Comment le Toulousain Pierre Gaches fait tomber un cartel de l'industrie chimique

Pierre Gaches, patron de l'entreprise familiale Gaches Chimie, a fait condamner en justice le géant du secteur de la distribution de commodités chimiques Brenntag, et ses complices, pour entente sur les prix. Une bataille de David contre Goliath qui a duré 10 ans et dont Pierre Gaches ressort satisfait même si pour lui ce n'est pas fini. Interview.
Pierre Gaches

Le 29 mai, l'Autorité de la Concurrence a condamné Brenntag, Univar et Solvadis à une amende de 79 millions d'euros pour entente sur les prix. Comment avez-vous découvert ce cartel ?
Tout a commencé en 1999 quand Brenntag (10 Md€ de CA, 55% de part de marché, NDLR) m'a proposé de racheter ma société. J'ai refusé, et à partir de là, cette entreprise m'a livré une guerre commerciale tous azimuts : prix prédateurs, captation de mes fournisseurs, dépôt de marques qui m'appartenaient, etc. Malgré une entreprise solide, nous avons atteint un point de rupture, j'ai porté plainte auprès de l'autorité de la concurrence pour abus de position dominante, une procédure qui est toujours en cours. Parallèlement, j'ai été contacté pour faire partie d'une entente, c'est comme cela que j'ai appris qu'il existait un cartel. Dans ce marché, soit on fait partie d'une entente, soit on est racheté, soit c'est la guerre...

Comment avez-vous fait pour recueillir des preuves de cette entente ?

J'ai décidé de jouer au plus malin. En septembre 2006, j'ai appelé tous mes confrères pour les prévenir que j'allais les assigner en justice. La procédure de clémence, qui existe depuis 2006, permet à ceux qui se dénoncent et qui collaborent avec l'Autorité de la concurrence, d'être exemptés de pénalités. En 3 mois, trois sociétés sont allés faire cette procédure : Solvadys, qui a donc obtenu une clémence, puis Brenntag, et enfin Univar. Brenntag n'étant pas arrivé le premier devant l'Autorité, elle a été condamnée à 47 millions d'euros. Si elle était arrivée en tête des repentis, elle aurait reçu l'immunité totale (comme Solvadis).

Quelles sont les conséquences de cette affaire pour votre société ?
Nous avons vécu une période difficile, nous étions les moutons noirs de la profession, les empêcheurs de tourner en rond. Nous nous sommes retrouvés isolés. Aujourd'hui l'activité est bien repartie. Nous avons retrouvé notre CA de 1999, c'est à dire 27M€ pour cette activité de distribution de commodités chimiques (solvant, javel, amidons, etc.) Heureusement qu'au niveau du groupe nous avons d'autres activités qui nous ont permis de ne pas sombrer. Je ne pensais pas que cette affaire prendrait autant de temps, d'argent, de travail... J'ai fait une demande d'indemnisation auprès du Tribunal de commerce de Bordeaux.

Peut-on espérer un assainissement du marché ?

C'est bien là toute la problématique à partir de maintenant. Les clients et les fournisseurs victimes de Brenntag vont-ils faire valoir leurs droits, étant donné que leurs compétitivités ont été affectées ? Dans le cadre de la responsabilité sociale de l'entreprise, ces victimes vont-elles continuer à faire travailler Brenntag, condamnée par la justice, ou vont-elles laisser plus de place aux entreprises comme la mienne ? Parmi elles, il y a Heineken, Alcatel, Amora, plusieurs CHU, Sagem... J'attends de voir si les comportements vont changer, ou pas. Aujourd'hui, j'aimerais que mon entreprise, qui possède 5% de parts de marché, puisse augmenter cette part. L'entente à elle seule représente 80% du marché, dont 55% détenus par Brenntag.

Propos recueillis par Sophie Arutunian
© Rémi Benoit

En savoir plus :

Les commodités chimiques sont les solvants, javel, amidons et autre soude que produisent Exxon, Solvay, Shell ou Rhodia et qu'utilisent toutes les entreprises industrielles, de l'agroalimentaire à la téléphonie mobile en passant par l'automobile ou les blanchisseries hospitalières et privées.
Des ententes ont été relevées en Bourgogne, Rhône-Alpes, dans le Nord et l'Ouest de la France.

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