Lorsqu'on parle d'UX en France, on pense toujours évidemment à une industrie... pleine d'avenir. Prononcé avec le bon accent, comprenez "User eXperience design", le design d'expérience, soit le prolongement actuel de l'ergonomie. Plus qu'une simple esthétique, cette pratique du design cherche à coller au plus près des besoins et des habitudes des usagers d'un produit ou d'un service pour que ces derniers puissent offrir un véritable "plaisir d'usage", voire une expérience de vie.

Une jeune agence toulousaine, WD (WorkDesigners), se distingue dans cette discipline, encore peu diffusée en France. Deux femmes sont aux manettes et sont en train de percer. Émilie Soussi-Paumard et Marion Comet-Jackson ont créé leur entreprise en 2008, à peine sortie de leur master d'ergonomie au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) avec des cours entre Toulouse et Paris. "Au début, on a dû y aller au culot, sans réseau et sans expérience", se souvient Émilie Soussi-Paumard. Les premières années sont difficiles car ces jeunes entrepreneures payent à l'époque la méconnaissance des entreprises pour le design d'expérience et de service.

Cette nouvelle façon de voir le design, venue des États-Unis (pas si nouvelle car elle renouvelle les principes de l'ergonomie), peut s'appliquer à tous les domaines. L'idée principale est de partir de l'homme, de l'utilisateur et de ses pratiques avant de commencer à réfléchir à l'interface que l'on souhaite créer.

Pour des entreprises, il faut abandonner les anciennes méthodes : plus question de commencer par élaborer un cahier des charges pour aboutir à un service. Émilie et Marion ne participent pas aux appels d'offres pour la création d'interface d'un site web en livrant des captures d'écran. Le "design thinking" impose de commencer par réfléchir d'abord aux besoins et au service avant l'interface du site qui se fera donc au fil de l'eau, avec les utilisateurs et des erreurs, nécessaires pour avancer. L'entreprise doit leur faire confiance.  "Sauf qu'en 2008, on arrivait trop tôt !", résume Émilie Soussi-Paumard.

"Nous allons bientôt recruter !"

Avec 18 agences d'UX Design recensées en France, WD fait toujours partie des pionniers de la discipline. À Toulouse, un deuxième acteur est sur le créneau : l'agence Astrolab. Peu à peu donc, le design d'expérience s'installe en France et c'est une bonne nouvelle pour WD. Depuis deux ans, le carnet de commandes s'est rempli et cette fin d'année 2015 voit les projets affluer.

"Nous n'avons plus à faire de demandes ni à convaincre, les demandes arrivent directement sur le bureau maintenant. C'est incroyable pour nous ! Nous allons même bientôt recruter une personne", s'enthousiasme Émilie, dérangée par son portable qui lui rappelle un rendez-vous.

Un contrat de trois ans est par exemple en cours avec le Cnes dont les deux designers ont déjà revu l'interface des ordinateurs de surveillance dans la salle de lancement des fusées Ariane en Guyane. Un des enjeux était ainsi d'imaginer un tableau de bord, sur des nouvelles dalles tactiles, devant être aussi simple d'utilisation que le papier/crayon que les ingénieurs utilisent toujours au cours de la phase de lancement.

"De l'empathie dans le design"

Quels que soient l'acteur et le projet, les deux entrepreneures se fixent toujours pour objectif de "faciliter la vie des gens". Marion et Émilie ont le design jusqu'au bout des ongles. Émilie, 34 ans, parfaitement élégante, se réjouit de pouvoir continuer son aventure entrepreneuriale avec sa copine de fac. Marion est, quant à elle, installée à New York, où elle continue de travailler sur les projets français, prospecte le marché américain et s'inspire des tendances.

Pour l'heure, les clients sont surtout Français et viennent de Toulouse : Airbus Defence and Space, Aéroport de Toulouse Blagnac, Intent technologies (bâtiments intelligents), Coovia (covoiturage), le département du tourisme du Tarn ou encore l'hôpital psychiatrique de Lannemezan dont il a fallu élaborer avec les architectes la conception du bâtiment, le parcours et la sécurité des patients et du personnel médical. Il reste encore de nombreux acteurs de la région à évangéliser au design de service.

"À Toulouse, nous aimerions prolonger nos collaborations dans l'aéronautique. Par exemple, beaucoup pourrait être fait pour l'aménagement des cabines passagers des avions", estime Émilie, impatiente.

Pour ces projets, les budgets des entreprises varient de 4 000 à 30 000 euros. La petite taille de WD est appréciée par les clients pour sa réceptivité, réactivité et agilité. Les deux fondatrices collaborent régulièrement avec des indépendants à Toulouse comme Flex for you, spécialisé dans le coaching des équipes dirigeantes, l'agence de marketing Happy ou encore l'agence digitale Munso.

Les deux designers attachent également beaucoup d'importance au travail d'enquête, de mise en situation, d'empathie pour comprendre les besoins des utilisateurs du service. Leurs premières études universitaires en psychologie cognitives leur sont d'ailleurs particulièrement utiles.

"Je suis toujours étonnée par la faculté des travailleurs ou utilisateurs à imaginer des stratégies pour faire au mieux ce qu'ils ont à faire, remarque Émilie. C'est alors à nous de le comprendre et d'adapter le produit ou le service dans ce sens."

Pour ce faire, un long processus itératif, d'aller-retour, entre l'utilisateur et le designer est nécessaire. Cette méthode d'interaction et d'immersion, prêchée par Émilie et Marion depuis plusieurs années, commence à séduire les grandes entreprises. Arrivées "trop tôt" en 2008, Émilie et Marion arrivent à temps en 2015.