"La recherche et l'enseignement supérieur rapportent plus que ce qu'ils ne coûtent"

Le Toulousain Bertrand Monthubert a été chargé par Najat Vallaud Belkacem et Thierry Mandon d'établir un livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui sera présenté cet automne au Parlement. L'occasion d'aborder avec ce spécialiste la place de la France dans la compétition mondiale pour l'innovation, le rôle de l'Europe en la matière, et la reconquête du label Idex à Toulouse. Entretien.
Bertrand Monthubert

Un livre blanc de l'enseignement supérieur et de de la recherche sera remis par le gouvernement au parlement cet automne. Vous pilotez son écriture. À quoi va servir ce document ?

La loi sur l'enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 a prévu plusieurs choses nouvelles sur le rôle de l'État stratège. La première est l'élaboration d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur (Stranes) et d'une stratégie nationale de recherche (SNR). Ainsi, en 2015, deux rapports ont été remis au président de la République sur ces stratégies. Depuis, un certain nombre de mesures ont été mises en œuvre, et il s'agit dans ce livre blanc de les décrire. Cela permettra de donner un sens à un certain nombre d'actions qui peuvent être vues à chaque fois de manière séparées et qui, en fait, font partie d'un tout, d'une globalité de l'action. Et ce qui est également essentiel, évidemment, c'est de prévoir une programmation budgétaire, c'est-à-dire de pouvoir indiquer, si l'on veut réaliser les objectifs, quels sont les moyens qui seront nécessaires à ce titre.

 Il s'agit de prouver que le gouvernement agit en matière d'enseignement et de recherche ?

Thierry Mandon est vraiment très clair  - j'ai beaucoup travaillé avec lui - sur le fait que les stratégies (Stranes ou SNR) ne devaient pas être conçues comme un seul horizon sans conséquences immédiates. Si on veut atteindre ses objectifs, il faut s'impliquer dès maintenant. Donc il s'agit de présenter ça. De montrer la manière dont le gouvernement s'est emparé de ces rapports pour mettre en œuvre un certain nombre de mesures très opérationnelles, très concrètes.

 Quelles sont les actions dont vous parlez et qui ont été mises en œuvre et qui vont être recensées dans le document ?

Sans dévoiler encore le livre blanc, voici quelques exemples : des mesures sur l'orientation ont été prises. Une évolution du système APB (admission post bac), un renforcement de l'orientation au niveau du lycée, un développement du processus d'orientation dès la première, le fait de créer 5 conseils d'orientation post-secondaires expérimentaux (il y en a un dans l'académie de Toulouse) qui permettent de travailler sur les cas les plus compliqués en matière d'orientation. On peut aussi parler du numérique : un travail conjoint auquel j'ai été associé avec le Conseil national du numérique, va déboucher sur une expérimentation dans plusieurs établissements pour travailler sur la transition numérique à l'échelle de l'établissement. On sort de l'initiative un peu ponctuelle qui va concerner parfois une seule formation pour avoir une logique qui transforme complètement un établissement.

N'est-ce pas un peu tard,  politiquement, pour présenter ce livre blanc alors que les présidentielles arrivent dans un an ?

C'est une vraie question bien sûr. Maintenant, il faut regarder les choses en face. Premièrement un mandat, ça passe très vite. Et c'est vrai que le gouvernement a choisi une voie de concertation en créant les Assises de la recherche en 2012 qui ont été un moment important, en faisant une loi importante également qui a été votée le 22 juillet 2013. Cette loi a prévu l'élaboration de stratégies, il fallait le temps de construire des stratégies solides, et par ailleurs, des mesures ont été mises en œuvre qui s'inscrivent dans la stratégie nationale. Donc ça ne sera pas seulement l'annonce de choses qui seront à venir, mais bien la présentation d'une politique déjà engagée depuis plusieurs années, ainsi que des mesures qui seront encore à mettre en œuvre. Alors évidemment, je n'ignore pas que nous sommes dans la dernière année avant l'élection présidentielle.

Quelles seraient les conséquences d'une alternance politique en 2017 ?

Deux remarques : d'abord, dans un mandat qui est déjà court, de 5 ans, on ne va pas se permettre d'avoir une année blanche à la fin, sinon on ne s'en sort plus.

La deuxième chose, c'est qu'évidemment une alternance politique est toujours possible. S'il y avait alternance politique, et s'il y avait à ce moment-là volonté de changer les choix qui sont faits, je pense qu'il faudrait que ça se fasse sur la base du plus grand sérieux par rapport au travail important qui a été fait. La construction de la Stranes comme de la SNR a été un travail considérable avec énormément d'auditions d'acteurs du secteur académique mais aussi du monde économique et social.

Donc s'il y avait une alternance politique et la volonté de changer les choix, il faudrait l'expliquer et le justifier. Mais j'ai constaté qu'au fond, l'opposition n'est pas véritablement mobilisée contre les objectifs de la Stranes et de la SNR. L'essentiel de leurs interventions au Parlement portaient sur « quels sont les moyens que vous allez mettre en faveur de cette stratégie ?». Najat Vallaud-Belkacem et Thierry Mandon ont annoncé en juin l'élaboration d'un plan pluriannuel dont la première échéance, et qui engage donc ce gouvernement, est sur le budget 2017 qui va augmenter de 850 millions d'euros. C'est considérable et c'est le signe de l'engagement dans la réalisation de la stratégie nationale.

Aujourd'hui, combien représente ce budget ?

Au total, ce qu'on appelle la Mires (Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur) représente 26 milliards d'euros.

Mais la question n'est pas que l'enseignement supérieur et la recherche soit des privilégiés par rapport au reste. La question, c'est que l'enseignement supérieur et la recherche c'est l'investissement d'avenir par excellence, et c'est quelque chose qui rapporte plus qu'il ne coûte. C'est quand même frappant : pour un diplômé supérieur, quand on fait la différence entre le coût de la formation supérieure et ce que ça va rapporter au cours de sa vie (en terme de recettes fiscales par exemple, par le fait qu'il accède à des emplois plus qualifiés et générateurs de plus de revenus et donc d'impôts, et un certain nombre également de coûts évités, en terme de protection sociale par exemple) eh bien le bilan est positif.

Combien "rapporte" donc un diplômé supérieur ?

Selon les calculs de l'OCDE qui sont faits dans tous les pays, en France, la différence entre ce que ça rapporte et ce que ça a coûté est un bénéfice de 80 000 dollars.

La France est-elle à la traine dans la compétition mondiale de la recherche ?

Non, la France est dans les meilleures nations mais c'est une position qui est très difficile à conserver, qui peut bouger à tout moment. D'abord parce qu'on a de plus en plus d'acteurs : on a vu l'émergence en quelques années de pays comme la Chine évidemment, comme l'Inde, comme le Brésil. Je me souviens, c'était il y a peut-être 5 ou 6 ans, quand le Brésil a dépassé la Russie en termes de publications scientifiques. La Corée du Sud est passée en un demi-siècle d'un pays où la très grande majorité de la population était illettrée à un pays où 80% des jeunes vont dans l'enseignement supérieur. Donc les bouleversements sont extrêmement rapides. Dans ce type de situation, les positions ne sont jamais acquises définitivement.

Quel devrait être le rôle de l'Europe en matière d'enseignement supérieur et de recherche ?

La circulation des idées et des intellectuels, des savants, tels qu'on les appelait à l'époque, a été, au fond, au cœur d'une forme de construction de l'Europe. Pour autant l'Europe ne s'est pas engagée complètement dans le fait de placer l'enseignement supérieur et la recherche au cœur de ses priorités. Je le regrette. Par ailleurs je constate un paradoxe : elle fixe des objectifs aux pays (ça a été le cas dans le cadre du traité de Lisbonne avec les 3% du PIB pour la R&D), et elle continue à compter dans les critères de déficit public les dépenses de l'enseignement supérieur et de la recherche, alors même qu'ils rapportent de l'argent. Je crois qu'il y a là une contradiction, et il serait important, particulièrement dans un moment où l'Europe se cherche, qu'elle s'engage véritablement sur ce qui est  l'essence même d'une politique de construction d'avenir. C'est bien là-dessus qu'on attend l'Europe.

Au niveau de la région Occitanie, le Conseil régional est en train d'établir et de mettre en place différentes stratégies pour la recherche, l'innovation, l'économie. Comment pesez-vous dans ces stratégies ?

D'abord, en faisant partie de l'équipe de Carole Delga, en tant que conseiller délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, je travaille de manière importante sur ces questions-là avec Nadia Pellefigue et avec la Présidente directement. Cette dernière est très impliquée d'ailleurs sur ces questions, elle a pleinement conscience que nous sommes une région qui a un poids extrêmement important pour l'enseignement supérieur et de la recherche. C'est vrai que c'est très frappant, nous sommes la première région en terme d'intensité de la R&D, c'est-à-dire en terme de pourcentage du PIB consacré à la R&D. Nous sommes à 4% du PIB dans la nouvelle région Occitanie pour la R&D. Et je rappelle que l'objectif européen c'est 3%, donc nous, nous l'avons largement dépassé.

Comment fait-on pour développer l'enseignement supérieur et la recherche, quels sont vos leviers d'action ?

 La région a un certain nombre de leviers qu'elle a mis en place, avec par exemple le soutien au développement de l'ESR dans les villes non métropolitaines, afin de les soutenir dans le développement local, avec aussi le soutien des centres de recherche, en termes de locaux ou d'équipements scientifiques, avec, également et c'est important, une action en faveur de la culture scientifique, technique et industrielle pour que l'on ait une science qui ne soit pas isolée, mais qui irrigue l'ensemble de la société.

Un bel exemple de succès est l'observatoire du Pic du Midi, soutenu par le Conseil Régional, où se trouve un instrument scientifique qui contribue à la découverte des exoplanètes.

Maintenant nous sommes en cours d'élaboration de ce schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Donc, nous n'avons pas du tout fini le travail.

Quand sera présenté ce schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation?

 D'ici au début de l'année prochaine, c'est-à-dire théoriquement vers le mois de janvier, de manière conjointe d'ailleurs avec les autres schémas : le Schéma régional du développement économique, de l'innovation et de l'internationalisation, mais aussi le Contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles (CPRDFOP).

Philippe Raimbault vient d'être élu président de l'Université fédérale de Toulouse, il va avoir la lourde charge de représenter un dossier pour obtenir à nouveau le label Idex. Il a votre confiance ?

Totalement. En 2012 on avait une situation extrêmement tendue avec des projets qui ne suscitaient pas l'adhésion, il a fallu travailler à la recréer. Aujourd'hui la situation est beaucoup plus apaisée et la confiance commune beaucoup plus forte. Et c'est là-dessus que Philippe Raimbault va pouvoir s'appuyer pour porter une nouvelle étape de la vie de l'Université de Toulouse.

Le label nécessite de définir un périmètre d'excellence. Comment faire ? Y a des disciplines qui sont moins "d'excellence" que d'autres et qui méritent moins de financements ?

Je crois que dire "c'est telle discipline ou telle autre" n'est pas forcément le bon axe. Il peut y avoir à l'intérieur même d'une discipline des niveaux très hétérogènes, en réalité. Je pense que la question est : quels sont les projets sur lesquels l'Université de Toulouse veut véritablement s'engager et vraiment compter parmi les meilleurs au monde, et comment cette dynamique-là réussit à avoir un impact positif aussi pour le reste ? Je crois que c'est la question qui est importante, parce que chacun peut bénéficier du fait qu'il y ait des moteurs dans un endroit.

Il y a donc des choix à faire : définir des projets, des équipes dans lesquelles on investit davantage...

De toute façon aujourd'hui c'est clairement le cas. Ce qu'on peut regarder néanmoins, c'est que par exemple sur les appels à projets qui ont été lancés dans le cadre de l'Idex, on a pu voir apparaître des projets très intéressants et qui ne font pas forcément partie de ce qu'on aurait pu voir au départ dans les radars. Il y a parfois ce qu'on appelle les niches qui peuvent être d'un niveau vraiment exceptionnel, qui ne vont pas forcément regrouper des centaines de chercheurs- il n'y a pas lieu d'ailleurs que ce soit le cas- mais dans lesquelles on est au meilleur niveau mondial. Donc il faut éviter de figer les choses, définir une stratégie de site qui tire l'ensemble vers le haut.

Pour la structuration, un Conseil d'orientation stratégique a été créé par Marie-France Barthet, c'est une très bonne chose et nous suivons avec beaucoup d'intérêt leurs travaux. Nous serons là pour accompagner l'Université fédérale dont le niveau est remarquable et qui constitue un atout majeur, avec la Comue Languedoc-Roussillon Université, pour notre région.

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Commentaires 2
à écrit le 27/09/2016 à 21:06
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Il est prof de maths en même temps et à masquer le deficit de l université Paul Sabatier et quitter la présidence pour se rapprocher de dieu, enfin ce qu il en reste. il a également quitté le navire pour sa carrière.

à écrit le 27/09/2016 à 10:17
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On sent bien que les sciences humaines sont à l'arrière plan dans tout ca

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