Transition énergétique, méga données, open innovation : les grandes mutations d'ERDF

Transition énergétique, open innovation, méga données, mutation d'ERDF. En visite à Toulouse, Philippe Monloubou, le président d'ERDF, est revenu - pour La Tribune Toulouse - sur les enjeux auxquels est confronté le gestionnaire d'infrastructures électriques. Entretien.
Entretien avec Phlippe Monloubou, président d'ERDF, en visite à Toulouse la semaine dernière.

La Région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées veut devenir la première région à énergie positive en Europe. Quel pourrait être le rôle d'ERDF dans la mise en œuvre de cet objectif ?

Les réseaux de distribution ont toute leur place dans cette ambition. Ils doivent être capables d'intégrer la production d'énergies renouvelables et intermittentes (solaire et éolien principalement). Historiquement, l'énergie était produite de façon centralisée et descendante. Le réseau avait vocation à transmettre ces électrons vers les clients. Maintenant, il reçoit de plus en plus d'énergie locale : il y a actuellement 350 000 producteurs d'électricité en France. Il doit intégrer en permanence de façon systémique plusieurs flux. Le réseau doit donc être plus intelligent pour appréhender ces flux énergétiques liés aux conditions météo, être plus réactif et conserver sa qualité.

Le réseau en est-il capable aujourd'hui ?

Il y a des progrès à faire, mais nous avons déjà plus 18 démonstrateurs en France qui testent tous les modèles techniques et économiques pour intégrer ces flux.

Il faut augmenter l'intelligence du réseau en déployant massivement le compteur Linky. Cela nous permettra de gérer ces échanges d'énergie en temps réel. 500 000 compteurs ont été installés en France (dont 20 000 dans la région LRMP, NDLR) et  3 500 en Haute-Garonne. L'objectif est de 35 millions de compteurs installés en 2021.

Quel est l'enjeu pour ERDF ?

Le développement de compteurs intelligents et de technologies numériques sur les réseaux de distribution permettra d'améliorer la transition énergétique et d'intégrer massivement les énergies renouvelables et les voitures électriques qui se rechargeront à des moments et en des lieux différents. Les compteurs Linky vont nous dire quand et combien d'énergie il faut envoyer sur le réseau. Sans cette information, on risque de surdimensionner les réseaux ou de dégrader la qualité en ne respectant pas l'équilibre production/consommation. Cela n'est pas acceptable, car c'est risquer le blackout.

Pourquoi dit-on que Linky est la première brique vers la transition énergétique ?

Exemple très concret : la Guadeloupe, l'un des territoires au monde les plus mixés énergétiquement avec du charbon, de l'éolien, de la géothermie et de la canne à sucre. On disait qu'au-delà de 30 % d'énergie renouvelable, il n'était pas possible de gérer le réseau. Or, la loi de Transition énergétique fixe le mix énergétique à 40 % d'énergie renouvelable. Pour atteindre cet objectif tout en conservant notre très bon rapport qualité/prix, nous avons besoin de Linky. Sans cela, ce sera difficile.

Les informations récoltées par ce compteur intelligent font d'Erdf un acteur des mégadonnées. Que cela change-t-il ?

La dimension numérique fait du gestionnaire de réseau que nous sommes un gestionnaire de données. 35 millions de compteurs, plus les capteurs en réseau, nous donneront une masse de données qui nous offriront des éléments d'information que nous mettrons à disposition des acteurs territoriaux (clients, promoteurs, institutionnels, etc.).

Quel chiffre d'affaires prévoyez-vous sur cette nouvelle activité ?

Selon ce que la loi décidera, cela rentrera dans notre chiffre d'affaires en fonction de notre capacité à le facturer. Nous produisons depuis l'an dernier de nombreuses informations en open-data. Nous pouvons les mettre à disposition des collectivités territoriales. La loi Le Maire, en cours d'élaboration, donnera le cadre et les obligations. Elles figureront dans les tarifs d'utilisation des réseaux ou pourraient être facturées aux clients.

Quelle part de l'activité d'ERDF viendra des méga données ?

Difficile à dire, mais en volume financier, cela ne sera de toute façon pas à la hauteur de ce qui se fait pour les réseaux. Mais, en nature d'activité et en récurrence, cela sera quotidien, pour ne pas dire permanent.

Grâce à ces informations, on connaîtra en temps réel l'état du réseau, de sa charge, de ses défauts. Cela nous donnera une toute autre efficience dans la gestion opérationnelle de la qualité des dessertes des clients.

Seront-elles gratuites pour les clients ?

Les infos Linky sont gratuites et cryptées afin que seul le client qui en est destinataire en soit le propriétaire.

Quel est l'enjeu économique pour ERDF ?

Pour l'illustrer très simplement : Linky est un investissement de 5 milliards d'euros. L'enjeu est qu'il soit neutre en impact et qu'il n'y ait pas d'augmentation des tarifs pour le client. Il va y avoir des économies en pertes d'énergie en réseau, sur l'exploitation et les interventions.

Linky va-t-il vous faire faire des bénéfices ?

À long terme, bien sûr. Mais il faut avant cela financer l'investissement. Sachant que nous sommes une entreprise particulière dont les tarifs sont fixés. Le tarif d'utilisation des réseaux ne va pas augmenter du fait de l'installation de Linky et, à la fin, le client sera bénéficiaire. Les services additionnels, qu'il faudra fabriquer, auront un coût cependant.

C'est un phénomène européen et mondial. J'étais au forum africain des Smart Grid, lundi 7 mars au Caire. C'est le nouvel horizon des distributeurs pour favoriser l'intégration des énergies renouvelables, moderniser le réseau et améliorer la performance énergétique de ces pays.

Quelles sont les ambitions d'ERDF à l'international ?

Plus de 313 millions de compteurs communicants sont installés dans le monde, dont la majorité en Italie, en Suède, aux Etats-Unis et en Asie. Selon une étude du Cabinet Navigant Research, ce nombre devrait atteindre 1,1 milliard en 2022. Beaucoup de pays ont attendu qu'ERDF démarre pour engager leurs démarches, comme la Suède, le Japon, la Serbie. Les Chinois installent massivement mais une technologie différente.

Des discussions sont en cours sur un appel d'offre en Égypte. Ils sont très intéressés par notre appui et notre expertise et nos services en la matière. Nous avons signé un accord avec les Belges il y a quelques mois pour déterminer leurs besoins en compteurs intelligents.

Nous avons contribué à établir le standard mondial de référence pour les technologies du courant porteur en ligne. Nous participons d'ailleurs à l'alliance G3 qui réunit la plupart des fournisseurs de compteurs et les opérateurs électriciens autour de cette technologie où le signal d'information passe par le courant électrique. De ce point de vue, nous sommes le leader mondial en la matière.

Aujourd'hui, nous faisons appel à six fabricants. Demain, il y en aura plus. Tous nos compteurs sont fabriqués en France. On estime à 10 000 le nombre de créations d'emploi.

Quel est le marché mondial pour les compteurs et les réseaux intelligents ?

Ce sont des milliards d'euros. Les compteurs installés se comptent en centaines de millions. Le marché des smart grid est évalué à 30 milliards d'euros dans le monde. Et c'est en plein développement.

Pour atteindre ces nouveaux horizons, vous travaillez avec les startups. Quelles sont vos relations avec elles et votre politique d'innovation ?

L'innovation est devenue l'élément déterminant pour intégrer ces nouvelles technologies à la rapidité du marché. Nous avons notre propre R&D mais, sans les nouvelles manières d'appréhender l'innovation et sans open-innovation, on n'atteindrait pas aussi rapidement les niveaux de performances techniques auxquels on espère arriver très vite.

L'an dernier, nous avons lancer le concours Initiatives ERDF pour faire appel aux startups par grandes régions. Nous avons reçu 300 réponses dont 70 de la région toulousaine. À l'arrivée, nous avons récompensé 5 entreprises dont 3 d'ici. Cela nous permet d'accéder rapidement à des technologies et des innovations que nous aurions peut-être fini par voir apparaître sur le marché. Et que nous pouvons intégrer dans des domaines d'activités de la santé et des télécoms, avec lesquels nous ne sommes pas connectés spontanément.

Par exemple ?

La gagnante du concours, Exem, est une entreprise qui travaille sur les champs électriques et magnétiques. Nous avons réfléchi à la faisabilité de repérer les câbles sous-tension enterrés. Pour les retrouver, on est actuellement obligé de creuser un trou. Là, non. Cela évite beaucoup d'accidents. Cela va nous permettre de développer un marché pour notre compte et pour les entreprises des travaux publics. Nous avions l'idée de le faire, mais on ne savait pas comment. Grâce à notre démarche d'open innovation, nous avons découvert cette société qui était capable de développer des capteurs beaucoup plus petits et moins chers que tout ce que l'on connaissait.

Où en sont vos collaborations avec les gagnants du concours ?

Exem a développé sa preuve de concept. Elle sera testée le 16 mars devant la direction technique d'ERDF. Si le produit est aussi performant que ce que nous pensons, cela aboutira potentiellement à un marché.

Intesens, la 2e société, travaille sur des petits capteurs qui nous permettront de repérer des incidents sur le réseau.

Ensuite, tout dépendra de la capacité à industrialiser et à trouver des partenaires capables de financer le développement et la fabrication du produit.

Les deux autres startups, Delair-Tech, très connue, est aujourd'hui au stade de pré-industrialisation. Elle va prendre un marché relativement conséquent pour tester son service. Si cela fonctionne, il y aura un développement national. Même chose avec Sigfox : nous avons réalisé plusieurs preuves de concept. Nous allons expérimenter à l'échelle d'un département des capteurs sur le réseau électrique pour avoir en instantanée des informations sur la hauteur d'eau dans des caves, ou des capteurs météo ou de vibrations par exemples.

Pour ces entreprises, dire qu'elles ont travaillé avec nous est un gage de qualité. Cela leur permet de travailler ensuite en France et dans le monde. Nous pouvons les aider à entrer dans la phase industrielle dès lors que les conditions sont réunies, c'est ce que nous leur proposons.

Quelle est la dimension interne de votre politique d'innovation ?

En mettant à disposition de nos agents des données importantes, cela ouvre des champs potentiels de développement importants. Il pourrait y avoir des rencontres avec le tissu de startups. Lors de ma visite à Toulouse, j'ai vu certaines choses qui pourraient être de futurs développements. C'est de l'open innovation en interne. Nous libérons l'initiative.

Y a-t-il un lab ERDF ?

Non, car nous considérons que l'innovation doit être la plus ouverte possible et ne pas enfermer les gens entre quatre murs. Nous disposons d'un fablab à l'échelle nationale où ils peuvent trouver l'appui nécessaire pour tester leurs idées et leurs produits. L'an dernier, nous avons initié une démarche de hackathon. Une centaine d'agents s'est réunie sur deux jours et a sorti quelques idées intéressantes que nous sommes en train de développer.

De quand date cette démarche ?

Il y a quatre ans, ERDF a mis en place 18 démonstrateurs pour déterminer quels seraient les impacts de la transition énergétique et des innovations numériques. Chemin faisant, nous avons décidé il y a deux ans d'accélérer cette mutation avec une vraie ambition industrielle. Nous avons pris la mesure que l'entreprise était en train de passer de gestionnaire d'infrastructure à gestionnaire de systèmes. Nous devons prendre en compte non seulement notre réseau, mais également tout l'écosystème.

Une impulsion a été donnée à mon arrivée pour transformer en profondeur l'entreprise, développer les réseaux intelligents, faire évoluer nos métiers et nous rapprocher des territoires. Nous sommes engagés dans une mutation irréversible.

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