Aérien : « Hors Air France, la consolidation des autres compagnies françaises est inévitable » (Pascal de Izaguirre, Corsair, Fnam)

ENTRETIEN. PDG de la compagnie Corsair, Pascal de Izaguirre prendra début novembre la présidence de la Fnam (Fédération nationale de l'aérien et de ses métiers) et de la Confédération syndicale du transport aérien. À l'occasion de l'Aeroforum organisé par La Tribune à Toulouse ce vendredi 16 septembre, le dirigeant est revenu sur les défis auxquels seront confrontées les compagnies dans les prochains mois. À peine sorti du Covid, le transport aérien doit faire à la crise énergétique et à la nouvelle donne climatique. Un contexte délicat qui pourrait accélérer la consolidation du secteur.
Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair et nouveau président de la Fnam, a participé à l'Aeroforum ce vendredi 16 septembre à Toulouse.
Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair et nouveau président de la Fnam, a participé à l'Aeroforum ce vendredi 16 septembre à Toulouse. (Crédits : Rémi Benoit)

LA TRIBUNE - Après un effondrement du trafic avec le Covid, le transport aérien a retrouvé des couleurs. Quel bilan tirez-vous de cet été, à la fois au niveau de Corsair et des grandes tendances nationales du secteur ?

PASCAL DE IZAGUIRRE - La saison s'est déroulée de façon plutôt satisfaisante avec un trafic relativement dynamique. C'est vrai qu'après deux années de frustrations accumulées, nous avons senti véritablement chez les clients le désir de voyager. Il y a une capacité d'épargne qui s'est constituée également durant les deux années de Covid. D'ailleurs, Corsair a réalisé une saison été supérieure en nombre de passagers transportés par rapport à juillet et août 2019.

Il existe une très bonne dynamique en septembre avec des engagements de ventes qui sont supérieurs de 38 % à ce qu'ils étaient en période pré-Covid. Le secteur aérien dans son ensemble s'est rapproché de l'étiage de 2019. Pour autant, le voyage d'affaires reste en deçà à 60 % environ de ce qu'il était en 2019. Les segments les plus dynamiques durant la saison estivale ont été le moyen-courrier, les liaisons ultramarines et l'Afrique. C'est une tendance que l'on retrouve à travers les performances comparées des aéroports de Charles-de-Gaulle et d'Orly, puisque Charles-de-Gaulle est resté à 80 % de son niveau en 2019, alors que l'aéroport d'Orly était en juillet au niveau de 2019, voire légèrement au-dessus pour le mois d'août.

Le retour au niveau de trafic pré-Covid, c'est pour l'année prochaine ?

Moi je suis optimiste pour l'année prochaine. Parce que si vous souvenez de tous les débats durant la période Covid, nous pensions retrouver les niveaux de 2019 entre 2024 et 2026. Or, dès cet été nous y sommes presque. La résilience du transport aérien est plus forte qu'anticipé.

Le transport aérien commence à sortir de la crise du Covid mais une autre crise se profile, énergétique cette fois. Quel est son impact pour les compagnies ?

 Malheureusement, après deux années où nous sommes sortis assez fragilisés de la crise du Covid et alors que la crise sanitaire n'est pas complètement terminée et qu'elle reste un élément d'incertitude, nous sommes entrés dans une crise énergétique extrêmement forte. Pour vous donner une idée, le prix du Jetfuel CIF, puisque les compagnies aériennes ne se basent pas sur le tarif du baril de Brent, et bien le Jet CIF est un petit peu au dessus de 1.100 $ après avoir touché un pic au mois de juin 2022 à 1.377 $ la tonne. Et quand j'ai construit le budget de Corsair, le niveau de référence était de 630 $ la tonne. Il y a donc pratiquement un doublement. Le pétrole par exemple pour une compagnie comme Corsair représentait en période pré-Covid 27 % des dépenses. En juillet-août, nous sommes passés à 42 % de nos dépenses constituées par le fuel.

Nous subissons une double peine puisque nous payons le fuel en dollars. Les compagnies aériennes paient en dollars non seulement le fuel mais aussi les loyers d'avion, les dépenses d'entretien, les assurances...  Et alors que l'hypothèse budgétaire de référence avait été établie avec 1 € pour 1,15$, nous sommes aujourd'hui à parité. L'impact est considérable.

pascal de izaguirre

Pascal de Izaguirre pointe l'impact de la crise énergétique sur le secteur aérien (Crédits : Rémi Benoit).

Évidemment, cela soulève des interrogations sur l'impact sur la dynamique future. Face à une inflation forte et une inquiétude sur le pouvoir d'achat, nous, compagnies aériennes, nous nous demandons à quel moment cela va impacter la demande de voyage qui, bien sûr, passe après les dépenses de première nécessité comme l'énergie ou les dépenses alimentaires. Et le deuxième élément, c'est que nous sommes obligés de répercuter, au moins partiellement, cette hausse considérable des coûts de production à travers l'augmentation des tarifs. Et là aussi, on se demande quel sera le point d'inflexion. Cela pourrait impacter la demande de transport aérien.

Et justement, est-ce que vous commencez déjà à observer un impact du coût de cette crise énergétique? Quelles sont les grandes tendances pour cet hiver au niveau des réservations?

Alors, jusqu'à maintenant, et c'est vraiment l'élément très satisfaisant, il n'y a pas d'impact sur la demande. Septembre reste très dynamique, au niveau de Corsair, nous avons de très bons engagements pour la saison hiver, il existe aussi une forte dynamique aussi au sein du groupe Air France. Pour l'instant, le côté positif c'est que nous ne voyons pas de données d'inflexion dans la reprise de la demande de transport aérien.

En revanche, nous constatons malgré tout un comportement beaucoup plus court-termiste des clients. C'est-à-dire que, par exemple, sur le web, une réservation sur deux est dans une fenêtre de départ de 0 à 2 mois. Nous l'avions déjà constaté durant le Covid pour des raisons évidentes puisque les voyageurs ne connaissaient pas l'évolution des contraintes sanitaires. Et aujourd'hui, cette attitude est rentrée dans le comportement des consommateurs. Cette interrogation montre un attentisme de la part des consommateurs avec l'inflation, l'inquiétude sur le contexte politique et social, le contexte géopolitique. C'est un élément non pas d'inquiétude, mais de vigilance pour nous de voir si la dynamique va pouvoir se poursuivre.

Cette situation est partie pour durer. Et puis, il faut aussi ajouter des coûts de transition et le durcissement de la réglementation environnementale...

C'est un enjeu majeur et incontournable pour le secteur aérien et les compagnies pour les prochaines décennies. D'abord, je tiens à souligner que le transport aérien s'est engagé de façon résolue et déterminée dans cette transition. Toutes les compagnies aériennes font de gros efforts, par exemple en matière de modernisation et de renouvellement de leur flotte.

Il est évident que pour une compagnie aérienne, le premier levier, c'est l'avenir et la modernisation des avions avec de meilleures performances environnementales. Si je prends l'exemple de Corsair, nous avons introduit cinq appareils A330 Neo entre avril 2021 et mai 2022 et j'ai signé la commande en juillet de quatre Neo supplémentaires pour 2024. Ce qui fait qu'à cet horizon de temps, nous aurons une flotte d'un âge moyen d'à peine deux ans et entièrement composée d'appareils de dernière génération. Mais une compagnie aérienne est très dépendante, bien sûr, des innovations technologiques faites par les avionneurs et par les motoristes. Cela représente un engagement financier considérable pour le transport aérien. Nous plaidons pour des mécanismes d'incitations fiscales de l'Etat pour accélérer ce renouvellement et cette modernisation des flottes des compagnies aériennes.

Deuxièmement, si l'on veut être réaliste, nous savons bien que toutes les évolutions technologiques vont être complexes et longues à se mettre en œuvre. En attendant, le moyen le plus éprouvé reste les carburants dits durables, les biocarburants ou les carburants synthétiques.

Cela soulève deux sujets de préoccupation pour nous. Tout d'abord, si vous projetez les besoins en carburant durable dans les prochaines années, compte tenu de quotas croissants qui vont être imposés aux compagnies aériennes, cela représente des quantités gigantesques. Cela pose le problème de bâtir une véritable filière française de production et d'approvisionnement parce qu'il ne s'agit pas simplement de produire mais d'approvisionner sur les plateformes aéroportuaires. Il existe un enjeu de souveraineté nationale, d'indépendance énergétique. Le conflit russo-ukrainien nous montre que l'énergie est un enjeu majeur. C'est aussi une opportunité forte de création d'emplois avec cette filière.

Mais cela pose également un problème économique parce que pour les compagnies aériennes le coût actuel de ces carburants d'aviation durable est quatre à huit fois plus élevé que le carburant fossile. D'où là aussi, la nécessité de mécanismes d'incitations fiscales de l'Etat. Il faut être conscient que la transition écologique va représenter un coût d'investissement gigantesque et donc il faut que l'Etat contribue à aider à cette transition pour les acteurs du secteur aérien.

Dans ce contexte complexe, comment voyez-vous l'avenir du pavillon tricolore dans les prochaines années ?

Je n'ai pas de boule de cristal mais j'ai la conviction que mis à part le groupe Air France, la consolidation des autres compagnies est inévitable. Elle est inévitable au regard de la taille critique des avions, des économies d'échelle et de combinatoire de réseau. Le deuxième point, c'est que toutes les compagnies françaises (à part Air France) restent très vulnérables. Nous sommes vulnérables à une crise sanitaire, à un choc économique. Avec Corsair, j'ai subi, comme d'autres, une crise sociale aux Antilles fin 2021, qui a été extrêmement violente et qui a eu forcément un impact très fort.

Le troisième élément c'est que la structure capitalistique de ces compagnies n'est pas suffisamment robuste et solide. Enfin, le quatrième élément, c'est que ces compagnies passent leur exploitation sur un réseau qui est finalement assez restreint. Il est extrêmement frappant de remarquer que toutes les compagnies aériennes françaises significatives à l'exception d'Air Corsica sont positionnées sur les liaisons ultramarines. Cela veut dire que sans Outre-mer français, il n'existerait aucune compagnie aérienne autre que Air France. C'est la raison pour laquelle je considère que le sujet de la consolidation va se poser et qu'il est inéluctable. La tentative de rapprochement entre Corsair et Air Austral n'a pas réussi. Mais je pense que l'histoire n'est pas terminée.

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Commentaire 1
à écrit le 17/09/2022 à 10:07
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Ce n'est ni le covid ni les écologistes qui nuisent au transport aérien ! Il était déjà mal en point en 2019, le covid l'a achevé en 2020. Les raisons ? Un modèle économique imbécile, le «bas-coût/bas-prix» (low-cost). Les prix des billets étant infé...

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