Réforme de l’apprentissage : la Région Occitanie monte au front avec les entreprises

Alors que le gouvernement a présenté son projet de réforme de l’apprentissage le 9 février, la Région Occitanie et ses acteurs économiques ont relevé lundi 26 mars les points positifs et négatifs du texte. Sa présidente, Carole Delga, craint notamment la disparition de nombreux centres de formation d'apprentis (CFA) et formations dans les territoires ruraux si le projet gouvernemental reste en l’état. Le texte définitif sera présenté en Conseil des ministres le 18 avril si le planning est respecté.
La Région Occitanie dénombre plus de 36 000 apprentis au 1er janvier 2018.

La France compte près de 400 000 apprentis, soit seulement 7 % de ses jeunes âgés de 16 à 25 ans, contre 15 % en moyenne dans les autres pays européens. Un constat  qui a poussé le président de la République, Emmanuel Macron, a engagé une réforme de l'apprentissage en France.

Le gouvernement a donc présenté le 9 février la première version de son projet de loi, avec une vingtaine de mesures visant à augmenter le nombre d'apprentis en France dans les prochaines années. En résumé, ce texte propose l'amélioration du statut d'apprentis avec une meilleure rémunération, davantage de subventions pour ces jeunes et des classes préparatoires à l'apprentissage. Du côté des entreprises, l'exécutif propose une simplification de l'élaboration de ces contrats d'apprentissage et des aides à l'embauche, une taxe unique récoltée par l'Urssaf et non plus deux comme aujourd'hui, et la possibilité de recruter des apprentis toute l'année. Pour les CFA (centre de formation d'apprentis), ils ne seront plus financés en grande partie par les Régions mais au nombre de contrats signés. Autre point nouveau, ces établissements pourront adapter leur offre de formation aux besoins des entreprises sans aucune autorisation administrative.

Afin de peser dans la construction de cette réforme, Carole Delga a convoqué à l'Hôtel de Région lundi 26 mars tous les acteurs locaux de l'apprentissage pour une après-midi d'échanges et de réflexion autour de ce projet de loi. Plus d'une centaine de personnes étaient présentes, dont Alain Di Crescenzo, président de la chambre de commerce et d'industrie régionale, Serge Crabie président de la chambre régionale des métiers et de l'artisanat et Hervé Gauzin, vice-président de la commission formation de la chambre régionale d'agriculture.

La Région Occitanie veut récupérer la compétence "orientation"

Quelques instants après ce "congrès" autour de l'apprentissage local, la présidente de la Région Occitanie, Carole Delga, a dressé son propre bilan de la réforme de l'apprentissage proposée par le gouvernement.

"Il y a des points positifs dans cette réforme comme la simplification des procédures pour l'élaboration des contrats d'apprentissage, la simplification de la collecte de la taxe d'apprentissage auprès des entreprises avec une taxe unique récoltée par l'Urssaf. Elle comporte également des mesures qui étaient jusqu'à présent expérimentales sur notre région et qui maintenant vont être généralisées au niveau national, sachant que cette réforme s'appliquera au plus tôt à la rentrée 2019. Sur ces points, la réforme est intéressante, pour autant elle n'est pas aboutie. Mais nous partageons l'objectif du gouvernement qui est d'augmenter le nombre d'apprentis", détaille la présidente.

Sur l'année 2017, la Région Occitanie a vu son nombre d'apprentis augmenter de 8 %, passant de 34 500 à plus de 36 000 au début de l'année 2018. Les trois expérimentations lancées par la Région à la rentrée 2017 et auxquelles Carole Delga fait référence peuvent être les raisons de cette dynamique : l'apprentissage ouvert jusqu'à 30 ans et non plus 26 ans comme ailleurs en France (l'Occitanie compte 2 200 apprentis de plus de 26 ans, ndlr), une subvention de 500 euros pour les apprentis qui souhaitent passer le permis de conduire et des classes préparatoires à l'apprentissage. Ces trois mesures seront donc bien mises en place sur tout le territoire national à la rentrée 2019 au plus tôt. Mais la présidente de Région veut aller plus loin.

"Pour lever tous les freins sur l'apprentissage qui n'est pas assez développé en France, le premier nœud c'est l'orientation. Si une réforme de l'apprentissage ne réorganise pas le système de l'orientation, elle ne pourra pas réussir parce que c'est au niveau de l'orientation que tout se joue. On doit avoir un système d'orientation qui présente mieux les métiers aux jeunes et à leur famille. Il faut que cela soit un système plus organisé en lien avec les professionnels pour présenter leur métier afin de faire connaître tout le cursus de l'apprentissage, du bac pro au bac + 5. Pour l'instant, il n'y a pas de proposition concrète à ce sujet alors que le Premier ministre a dit que ça serait dévolu aux Régions", ajoute l'ancienne ministre du Commerce extérieur et de l'Artisanat.

À noter que dans son projet de loi, l'exécutif propose des journées d'informations et de découverte des métiers en lien avec l'apprentissage à destination des élèves de 4ème à la première, qui seraient organisées par les Régions en coopération avec le monde professionnel et les Départements.

La libéralisation de l'offre de formation, le gros point noir

Autre point de désaccord majeur entre l'exécutif et la Région Occitanie, la libéralisation de l'offre de formation. À l'avenir, un centre de formation des apprentis n'aura pas à réclamer le feu vert des conseils régionaux pour ouvrir ses portes. Il pourra alors être ouvert librement par une entreprise ou une branche professionnelle par exemple.

"Nous sommes entre nos compétences économie et formation donc nous avons vraiment un rôle de coordinateur important mais aussi d'aider les filières moins structurées. Par exemple dans l'aéronautique, nous avons un interlocuteur structuré et organisé, en l'occurrence l'UIMM. En revanche, quand vous êtes sur la branche du service à la personne, de l'agroalimentaire, ou même du bâtiment, là les interlocuteurs sont beaucoup moins organisés. Et ce rôle de coordinateur permet d'avoir une carte des formations professionnelles qui soit adaptée sur l'offre déjà existante dans les territoires et sur les besoins de nos entreprises. On ne peut pas laisser la main invisible du marché faire ce travail", met en garde Carole Delga.

Ce que craignent les acteurs locaux, c'est évidemment une concentration des formations dans les grandes villes ou dans la périphérie très proche.

"Dans chaque établissement, il y a des pôles de compétences, des spécialités, donc on ne va pas rouvrir une formation juste à côté pour se faire concurrence. Le rôle de coordinateur de la Région permettait cet équilibre des territoires et des formations. Si cette carte de formation n'existe plus, que tout opérateur peut ouvrir un CFA ou une formation, nous risquons de créer des formations dans des domaines qui plaisent aux gens mais où il y a peu d'emploi. Quand des personnes pourront ouvrir n'importe quoi, n'importe comment et n'importe où, bien sûr cela se fera à proximité des villes puisque à la campagne il est plus difficile de recruter. Mais cela ne correspondra pas aux besoins en terme d'emploi", regrette Hervé Gauzin de la chambre régionale de l'agriculture.

Le financement au nombre de contrats signés met en danger de nombreux CFA

Dernière mesure qui provoque une levée de boucliers au niveau local : le futur mode de financement des CFA. Financés principalement par les conseils régionaux pour le moment, Emmanuel Macron veut désormais que chaque centre de formation soit financé au nombre de contrats signés. En soit, ce modèle pourrait inciter les établissements à mettre en place des actions pour gonfler son nombre d'apprentis et répondre ainsi à l'objectif du gouvernement. Mais Carole Delga estime que ce modèle va fragiliser les établissements aux petits effectifs.

"Ce type de financement favoriserait les gros CFA avec des effectifs importants et déstabiliserait les petits CFA car les charges de structure sont plus élevées pour un centre de moins de deux cents apprentis que pour un de 500 et plus. Donc nous allons demander qu'il y ait une modulation qui soit permise aux Régions pour permettre aux petites sections de CFA de moins de 10 effectifs puissent continuer à exister sur notre territoire", promet l'élue régionale.

Dans le département de l'Aveyron par exemple, 12 CFA proposent 95 formations et parmi eux neuf seraient considérés comme en sous-effectif par l'exécutif. Cette nouvelle organisation pourrait entraîner la fermeture de 39 formations car elles n'ont pas des effectifs supérieurs à dix apprentis. De manière plus globale, la Région Occitanie compte 103 CFA pour 1 700 sections, ce qui permet de proposer plus de 700 diplômes différents. Mais 40 % de ces sections comportent moins de 10 élèves (pour près de 20 % des apprentis de la région, ndlr) et sont donc directement mis en danger par cette réforme. Des sections dans lesquelles la Région intervient déjà pour garantir chaque année l'équilibre financier.

"C'est tout un pan de jeunes qui seront mis à l'écart, ce sont des chômeurs supplémentaires, des reprises d'entreprises qui n'auront pas lieux, c'est catastrophique. Il faut se battre pour que la Région ait les moyens financiers à la hauteur de cette tâche pour assurer l'équilibre financier de ces établissements", prévient Serge Crabie.

Carole Delga veut rendre les conclusions de cette réunion en écrivant un courrier commun avec les chambres consulaires au Premier Ministre, mais n'est-ce pas déjà trop tard ? En effet, le journal Le Monde a révélé mardi 27 mars que Muriel Penicaud, la ministre du Travail, vient de soumette plusieurs projets de loi, dont celui sur l'apprentissage, au Conseil d'Etat pour avis. Quoi qu'il en soit, le projet de loi doit être présenté en Conseil des ministres le 18 avril et donc tout reste possible jusqu'à cette date.

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