"10 milliards d'euros en plus sur 10 ans pour l'enseignement supérieur et la recherche"

Le Toulousain Bertrand Monthubert, ancien président d'UT3 Paul Sabatier, a remis le 31 janvier à Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon le Livre blanc de l'Enseignement supérieur et de la Recherche commandé par les deux ministres. Le document indique la marche à suivre sur les 10 ans à venir pour faire de la France un pays leader en matière de recherche et d'innovation, avec une augmentation du budget de 10 milliards d'euros sur 10 ans. Entretien.
Bertrand Monthubert, conseiller régional d'Occitanie, ancien président de l'université Paul Sabatier à Toulouse

Vous avez remis le 31 janvier aux ministres concernés un rapport qui établit la stratégie de la France en matière de recherche et d'enseignement supérieur. Il stipule que l'État doit augmenter son budget de 10 milliards d'euros sur 10 ans. Dans quel but ?

L'objectif à 10 ans est d'atteindre 3 % du PIB pour les dépenses dans la recherche (contre 2,24 % aujourd'hui), et d'atteindre 2 % du PIB pour l'enseignement supérieur (contre 1,5 % aujourd'hui). Les pays les plus performants en Europe (qui sont les pays du nord de l'Europe) sont à 1,7 voire 1,8 % du PIB investis dans l'enseignement supérieur mais, étant donnée la trajectoire dans laquelle nous sommes aujourd'hui, ils seront à 2 % dans 10 ans. Ce sont deux objectifs ambitieux mais nécessaires. Cela suppose d'augmenter chaque année le budget d'un milliard d'euros.

Sans cet investissement, la France n'est pas compétitive en matière de recherche et d'innovation ?

Notre objectif n'est pas d'être dans la moyenne de l'OCDE mais d'être parmi les pays les mieux placés. La France n'ambitionne pas d'avoir des performances justes moyennes. Or, il faut regarder comment les autres pays ont évolué en matière de recherche et d'enseignement supérieur : certains émergent de manière extrêmement frappante. On ne peut plus rester sur l'idée que le même petit groupe de pays continuera à dominer le monde académique. Par exemple, je me souviens que lorsque j'ai commencé mes études, la Chine était en retard scientifiquement. Aujourd'hui, elle nous rattrape en termes de dépenses de R&D et beaucoup de professeurs invités y vont régulièrement, et dans de très bonnes conditions, et les étudiants chinois choisissent souvent un poste en Chine, même quand ils ont des offres aux États-Unis. Autre exemple : en Iran par exemple, où je me suis rendu avec Thierry Mandon en décembre, il y a plus d'étudiants qu'en France, comparé au nombre d'habitants.

Et en Europe ?

Le Danemark et la Suède sont en forte croissance en termes de nombre de diplômés du supérieur. Quand j'ai rencontré leurs ministres respectifs en charge de la recherche, c'était frappant. Je leur ai demandé si la crise avait eu un impact sur les dépenses dans l'enseignement supérieur et ils m'ont répondu : "au contraire, s'il y a moins d'emplois à un moment donné, profitons-en pour former les gens".


Vous souhaitez atteindre 60 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur (contre 44 % actuellement). Combien d'étudiants en plus cela représente-t-il ?

On ne sait pas faire une projection précise. Présenter une fourchette me paraissait plus honnête qu'un chiffre qui aurait été de toute façon faux, mais la fourchette va quasiment du simple au double en termes d'augmentation du nombre d'étudiants : c'est 350 000 en fourchette basse et 700 000 en fourchette haute, d'ici dix ans. Cela dépendra de nombreux facteurs. C'est énorme, donc si on veut accompagner ça, il faut des moyens supplémentaires.


Vous parlez d'un milliard d'euros par an pendant dix ans, mais à partir de quand ?

C'est déjà prévu en 2017, puisque le budget augmente de 850 millions d'euros. Avec les crédits PIA, nous sommes à plus d'un milliard d'euros. L'ambition n'est pas de donner des objectifs à 10 ans et de dire "on verra bien". La question est de savoir ce que l'on fait maintenant et pour les 4 prochaines années. C'est la première fois qu'une programmation budgétaire est établie pour permettre d'atteindre ces objectifs.

Pourquoi une échéance à 4 ans ?

Parce que l'on compte l'année 2017, et puis le triennal budgétaire 2020 (plan budgétaire sur trois ans). Ce qui était important pour moi, c'est que cette programmation ne commence pas en 2018. La crédibilité aurait été très largement entamée.

À cause de l'élection présidentielle 2017 ?

En effet, il va y avoir des élections et un nouveau gouvernement qui, en cas d'alternance, aura toute latitude pour remettre en question ce qui aura été fait par ses prédécesseurs. C'est la démocratie, il n'y a rien d'anormal là-dedans et je l'ai évidemment pris en compte. Mais je considère que l'enseignement supérieur et la recherche n'est pas un secteur qui se juxtapose aux autres. Nous sommes sur quelque chose qui, aujourd'hui, touche tout. La fintech, la robotisation des emplois... Derrière tout ça, de quoi parle-t-on ? De recherche. Mais aussi de formation : comment fait-on pour que les gens continue à avoir un emploi, alors que les métiers évoluent de manière très profonde ? Ce livre blanc essaye de placer la question de l'enseignement supérieur et de la recherche comme une problématique qui impacte l'ensemble des politiques sectorielles.

J'ai donc l'espoir, peut-être sera-t-il vain mais soyons optimistes, que le gouvernement qui sortira des urnes au printemps prochain pourra considérer que, sur cette question-là, il peut faire sien ces grands objectifs. Et si un gouvernement veut défaire ce qui se trouve dans ce livre blanc, il faudra qu'il le justifie.

Avec 60 % d'une classe d'âge diplômée d'un master, êtes-vous sûr qu'il y aura du travail pour tout le monde ?

Certains considèrent en effet que c'est trop car il n'y aurait pas d'emploi à ce niveau-là pour tout le monde. Mais c'est faux : le pourcentage de chômeurs en fonction du niveau de diplôme chute de manière très importante (3 ans après la sortie du système scolaire, 48 % de chômeurs chez les non-diplômés, 25 % chez les diplômés du secondaire, 10 % chez les diplômés du supérieur). Par ailleurs, quel est le risque de voir son métier remplacer par un automate en fonction du niveau de diplôme ? Pour la licence, c'est 1 % et pour le master c'est 0 %. C'est vraiment aller à contre-courant de l'histoire que de dire que l'on va limiter le nombre de diplômés du supérieur.

Est-ce que, selon vous, les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité d'investir dans la recherche mais aussi la nécessité de la transformer, de la moderniser, de la numériser ?

Oui, mais l'ensemble de la classe politique n'a pas encore intégré la question de l'enseignement supérieur et de la recherche comme étant au centre de toutes les préoccupations. Pourtant, les entreprises et l'économie en général font de plus en plus appel à la recherche. Mais la question ne peut pas se résoudre aux politiques. C'est aussi une question de culture, de citoyenneté. Il faut que tout le monde se sente concerné, tourné vers un objectif commun. C'est pour cela que j'essaye d'en parler partout et également dans des journaux non spécialisés. Je serais content le jour où un journaliste politique en parlera plutôt que de s'arrêter aux petites phrases.

Est-ce que tout ce discours sur la promotion des études supérieures ne vient pas en contradiction avec la promotion de l'apprentissage ?

Non, pas du tout, parce que l'apprentissage peut se faire à tout niveau. Il y a des diplômes d'ingénieur en apprentissage, mais aussi des diplômes de boulanger en apprentissage. Concernant l'apprenti boulanger, je ne suis pas sûr que ce soit celui qui soit le plus en danger. Dans certains métiers d'artisanat, il y aura toujours besoin de gens. On constate aussi que sur les métiers d'accompagnement, les métiers du soin au sens très large, l'emploi augmente, mais ce sont souvent des postes à faible niveau de qualification et de rémunération. Est-ce que l'on pense réellement qu'on va entraîner toute une société vers des métiers faiblement rémunérés ? Je n'y crois pas un instant.

La question est : comment on profite de cet élan qui existe dans la population pour aller vers des études supérieures, comment on fait évoluer les formations pour s'adapter au monde, comment injecte-t-on beaucoup plus de formation numérique dans les différentes formations en général ? Et surtout, comment met-on en place un système important de formation tout au long de la vie pour que les dés ne soient pas jetés quand on est jeune ? C'est une question centrale si on veut réduire les inégalités.

Lire aussi : "La recherche et l'enseignement supérieur rapportent plus que ce qu'ils ne coûtent"

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