Interview de Fabrice Brégier, directeur général délégué d'Airbus

Fabrice Brégier évoque la crise, la réduction des cadences de production et la stratégie de l'avionneur : anticiper pour éviter la constitution de stocks. Le directeur général délégué d'Airbus espère également que l'aéronautique bénéficiera du grand emprunt gouvernemental.Après une année agitée pour le secteur aéronautique, comment se porte Airbus ?

Fabrice Brégier évoque la crise, la réduction des cadences de production et la stratégie de l'avionneur : anticiper pour éviter la constitution de stocks. Le directeur général délégué d'Airbus espère également que l'aéronautique bénéficiera du grand emprunt gouvernemental.

Après une année agitée pour le secteur aéronautique, comment se porte Airbus ?
Airbus, comme toutes les entreprises, connaît la crise. En début d'année, nous redoutions que nos clients ne puissent financer leurs avions ! Aucune banque, investisseur ou société de leasing ne souhaitait alors prendre de risques. Je dois reconnaître que, depuis, l'effort du gouvernement pour inciter ces établissements à financer la vente d'avions a eu des effets positifs. Ce souci est désormais presque derrière nous.

Combien de commandes Airbus a-t-il enregistré en 2009 ?
Nous avions pour objectif 300 commandes en 2009, nous en sommes actuellement à 125. Il sera très difficile d'atteindre notre objectif initial, mais c'est finalement secondaire. Notre marché est cyclique et lié à la croissance mondiale. Ce qui compte, c'est qu'aujourd'hui le carnet de commandes est important, 3 500 avions. Cela nous assure, avec sept années de production, de très belles perspectives.

Constatez-vous des reports de livraisons ?
Oui, il y a des reports de livraison. Certaines compagnies aériennes sont exsangues, avec des baisses de revenus liées à une fréquentation accrue des classes économiques au détriment des classes affaires. Dans un dialogue quotidien avec nos clients, nous devons donc être très vigilants à ne pas lancer des productions que les compagnies ne pourraient pas financer. Cela nous conduirait à avoir des stocks et à arrêter brutalement la supply chain. Nous voulons éviter cela à tout prix !

Quel est l'impact de la crise sur les cadences de production ?
Il faut maintenir une cadence de livraison acceptable : 480 appareils prévus en 2009, comme en 2008. Au départ nous avions prévu de monter en cadence (40 appareils produits par mois pour la famille A320) ; finalement nous avons décidé de réduire : 34 appareils par mois depuis le mois d'octobre contre 36 auparavant. La crise nous affecte donc de 15 à 20%. Même si nous sommes très vigilants, il n'y a pas de raison de penser à une nouvelle réduction de production.

Quelles sont vos perspectives pour les années à venir ?
Pour 2010, nous avons quelques éléments positifs de reprise du trafic aérien. Mais surtout nous avons des perspectives extrêmement positives pour les 20 prochaines années. Selon les prévisions globales de marché d'Airbus (Global Market Forecast) présentées en septembre, 25 000 avions passagers et avions cargos neufs, d'une valeur de 3 100 milliards de dollars, seront livrés entre 2009 et 2028. En fait, le trafic aérien croît deux fois plus vite que le PIB mondial. On sait par ailleurs que 84 % de la population mondiale n'a jamais pris l'avion, cela donne un énorme potentiel et peut fournir 8,5 millions emplois directs dans l'aéronautique !

L'Asie pourrait rapidement représenter un tiers du marché, et presque 50 % sur les gros porteurs. Y aura-t-il des conséquences sur la répartition géographique des sites d'assemblage ?
C'est bien pour cette raison qu'a été créée la chaîne d'assemblage de l'A320 à Tianjin en Chine. C'est une nécessité car sur un marché mondial, on ne peut pas tout exporter. Nous devons nous ouvrir aux pays, mais nous le faisons prudemment puisque la Chine veut lancer à l'horizon 2016 son C919, un avion concurrent de l'A320. Dans l'aéronautique, on est parfois coopérant, parfois compétiteur !

Avez-vous des projets de chaîne en Inde ?
Non, pas actuellement. Mais nous discutons avec des partenaires indiens pour des projets de sous-traitance de notre filiale d'aérostructures. Si nous gagnons la nouvelle compétition sur l'US Tanker, la logique serait par ailleurs d'avoir une chaîne d'assemblage d'A330 pour les besoins tankers et cargos aux Etats-Unis.

Les difficultés entre la partie allemande et la partie française d'Airbus sont-elles résolues ?
Avec Louis Gallois et Tom Enders, je m'attelle à ce que nos employés et notre environnement régional comprennent que notre avenir est commun ! Chacun doit comprendre que la compétition n'est pas entre Français et Allemands, mais entre Airbus et Boeing, ou entre Airbus et les nouveaux acteurs. Par ailleurs, nous faisons tout pour gagner en transparence dans notre façon de travailler. Un ingénieur ou un partenaire qui me dit qu'il n'a pas de problème, cela ne paraît pas bon ! On voit ce que nous a coûté de trop mettre les problèmes sous le tapis : plusieurs milliards, deux ans de retard sur l'A380 !

Quel est le modèle industriel d'Airbus ?
Contrairement à ce que certains disent, notre industrie ne délocalise pas massivement. Elle est très largement ancrée dans les pays européens, essentiellement Toulouse et Hambourg. Nous voulons générer de la valeur ici, sous-traiter quand nous ne sommes pas compétitifs, nous restructurer pour préparer l'avenir, tout en gardant nos racines en Europe.

Quelle est la stratégie à l'égard des sous-traitants ?
Il y a 30 ans, on développait un avion en touchant à tous les métiers. Ce n'est plus possible aujourd'hui. En matière d'externalisation, Boeing avait été beaucoup trop loin en transférant sur le B787, il avait tout transféré sauf la chaîne d'assemblage.
Airbus sous-traite donc beaucoup mais nous avons identifié les métiers critiques que nous ne voulons pas sous-traiter, comme l'architecture avion ou la gestion des programmes. Par ailleurs nous expliquons notre stratégie de façon très transparente en donnant à nos partenaires plus de lisibilité sur les domaines où nous avons besoin qu'ils investissent, sur la politique off-shore pour bénéficier de bas coûts, sur les works packages, etc.

Comment vivez-vous les attaques lancées par la CGPME qui accuse Airbus d'étrangler les sous-traitants ?
Chacun tient son rôle, cela ne me gêne pas que les syndicats professionnels prennent position. Airbus n'a pas la prétention d'être soutenu par tous. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas d'être aimé mais de faire avancer les choses et ces déclarations ne me gênent pas du tout.

Quelle est la répartition industrielle du programme A350 XWB ?
L'industrie française tire bien son épingle du jeu avec la production de 38 % de l'appareil. L'Espagne a progressé à 10 %. Le Royaume-Uni est autour de 18 % et l'Allemagne de 32 %. C'est une répartition bien équilibrée qui va générer beaucoup de richesses dans ces 4 pays. A Toulouse, la construction en cours de la future chaine d'assemblage est la garantie de l'implication d'Airbus.

Quelles sont les perspectives de ventes de l'A350 XWB ?
Nous espérons vendre 2 500 appareils. Nous avons aujourd'hui 493 commandes. Cette année 2009, le rythme s'est un peu tassé, mais 500 commandes fermes en moins de trois ans, c'est plus rapide que ce qu'avait fait Boeing avec le B787 ! L'A350 est mieux positionné sur le marché et je suis convaincu qu'il aura la moitié du marché mondial de ce type d'avion. Le challenge est d'être capable de livrer dans quatre ans les premiers avions aux clients.

Le futur A320 ne sera pas assemblé à Toulouse ?
Non, en effet. Cela s'est décidé lorsque nous avons choisi que les membres de la famille A350 (trois avions) seront intégralement assemblés à Toulouse. Il n'y a pas eu de partage comme sur l'A380. Mais il faut attendre encore dix ans avant de voir sortir un A320 d'une chaîne d'assemblage !

En période de crise, Airbus doit il lancer de nouveaux projets ?
Nous pourrions serrer les boulons et réduire facilement les coûts de développement et de R&D pour le successeur de l'A320 ! On n'en verra les conséquences qu'en 2020 ou plus. Mais ce serait criminel !

Vous souhaitez que l'aéronautique bénéficie du futur grand emprunt de la France ?
Oui car l'industrie aéronautique est créatrice de valeur et d'emplois. Et pour ne pas être dépassée par ses concurrents notamment Chinois, elle aurait besoin d'obtenir 800 millions d'euros dans le cadre du grand emprunt. Une somme raisonnable sur cinq ou six ans quand on sait que le développement d'un programme comme celui de l'A350 coûte 10 milliards d'euros.

Concernant la parité euro-dollar, comment envisagez-vous l'avenir avec un euro à 1,50 ou 1,55 $ ?
Le premier plan Power 8 permettait de résister à un taux de 1,35 $ pour un euro. On a ajouté Power 8 + pour résister à 1,45 $. On est un peu au bout de ce qu'on peut faire! J'espère que le dollar ne continuera pas à dériver... Sur l'A350, environ 70 % de nos achats seront en dollars. Nous essayons d'acheter le plus possible en dollars pour être moins dépendants et le marché aéronautique est encore pour longtemps en dollars !

Où en est le programme A400M ?
Les États seront livrés avec trois ans de retard. Aujourd'hui, le moteur marche bien, nous avons de plus en plus d'espoir d'avoir un premier vol avant la fin de l'année à Séville où se trouve la chaîne d'assemblage. Les essais en vol se répartiront entre Séville et Toulouse. Nous ambitionnons de ne perdre « que » 2,3 milliards d'euros. Nous payerons ce lourd tribut pour sortir ce très grand programme européen de Défense de l'ornière.

Comment avez-vous été accueilli à Toulouse ?
J'ai été appelé par Louis Gallois en novembre 2006. Airbus avait des problèmes majeurs sur l'A380. Aujourd'hui, nous sortons juste la tête de l'eau. Nous avons été confrontés à la baisse du dollar, après une phase de croissance sans précédent, puis à une succession d'équipes de management déstabilisante ! Il a fallu un électrochoc et des actionnaires qui décident d'investir 10 milliards d'euros pour l'A350. Il fallait cela pour maintenir notre leadership à Toulouse, capitale de l'aéronautique !

Quel est votre avenir au sein d'Airbus et d'EADS ?
Pour l'instant mon objectif est de tenir au moins trois ans, ce qui fera de moi un des pionniers de la direction d'Airbus au cours de ces dernières années, en tout cas depuis le départ de Noël Forgeard ! Plus sérieusement, je me sens très bien à Toulouse et j'espère parvenir avec mes équipes à remettre de la sérénité et à maintenir le rôle moteur d'Airbus.

En photo : Fabrice Brégier, directeur général délégué d'Airbus (© Rémi Benoit)

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Commentaire 1
à écrit le 07/02/2015 à 23:36
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Vendre CIMPA n'est il pas "criminel" aprés l'avoir fait grossir pour les besoins d'Airbus et s'en débarasser quand on en a plus besoin ? CIMPA est "agile" et pourrait permettre à Airbus et Airbus Group a engrangé les Euros sur le service aux clients ...

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