Procès AZF : la relaxe générale prononcée

Le tribunal correctionnel de Toulouse a rendu son jugement ce 19 novembre sur les responsabilités des prévenus dans l'explosion de l'usine AZF. La relaxe générale est prononcée au bénéfice du doute. Le tribunal estime que Grande Paroisse, propriétaire de l'usine, « a manqué à ses obligations réglementaires » mais qu'il lui est impossible d'établir « un lien de causalité certain » avec la catastrophe. La juridiction a jugé irrecevable la citation de Total, maison-mère de Grande Paroisse.La justice a tranché.

Le tribunal correctionnel de Toulouse a rendu son jugement ce 19 novembre sur les responsabilités des prévenus dans l'explosion de l'usine AZF. La relaxe générale est prononcée au bénéfice du doute. Le tribunal estime que Grande Paroisse, propriétaire de l'usine, « a manqué à ses obligations réglementaires » mais qu'il lui est impossible d'établir « un lien de causalité certain » avec la catastrophe. La juridiction a jugé irrecevable la citation de Total, maison-mère de Grande Paroisse.

La justice a tranché. Après 4 mois d'un procès hors norme, du 23 février au 30 juin, auquel ont assisté plus de 31 000 personnes, et 5 mois de délibérés, le tribunal correctionnel de Toulouse s'est prononcé sur les responsabilités des 4 prévenus : Grande Paroisse, propriétaire du site, Serge Biechlin, ex-directeur de l'usine, ainsi que Total, maison-mère de Grande-Paroisse, et son ancien PDG Thierry Desmarest.

Le cas des deux derniers prévenus, dont la responsabilité pénale n'avait pas été envisagée lors de l'instruction, a rapidement été écarté par le président Le Monnyer. Devant une assistance de 750 personnes, il a commencé vers 15h par déclarer irrecevables les citations directes contre Total et Thierry Desmarest, malgré les demandes de certaines parties civiles. « Le magistrat instructeur a estimé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer Total et M. Desmarest devant le tribunal, a déclaré le président Thomas Le Monnyer. Ils seront purement et simplement mis hors de cause. »

Le tribunal a exclu tour à tour les pistes de la météorite, de l'arc électrique, d'une nappe de gaz et d'une bombe de la deuxième guerre mondiale, écartant également celle de l'attentat. « A l'examen des éléments figurant au dossier, le tribunal considère qu'aucun élément objectif ne vient étayer la thèse d'un acte intentionnel », s'est-il exprimé. Il a par ailleurs estimé que le juge d'instruction « n'a pas su s'extraire du temps médiatique » en demandant aux experts « des rapports d'étape à un moment où ça n'avait pas de sens », jetant la suspicion sur le travail des ces derniers, et « sur l'institution judiciaire en général ». Avant de prononcer une relaxe générale au bénéfice du doute. Le tribunal a estimé que la société Grande Paroisse « a manqué à ses obligations réglementaires » et a dénoncé « des fautes organisationnelles » mais n'a pu établir « un lien de causalité certain » entre ces manquements et la catastrophe, notamment la preuve de la présence de DccNA dans la benne incriminée dont le contenu aurait pu détonner avec le nitrate d'ammonium déclassé qui était stocké. « Il demeure une inconnue concernant le processus exact d'initiation de l'explosion (...) Le tribunal ne peut fonder son jugement sur des hypothèses et des probabilités », dit le texte de la décision.
Quelques instants après le jugement, l'ancien bâtonnier Me Thierry Carrère, l'avocat de Camille Piantanida, qui fut la compagne de Frédéric Bonnet, décédé dans l'explosion, et Me Olivier Ganne donnaient leur sentiment. « Ce jugement constitue une profonde déception, d'autant plus que les débats avaient clairement mis en évidence, d'après nous, la responsabilité y compris pénale de l'exploitant de l'usine AZF, explique Me Thierry Carrère. Cependant, ce jugement est une véritable décision de condamnation sur le plan moral de Grande Paroisse. Le tribunal dit : nous ne savons pas ; il dit aussi : nous savons précisément pourquoi nous ne savons pas. Car l'exploitant Grande Paroisse, la commission d'enquête interne se sont employés à faire disparaître les indices. La juridiction rappelle que l'hypothèse de l'explosion liée à des manquements est la plus probable, mais cela ne suffit pas pour asseoir une condamnation sur le plan pénal. » Me Carrère « pense maintenant aux victimes. J'ai envie de dire qu'il faut continuer à se battre. »
Daniel Soulez Larivière, avocat de Serge Biechlin et de Grande Paroisse, a estimé : « Je dis la vérité depuis des années, et la vérité c'est qu'on ne sait pas ce qui s'est passé. En droit, il faut qu'il y ait un lien entre une faute alléguée et le sinistre. La Commision d'enquête interne de Total a fait son boulot avec ses limites, avec ses complications, avec une enquête judiciaire qui était en première ligne. Elle a tenu la contribution qu'elle peut. »

La balle est désormais dans le camp du procureur. « La suite dépende exclusivement du procureur de la République, qui doit décider sous 10 jours s'il relève l'appel, précise Me Thierry Carrère. J'espère que les moyens que nécessite ce type de procès, que la Justice doit mettre à la disposition de tous les justiciables, ne pèsera en aucune manière dans sa décision. » Quant à la relaxe de Total et de Thierry Desmarest, Me Carrère et Ganne « la conçoivent plus aisément car sur le plan juridictionnel, une mise en cause au stade de l'ouverture du procès était trop tardive. »

Le maire de Toulouse Pierre Cohen a affirmé « avoir du mal à admettre les attendus du jugement. Si j'ai bien compris le tribunal, Grande Paroisse est moralement coupable mais pénalement innocente. Je prends acte de cette décision mais je trouve profondément regrettable d'en arriver là au bout de huit ans ! » La Ville s'était constituée partie civile.

Martin Malvy, le président de la Région, s'est voulu solidaire des victimes : « Comme beaucoup de Toulousains, j'attendais du verdict une clarification. S'il ne m'appartient pas de qualifier une décision de justice, je comprends ce soir le sentiment exprimé par les victimes et leur incompréhension ». Du côté des parties civiles, les mots "inadmissible" et "honteux" revenaient le plus souvent.

Pour Christophe Leguevaques, l'avocat qui représentait la Ville, ce jugement ne tient pas compte du comportement suspect de l'industriel postérieur à l'événement : « S'il existait encore un doute, ce comportement doit le lever. Le tribunal n'est pas allé jusqu'au bout de sa logique, a-t-il réagi. Le jugement est, d'autre part, dangereux car il constitue un mode d'emploi livré aux industriels responsables d'un accident industriel pour ne pas se faire condamner pénalement. C'est un signal fort et négatif donné aux industriels qui souhaitent commettre des crimes écologiques en toute impunité. Bref ce jugement laisse un coup amer ».
Jean-Louis Chauzy, président du CESR Midi-Pyrénées, juge en revanche la décision courageuse et justifiée : « Dans un résumé du jugement qui n'épargne personne, ni le fonctionnement passé de la justice à Toulouse, ni l'organisation de la sécurité sur le site industriel, ni les experts, le président du tribunal de grande instance de Toulouse a rappelé en annonçant la relaxe pour le directeur de l'usine, Serge Biechelin et la Société Grande Paroisse que dans un Etat de droit on ne condamne pas sans preuve. »

Pour mémoire, le Parquet avait retenu la thèse, défendue par l'accusation, qui est celle d'un accident rendu possible en raison de « fautes caractérisées » du directeur Serge Biechlin. Poursuivi pour homicides involontaires, destruction de biens et infractions à la législation du travail, Serge Biechlin encourait 3 ans d'emprisonnement avec sursis et 45 000 euros d'amende, et 225 000 euros d'amende pour Grande Paroisse. Soit le maximum possible.
La société Grande Paroisse, quant à elle, encourait une amende de 225 000 euros, le Ministère public invoquant « un dysfonctionnement grave dans la gestion des déchets, le recours à la sous-traitance (...) et le croisement de produits incompatibles ».

Rappelons que l'explosion de l'usine AZF a causé la mort de 31 personnes et blessé des milliers d'autres sans compter les nombreuses destructions que la ville a subi. Pour les experts judiciaires, la catastrophe est due au déversement accidentel sur le nitrate d'ammonium du hangar 221 de quelques kilos d'un produit chloré incompatible (DCCNa).

photos Spiral et Rémi Benoit

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