Luc Julia, Samsung Innovation : "Pourquoi nous investissons dans les startups"

Luc Julia est le vice-président et responsable du Centre de l'Open Innovation du géant coréen Samsung. Visionnaire et développeur hors pair, il a travaillé au Standford Research Institute, a créé plusieurs startups, avant de se faire connaître chez Apple en développant l'assistant vocal personnel Siri. Aujourd'hui, Luc Julia mise sur l'internet des objets. C'est pourquoi Samsung a investi dans Sigfox. Il était présent à Labège pour les Innovation Days, la semaine dernière. Interview.
Luc Julia, originaire de Toulouse, est responsable du Centre de l'Open Innovation du géant coréen Samsung

Pourquoi Samsung a investi dans la startup de Labège Sigfox ?
Au printemps dernier, nous sommes en effet entrés au capital de Sigfox, ce qui a marqué le premier investissement dans une startup française pour Samsung (si l'on considère que Sigfox est une startup !). Cela fait partie de la stratégie de Samsung de supporter l'écosystème des startups en général, et de l'IoT en particulier. Par ailleurs, nous investissons dans des choses que l'on compte utiliser et voir progresser. Donc, nous comptons bien utiliser la technologie de Sigfox dans nos prochains composants hardware.

Samsung va connecter tous ses appareils électroménagers ?
Nous avons annoncé au CES de Las Vegas en 2015 que tous les objets électroménagers de Samsung dans le monde (machines à laver, frigos, aspirateurs....) seront connectés d'ici à 2020, et certainement avant 2017. C'est très ambitieux et cela a un but : rendre de meilleurs services aux utilisateurs, car nous sommes une entreprise grand public.

Concrètement, est-ce vraiment utile de "connecter" une machine à laver ?
Imaginons qu'une machine finit son cycle, et vous envoie un message pour vous le dire. Personnellement, je trouve cela utile car j'oublie souvent mon linge dans la machine et je me rends compte au bout de trois jours que j'aurais dû mettre le linge dans la machine à sécher. Il s'agit juste de faciliter la vie. On peut aussi imaginer un outil de prévention de la casse : si des filtres s'encrassent ou s'usent, un capteur va envoyer un message à l'utilisateur ou au service de maintenance et la pièce sera changée avant qu'elle ne casse.

N'est-ce pas "infantiliser" les utilisateurs ?
Au contraire, c'est leur rendre service. Est-ce grave de laisser le linge pendant 3 jours dans la machine ? Non, ce n'est pas grave mais c'est embêtant parce que ça sent mauvais et il faudra recommencer. Je préfère simplement être prévenu que ne pas être prévenu. Depuis 30 ans, mon objectif est le même : rendre service aux humains à travers la technologie.

À 27 ans, vous avez quitté votre Sud-Ouest natal pour faire vos études au Stanford Research Institute et vous avez découvert la Silicon Valley. Quel souvenir en gardez-vous ?
C'est un jour qui a changé ma vie. Au départ, ce n'était pas mon rêve. Moi, je voulais être chercheur pour le CNRS depuis que j'étais enfant, et c'est finalement ce que j'ai fait. Mais j'en avais assez de la façon dont les chercheurs passaient leur temps à se disputer sur des questions de budget et de pouvoir, au lieu d'essayer de travailler ensemble.

Quand je suis arrivé au Stanford Research Institute, j'ai vu quelque chose que je n'avais pas vu avant : tous les petits génies de toutes les grandes entreprises (HP, Apple, IBM, etc.) étaient réunis dans un amphi et réfléchissaient ensemble. Il y avait une émulation hors normes, j'étais scotché. Tous ces gens tentaient ensemble de découvrir des innovations et de faire avancer le schmilblick. Ils n'avaient pas peur de la compétition. Ces hommes, individuellement, valaient des milliards. Ils discutaient entre eux, en jean et t-shirt à capuche, et ils étaient comme des gamins. Ils cherchaient la bonne idée. Il régnait un esprit vraiment particulier, très motivant.

Pensez-vous que l'IoT Valley peut devenir une Silicon Valley ?
La Silicon Valley est différente de tout ce qu'on peut voir partout dans le monde, et c'est idiot d'essayer de la reconstituer, parce que ce n'est pas possible. On ne pourra jamais recréer la Silicon Valley en France. Il faut se rappeler que les débuts de la Silicon Valley, c'était une émulation incroyable mais aussi un grand n'importe quoi : ceux qui ont les idées et ceux qui ont l'argent se côtoyaient, et les capitaux risqueurs finançaient tout et n'importe quoi, jusqu'à la crise de 2008. Néanmoins, on voit à Toulouse une envie de définir un lieu où les gens vont collaborer et partager leurs expériences. Il est possible de créer un écosystème où les gens s'entraident, même s'ils sont en compétition. C'est un peu ça, la magie de la Silicon Valley, et ce n'est pas facile à obtenir.

Vous avez travaillé plusieurs années aux côtés de Tim Cook chez Apple. Quel est le pire souvenir que vous gardez de cette époque ?
Le pire moment, c'est quand j'ai mis Tim Cook en colère. Un jour, nous avons demandé à Siri 'quel est le meilleur smartphone ?' et le logiciel a répondu 'le Nokia Lumia 800' ! J'ai posté un tweet qui racontait l'anecdote, et Tim Cook s'est mis hors de lui. Il s'est rué sur moi en hurlant 'qu'est-ce que c'est que ça ?!'. À ce moment-là, lui et le responsable marketing d'Apple me haïssaient !

Quel est votre meilleur souvenir de chez Apple ?
Mon but dans la vie a toujours été d'améliorer la vie des gens, et l'objectif suprême, de sauver une vie. Et j'ai pu le faire avec Siri. En effet, un homme qui bricolait sous sa voiture s'est retrouvé écrasé par son véhicule à la suite d'un mauvais geste. Seul, incapable de bouger, et sentant la fin arriver, il s'est souvenu qu'il avait son smartphone dans la poche. Il a crié 'Siri, call 911 !' et le téléphone a exécuté l'ordre. Il a été sauvé.

La stratégie d'innovation est-elle la même chez Apple et Samsung ?
Je préfère ne pas évoquer ce sujet. Mais ce que je peux dire, c'est qu'au début, il n'y avait aucune différence : aucun des deux n'innovait. Apple était un peu le mouton noir de la Silicon Valley car l'entreprise fonctionnait en vase clos, dans la culture du secret. Sans échanges, il n'y a pas d'innovation, donc il était compliqué d'innover chez Apple. En Corée, Samsung fonctionnait un peu de la même façon, et je voulais changer cela, faire en sorte d'insuffler le "souffle de la Valley" dans cette entreprise. Maintenant, nous investissons dans des startups !

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.