Élections départementales, le flou artistique

"Élections, piège à c…". Le leitmotiv était sur tous les murs en mai 68. Il retrouve une seconde jeunesse. Selon Laurent Dubois, journaliste politique toulousain, les élections départementales présentent une situation inédite : pour la première fois, les électeurs vont aller dans l'isoloir sans connaître les règles du jeu ni les enjeux du scrutin.
Laurent Dubois

Dans un peu plus d'un mois, les électeurs doivent voter pour désigner de nouveaux conseillers départementaux. Mais ils vont aller dans l'isoloir sans connaître les règles du jeu ni les enjeux. En effet, le Parlement débat des compétences des assemblées départementales et le texte risque de ne pas être adopté avant le scrutin de mars prochain. C'est un véritable déni de démocratie. Une anomalie inédite. Pour la première fois de notre histoire politique, les citoyens vont aller dans l'isoloir en toute méconnaissance de cause. Ils connaissent le nom des candidats. Ils savent pour qui ils peuvent voter. Mais ils ignorent pour quoi ils sont consulter et pourquoi ils doivent glisser un bulletin dans l'urne. Alors, vrai scandale ou fausse polémique ?

Des départementales tronquées : une vraie polémique

Demain, mardi 17 février, l'Assemblée nationale va adopter, en première lecture, le projet de loi définissant les compétences des Conseils départementaux. Après une semaine de discussion au sein de la commission des lois, le texte arrive donc en séance publique. Vendredi soir (13 février), le gouvernement a déposé une série d'amendements. La députée de Haute-Garonne Monique Iborra est rapporteure (pour avis) du projet de loi. D'après elle, l'adoption ne va pas poser de problème. Les députés vont voter le texte qui va repartir, pour une seconde lecture, devant les sénateurs.

Trente quatre jours avant le premier tour, le chantier législatif va donc continuer à avancer. Les départements doivent-ils gérer les transports scolaires ? La gestion des collèges doit-elle quitter le giron départemental ? Le tourisme doit-il être piloté par la Région ? Toutes ces questions (en suspens) vont continuer à cheminer dans les tuyaux parlementaires.

Pour aller plus loin, voici une synthèse des positions de l'Assemblée nationale sur les compétences :

Manuel Valls, de son côté, a invoqué le levier de la "procédure accélérée" : à la fin de la seconde lecture, le couperet tombera. Avec ou sans l'accord du Sénat, les compétences départementales seront arrêtées. En attendant, nous en sommes seulement à la fin de la première lecture, le calendrier législatif peut percuter le calendrier électoral. Le compte à rebours continue.

Pour le numéro 3 du PS, Christophe Borgel. C'est un faux suspense.

"Le texte sera voté avant le scrutin, c'est évident." Mais, avec un vrai sens de la synthèse, le député de Haute-Garonne rajoute immédiatement : "Même si ce n'est pas certain."

Même son de cloche du côté de Monique Iborra. La députée estime qu'il "faut espérer que la loi soit votée avant les départementales. On souhaite tous qu'elle le soit. Et on fera tout pour arriver à ce résultat."

Sur le terrain, les candidats partagent ce souhait. Philippe Martin, le président sortant du Gers, l'a exprimé auprès de Matignon. L'ancien ministre de l'Écologie a rappelé cette évidence à Manuel Valls : "nous avons besoin d'éléments de langage pour mener campagne".

Et le Gers ressemble à la Haute-Garonne ou au Tarn. Difficile de motiver et de mobiliser les électeurs sans un programme. Faute d'un mode d'emploi, les propositions sont forcément vagues. Les élections départementales souffrent, traditionnellement, d'un faible taux de participation. Faire voter les électeurs pour un Département en chantier ne va pas arranger le tableau. Les candidats manquent trop souvent de souffle. S'agissant de la prochaine "cuvée", ils sentent carrément le souffre. Des discours vagues et approximatifs entachent traditionnellement le scrutin des départementales. En 2014, c'est le règne du flou artistique. Néanmoins, il ne faut pas forcer le trait.

Des départementales biaisées : une fausse pique

"Pas de loi, pas de vraie élection." L'argument claque. Mais c'est surtout un effet de manche. L'absence d'un texte, gravé dans le marbre législatif, n'est pas un scandale démocratique. Ce n'est pas satisfaisant, c'est évident. Les électeurs doivent se prononcer de manière éclairée, personne ne peut prétendre le contraire. Mais il ne faut pas exagérer.

Le vote n'est pas l'expression d'une expertise. Tous les cinq ans, les français votent pour des députés sans connaître, pour autant, le catalogue des compétences législatives. Dans le passé, les électeurs ont désigné des élus régionaux ou départementaux sans lire le Code Général des Collectivités Territoriales. Le scrutin municipal mobilise les foules. Les débats sont souvent passionnés et passionnants. Mais quel électeur connait les rouages (complexes et opaques) des intercommunalités ? Et pourtant, le vrai pouvoir local est désormais dans ces structures aussi vitales que lointaines. Bref, attention aux envolées lyriques.

L'absence d'une carte des compétences départementales est regrettable. Mais ce n'est pas un drame absolu. Inutile de lancer une pétition nationale pour un report des élections. D'ailleurs, le flou qui entoure l'action départementale est relatif. Aucun doute sur l'essentiel. Le Département va rester ce qu'il a toujours été depuis 1982. Son cœur de métier reste le social. Le versement de l'APA, du RSA et de la CPH demeure. On s'interroge sur l'avenir des Sdis (Services de Secours et d'Incendie). Mais, dans ces grandes lignes, la physionomie départementale n'est pas transfigurée. Les électeurs ont, face à eux, une institution qu'ils connaissent et reconnaissent.

Notre pays a un vrai talent pour s'enfermer dans des débats sans fin et sans fonds. Inutile de rajouter à cette liste "noire" une querelle byzantine sur les départementales. Une querelle que les parlementaires peuvent facilement vider de sa substance. Ils ont un peu plus d'un mois pour doter les élections de mars prochain d'un mode d'emploi.

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