans oublier les divers scandales qui ont terni notre image", regrette Vincent de Lagarde, le directeur général de l'Association régionale des entreprises alimentaires d'Occitanie (Area).

Si l'on en croit l'enquête de Pôle emploi sur les besoins en main-d'œuvre pour l'année 2019, près de 47 000 intentions d'embauche sur toute la filière agroalimentaire ont été comptabilisées en prenant en compte le besoin des exploitants agricoles. Alors, pour tenter d'y remédier, l'Area Occitanie a lancé son réseau d'ambassadeurs composé d'une cinquantaine de personnes en poste afin qu'ils présentent leur métier à des collégiens, des lycéens et des apprentis. "Ce sont des opérateurs d'entreprises, spécialement formés à cette occasion, qui viennent s'exprimer avec passion deux à trois fois par an devant de jeunes publics" précise le représentant.

Mastodonte en danger

Malgré ces difficultés de recrutement, la filière agroalimentaire génère annuellement 13,7 milliards de chiffre d'affaires, répartis de manière équitable entre la production agricole (7,1) et l'industrie agroalimentaire (6,6). Pour expliquer ces chiffres, la région Occitanie peut avancer le fait qu'elle est la première région viticole mondiale en vins d'appellation, la première région française ovine et apicole, mais aussi la première sur l'agriculture biologique avec 10 % de sa surface agricole utile convertis, répartis entre 5 500 exploitations. De plus, la seconde région agricole de France dénombre 250 produits sous signes officiels de qualité (SIQO), portant à 42 % la part de la production agricole placée sous SIQO, d'après l'agence de développement économique Ad'Occ.

Néanmoins, ce véritable poumon économique et son savoir-faire qui en fait une vitrine pour l'Occitanie sont mis en péril par le changement climatique. Par exemple, les fortes chaleurs du printemps 2019 ont fait mûrir trop en avance les prunes, qui se sont retrouvées sur les étals des marchés et supermarchés plusieurs semaines trop tôt. Les producteurs de cette denrée ont dû gérer des stocks trop importants par rapport à un rythme de production normal et ont été dans l'obligation de baisser leurs prix, fragilisant certaines exploitations agricoles dans la région. Surtout, en plus de devoir gérer les périodes de fortes chaleurs pour certains, d'autres craignent les conséquences du phénomène de raréfaction de l'eau, constaté ces dernières années. Selon la Draaf Occitanie, pas moins de 10 000 exploitations de la région sont dépendantes économiquement des disponibilités en eau pour sécuriser leur production. Surtout, les prévisions sont loin d'être rassurantes... Le bassin Adour-Garonne (dont dépend la région Occitanie) accuse un déficit annuel de 250 millions de mètres cubes en eau, qui est même estimé à 1,2 milliard de mètres cubes d'ici à 2050 si rien n'est fait d'ici là.

Pour ne rien simplifier, la profession doit également composer avec la pression de la société de plus en plus à la recherche de produits locaux et conçus dans le respect de l'environnement.

"Il y a une prise de conscience sur la qualité et l'origine du contenu de notre assiette, mais aussi une pression de plus en plus forte de la part à la fois du consommateur et des distributeurs auprès des entreprises de l'agroalimentaire sur toutes les questions autour de l'environnement. Cela concerne aussi bien la problématique de l'emballage, de l'énergie, du traitement des déchets que du bien-être animal", explique Vincent de Lagarde.

Une transition en cours

Pour répondre à ces multiples enjeux, la région Occitanie et ses acteurs se sont tout d'abord penchés vers la solution technologique. Avec cette prise de conscience autour du changement climatique, des entreprises ont alors connu un développement important de leur activité, à l'image de Naïo Technologies fondée en 2011. Cette PME d'une quarantaine de salariés a mis au point plusieurs robots autonomes et électriques pour entretenir les exploitations avec moins de pesticides et d'eau. Elle vise ainsi un chiffre d'affaires de 10 millions d'euros dès 2021.

Parallèlement, l'entreprise Delair basée à Labège (Haute-Garonne), spécialisée dans la production et la vente de drones ainsi que l'utilisation des données récoltées, a mis au point un modèle du nom de UX11 Ag pour favoriser une agriculture de précision, connectée et intelligente. Associé à l'utilisation de la plateforme Delair Aerial Intelligence qui analyse les données captées par les drones, les exploitants utilisateurs peuvent  connaître, par exemple, le taux d'humidité d'une partie de l'exploitation de manière très précise ou déterminer s'il est nécessaire de traiter les plantations. La société toulousaine, qui vise un millier de clients d'ici à la fin de 2019 pour cette plateforme lancée en février, mise particulièrement sur le secteur agricole comme zone de chalandise.

Enfin, la startup castraise Sinafis (voir page 8) propose des sondes bon  marché aux exploitants afin qu'ils mesurent le taux d'humidité de leur récolte et qu'ils diminuent leur consommation en eau. Mais ces initiatives technologiques ne sont qu'une infime partie des solutions proposées sur le marché et, surtout, elles ne règlent le problème que sur la forme et non sur le fond. Car ce ne sont pas seulement quelques pratiques
qu'il faut revoir mais bien toute la filière agroalimentaire, comme les méthodes de consommation de la société.

"Il ne faut pas croire que le modèle n'a pas déjà évolué car il est déjà en pleine évolution. Les agriculteurs font les efforts mais ils se demandent s'ils doivent aller plus vite dans cette évolution", tempère Jean-Michel Fabre, le vice-président du conseil départemental de Haute-Garonne chargé de l'Environnement.

L'essor de la protéine végétale

Cette collectivité a d'ailleurs lancé il y a un an la mission Garonne Amont, en y associant citoyens, associations, agriculteurs et entreprises. Ce panel doit ainsi réfléchir à la gestion et à l'utilisation de l'eau sur le département  pour les décennies à venir et son premier rapport doit être présenté prochainement. Le conseil régional Occitanie participe lui aussi dans ses compétences à la transition du modèle agroalimentaire en soutenant l'émergence d'une filière régionale de production de légumineuses, autour d'une démarche nommée Fileg.

"Les légumineuses sont des plants qui piègent l'azote atmosphérique et qui ne nécessitent donc pas d'engrais azoté pour les cultiver. Par conséquent, ce projet va participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre", décrypte Christophe Vogrincic de l'institut Terres Inovia, impliqué dans le projet.

Actuellement, la région Occitanie compte près de 80 000 hectares de production de légumineuses à graines et l'ambition de la démarche Fileg est d'atteindre au cours des prochaines années le cap des 200 000 hectares. Une augmentation de ce type de production sera alors en adéquation avec la demande croissante en protéines végétales. Selon le rapport "Agriculture-Innovation 2025" réalisé par le ministère de l'Agriculture, la consommation de cette protéine devrait connaître une hausse de 30 % entre son niveau de 2010 et celui de 2030.

En réduisant sa consommation de protéines animales au profit de la végétale, le consommateur veut ainsi préserver l'environnement des rejets de méthane liés à la digestion du bétail et du stockage de fumier : l'élevage bovin concentre en effet la majorité des rejets de gaz à effet de serre de la filière agroalimentaire. Néanmoins, la transformation de notre mode d'alimentation et sa filière d'approvisionnement ont un coût, amené à être partagé entre tous.

"Le problème est que nous avons des produits alimentaires qui ne sont pas payés à leur juste valeur. Auparavant, l'alimentation représentait de 40 à 50 % des dépenses d'un ménage, mais, aujourd'hui, ce chiffre est retombé à 14 %. Dès lors, si le consommateur tient à bénéficier d'un système vertueux pour l'environnement, il devra être prêt à payer des aliments un peu plus chers qu'actuellement, dans un système gagnant pour les producteurs, les transformateurs, les distributeurs et lui-même", conclut Vincent de Lagarde.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.