Aéronautique, le virage stratégique

Fragilisé par la crise du transport aérien et la concurrence mondiale, l'aéronautique est à un carrefour mais demeure la filière économique numéro 1 en Midi-Pyrénées. L'industrie continuera à créer de la richesse dans les 20 prochaines années. Une évolution qui se fera au prix d'une profonde réorganisation touchant Airbus et l'ensemble de ses partenaires.


Définitivement estampillée aéronautique et spatial ! Toulouse, depuis presque un siècle, doit sa prospérité économique à ce secteur très porteur et à un opérateur majeur : Airbus. A elle seule, la construction aéronautique et spatiale représente 550 entreprises dans la région, 25 000 emplois directs et 51 000 emplois indirects. « Et même 65 000 emplois si l'on ajoute l'activité "systèmes embarqués" », précise Bernard Raynaud, vice-président du Conseil Régional, en charge de la mise en œuvre et de la coordination des politiques et actions régionales dans le secteur du développement économique, du commerce et de l'artisanat.

Une force et une fragilité
La puissance de l'aéronautique en Midi-Pyrénées a aussi un revers : une certaine dépendance qui maintient l'économie régionale suspendue au bulletin de santé d'Airbus. « 75 % des activités des sous-traitants sont liées à l'aéronautique et spatial, souligne Bertrand Ballet, chef de la division Conjoncture à l'Insee Midi-Pyrénées. Un taux qui a plutôt tendance à croître. » Or, si le moteur flanche, c'est toute la filière qui tousse...
Malgré la dégradation de la situation économique générale, l'activité liée à la construction aéronautique et spatiale a bien résisté à la crise en 2008 selon l'Insee : + 10 % (contre 6 % en 2007). Et les effectifs salariés ont augmenté de 7 %. Pourtant le ciel s'assombrit en 2009, comme le conclut l'enquête : 43 % des chefs d'entreprises constatent une diminution des commandes, et 18 % seulement une hausse. Malgré un puissant carnet de commandes à long terme, Airbus enregistre moins de commandes cette année. Et d'autres entreprises comme Latécoère ou l'aviation d'affaires subissent encore plus directement les effets de la crise. « Les sous-traitants sont au taquet, ils ne peuvent pas réduire davantage leurs coûts et leur masse salariale », souligne Gérard Ramon, le président de la CGPME en Midi-Pyrénées. « S'il y a une deuxième vague de baisse de commandes, il y aura de la casse au second semestre 2010 ! » explique le syndicat patronal, qui vient de lancer une grande enquête sur la sous-traitance aéronautique. Premières conclusions attendues à la fin de l'année.
L'heure est à la prudence car depuis un an les compagnies aériennes sont fortement touchées par la chute du trafic. Et les conséquences directes ont été immédiates sur le financement de nouveaux appareils. Prédictions de Louis Gallois, président exécutif d'EADS, maison-mère d'Airbus : 2010 et 2011 resteront deux années difficiles. Pour la première fois en 2009, les commandes seront inférieures aux livraisons. Et pour ne pas risquer d'être pris au piège des reports de livraison, l'avionneur européen a choisi de d'abaisser la cadence de production mensuelle de ses moyens courriers A320 de 36 à 34 appareils.

Prévisions et scenarii
Pourtant les dernières prévisions globales de marché de l'avionneur, émises en septembre dernier, sont optimistes : un trafic en croissance et une demande de quelques 25 000 appareils au cours des vingt prochaines années. Dont une belle part pour les gros porteurs tels l'A380. Le rebond de l'après-crise viendra principalement de l'Asie, de pays émergents comme la Chine et l'Inde. En attendant, Airbus affirme qu'il livrera autant d'avions en 2009 qu'en 2008, soit 483. Selon son plan de charge actuel, le constructeur européen a encore de quoi faire tourner ses usines pendant cinq à sept ans.
En juillet 2008, le BIPE (Bureau International de Prospective Économique) remettait une étude au Conseil Régional Midi-Pyrénées, établissant un diagnostic de la filière aéronautique régionale, des perspectives sur 4 à 10 ans, et une préconisation d'actions. Des trois scenarii établis, celui qualifié de « plus probable » annonçait une poursuite du développement du transport aérien conforme à la vision prospective d'Airbus, avec une participation massive de l'Europe à cette croissance mondiale.
Le marché reste donc potentiellement très attractif. Mais les entreprises sous-traitantes, variables d'ajustement de première ligne, impactées par la crise mondiale, soumises à la difficile cyclicité des longs et coûteux programmes de développement aéronautiques, vont devoir s'adapter.

Une filière en mutation
Réorganisation de la production et réduction des coûts chez Airbus, dépréciation du dollar par rapport à l'euro. Le contexte de profonde mutation du secteur aéronautique se répercute sur les entreprises sous-traitantes, principalement des PME et PMI, qui vont devoir prendre l'avion de la restructuration au vol si elles ne veulent pas rester sur le tarmac... Le Conseil Régional a utilisé l'enquête BIPE comme outil stratégique pour déterminer un certain nombre d'actions destinées à soutenir le tissu économique local, éparpillé et pas suffisamment capitalisé. « Avec son plan Power 8, Airbus a mis en avant une stratégie de work package, comme dans l'industrie automobile, ce qui revient à travailler plutôt avec de grosses entreprises qui sont capables de répondre à un cahier des charges importants, explique Bernard Raynaud. Dans la région, les PME sont petites, moins de 50 salariés pour la plupart. Il faut qu'elles se regroupent, qu'elles fusionnent. La Région accompagne celles qui souhaitent s'engager dans cette démarche en finançant des études stratégiques et juridiques par exemple. On utilise également les structures existant déjà pour renforcer les fonds propres, comme le fonds Aerofund dédié à la consolidation industrielle, au développement ou à la transmission d'entreprises du secteur ». Une plateforme financière destinée à faciliter l'accès au crédit a été créée, et l'on œuvre d'ores et déjà à mettre en adéquation l'offre et la demande en terme de compétences. « Même dans le scénario le plus pessimiste de l'enquête BIPE, il apparaît qu'il y aura, à l'horizon de 7 ou 8 ans, 30 000 emplois à renouveler sur la région, rappelle Bernard Raynaud, d'où un plan de formation, notamment dans le cadre du Plan ADER*, pour mettre en adéquation l'appareil régional de formation et les entreprises qui vont recruter ».

Offshoring ou délocalisation ?
Dans la Ville rose, il n'est pas forcément de bon ton de critiquer le donneur d'ordres qui fait tourner l'économie régionale. Mais la politique sévère de réduction des coûts mise en œuvre par Airbus oblige les sous-traitants à reconsidérer leurs modes de production. Ils sont de plus en plus nombreux à se tourner vers la production offshore (lire p.41). « Dans un souci de compétitivité, nous voulons aider les PME à réduire leurs propres coûts, tout en maintenant le cœur de métier dans notre région, estime le n°2 d'Airbus, Fabrice Brégier, directeur général délégué (lire p.38). La concurrence sera de plus en plus dure et les PME régionales, qu'Airbus ne peut pas manager directement, doivent se regrouper. Souvent sous-capitalisées, elles doivent se renforcer. »
De son côté, Bernard Raynaud reconnaît que « jusqu'à présent, on n'a pas assisté à une délocalisation massive. Pour lutter contre ce phénomène, il faut être en capacité d'apporter de l'excellence et d'innover. Mais on ira vers des délocalisations si on n'est pas capable de fournir de la main d'œuvre qualifiée ! Il faut permettre à nos entreprises d'être concurrentielles et à la pointe de la technologie ». Une vision partagée par le président de la CGPME Midi-Pyrénées, qui craint l'évasion du savoir-faire : « Restructuration, délocalisation... Nous nous interrogeons. C'est une remise en cause totale et l'on ne sait pas où l'on va ! Les entreprises veulent bien se diversifier mais il leur faut du temps. Et elles manquent actuellement de visibilité sur leurs plans de charge. »

Airbus, toujours une valeur sûre
Malgré les incertitudes sur le transport aérien, Airbus reste une valeur sûre pour Toulouse. « Tout le monde s'accorde à dire qu'Airbus est un îlot de stabilité » affirme ainsi Jean-Marc Thomas, président d'Aerospace Valley, le pôle de compétitivité mondial. Même vision pour Bernard Keller, maire de Blagnac et président de la commission Développement économique et emploi de la Communauté Urbaine du Grand Toulouse qui regroupe 25 communes. « Indiscutablement, l'aéronautique est une activité économique à très long terme. Toulouse va continuer à bénéficier de la présence de la chaîne d'assemblage de l'A380 et la future chaîne d'assemblage de l'A350 XWB. Pour autant, il faut accepter un certain nombre d'externalisations si elles garantissent des marchés captifs. Je pense à la chaîne d'assemblage de Tianjin en Chine qui a été la garantie de 300 commandes d'A320. Il faut raisonner mondial. Si on avait voulu tout garder en France et qui plus est à Toulouse, on ne vendrait sans doute pas plus d'Airbus que de Rafale ! Même si l'économie régionale doit se diversifier, les collectivités doivent continuer à miser sur l'aéronautique. Si on ne mise pas sur cette conviction, on instille le doute dans toutes les autres activités qui sont bien moins solides. »
A cette croisée des chemins, les enjeux sont de taille pour tous les partenaires. Pour Airbus, il faut assurer le succès commercial de l'A380, être prêt à livrer l'A350 en 2013, optimiser la modernisation de l'A320, venir à bout des difficultés techniques sur l'A400M. Et pour Toulouse, qui va devoir, si elle veut conserver sa prédominance, développer son activité aéronautique et maintenir une avance technologique tout en restant concurrentielle.

En photo : l'A380 survolant les Pyrénées lors des premières phases de test. (© Airbus)

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