C'est un tremblement de terre en Midi-Pyrénées. L'un des hommes les plus puissants de la région, première fortune de Midi-Pyrénées (800 M€), s'est éteint ce matin. Cultivant la discrétion, il se faisait rare et, ces derniers mois, des bruits couraient sur son état de santé. Il n'avait pu être présent au Stade de France lors de la finale du championnat de France de rugby remportée par le Castres Olympique, club qu'il soutenait depuis 1989.

Dieu le Pierre, comme le surnommait les Castrais, était incontournable dans le Tarn et en Midi-Pyrénées. Il était à la tête d'un des fleurons de l'économie régionale et française, les Laboratoires Pierre Fabre, qu'il avait fondé en 1962. L'aventure de ce pharmacien avait commencé en 1961 lorsqu'il avait mis au point son premier médicament pour lutter contre les jambes lourdes à partir du houx, très présent dans la vallée du Tarn.

Les Laboratoires Pierre Fabre, qui connaissent "le plus grand deuil de (leur) histoire" ont rendu hommage à leur fondateur. "Il a consacré toute son énergie à l'entreprise. Il en a géré, piloté, orchestré toutes les étapes du développement et bâti pierre après pierre une entreprise internationale. Entrepreneur visionnaire doté d'une intuition et d'une capacité de travail exceptionnelles, monsieur Pierre Fabre a su conduire avec un talent et une persévérance inégalables son groupe sur les chemins de la réussite. Il l'a fait en restant attaché à ses valeurs auxquelles il ne dérogeait pas : maintenir l'indépendance de l'entreprise, rester fidèle à sa région d'origine, privilégier le moyen terme et réaliser les investissements nécessaires à la pérennité du groupe sur le plan de la recherche comme sur le plan industriel." Le communiqué du groupe souligne également "le souci permanent du bien être de ses collaborateurs" et le caractère "humble, discret et désintéressé" de Pierre Fabre.

"Le deuil de toute une région"
"Pierre Fabre a non seulement consacré 50 ans de sa vie à l'édification de l'un des trois premiers groupes pharmaceutiques français avec passion, intuition et invention mais il l'a fait avec une fidélité exceptionnelle à la terre qui était la sienne, qu'il a entraînée et servie dans son aventure industrielle, a réagi Martin Malvy. Pendant toute sa vie Pierre Fabre aura été un précurseur. Jusqu'à ses derniers jours il aura imaginé et construit des projets dont l'un des derniers aura été le Canceropole de Toulouse dont il restera l'inspirateur et le principal acteur. J'adresse en mon nom personnel mais aussi au nom de l'institution régionale mes plus sincères condoléances à sa famille et salue avec respect sa mémoire." Le président du Conseil régional a également souligné, "au-delà de Castres et du Tarn, le deuil de toute la région Midi-Pyrénées".

Pierre Fabre était en effet un entrepreneur visionnaire. Chef d'entreprise respecté, admiré et craint, sa carrière est un exemple de réussite du capitalisme familial. "Ses employés lui sont formidablement dévoués. On bosse pour lui, pas pour l'entreprise, nous confiait en 2010 une syndicaliste des Laboratoires Pierre Fabre. Le management est très patriarcal mais Pierre Fabre sait motiver ses troupes, créer un attachement, se montrer accessible quand il le faut. Il est tellement décisionnaire que sa succession sera forcément compliquée." Pierre Fabre laisse un groupe en bonne santé et, officiellement, la question de sa succession, qui a longtemps alimenté les spéculations, a été réglée en 2009. Sans enfants, Pierre Fabre a légué 65 % de ses parts à la fondation qui porte son nom. Une manière d'assurer l'indépendance du groupe, conjuguée à la part détenue par les salariés volontaires.

La question du successeur demeure cependant. Jacques Fabre, son neveu, étant parti à la retraite en octobre 2012, le nom de son fidèle lieutenant Pierre-Yves Revol revient régulièrement. Il a notamment dirigé, des années durant, le Castres Olympique avant d'être à la tête de la holding personnelle de Pierre Fabre qui regroupe plusieurs entreprises dont le CO.

Un groupe international
Implanté dans près de 130 pays à travers le monde, le groupe Pierre Fabre compte aujourd'hui 10.000 collaborateurs, dont 6.700 dans l'Hexagone et 2.700 dans le Tarn. L'entreprise était également présente à Toulouse au travers de son implication dans l'Oncopole. Toutes les équipes d'oncologie du groupe doivent ainsi être regroupées sur le site toulousain. En 2012, les laboratoires ont annoncé un chiffre d'affaires de 1,978 Md€ (918 M€ en France et 1060 M€ à l'international), en hausse de 48 % depuis 2002. Fondateur du groupe, il en présidait le conseil d'administration. Une réussite récompensée en 2010 lorsque Pierre Fabre avait été élevé au rang de Grand-Croix, plus haute dignité dans l'Ordre de la Légion d'honneur. La cérémonie avait réuni plus de 150 personnes à l'Élysée.

Symbole de l'importance des Laboratoires Pierre Fabre dans l'économie française, le président de la République avait fait le déplacement pour l'inauguration de l'unité tarnaise de fabrication de produits dermo-cosmétiques de Soual, le 31 mai dernier. À cette occasion, François Hollande s'était brièvement entretenu avec Pierre Fabre. Il avait alors déclaré que "l'un des secrets de la réussite des Laboratoires, c'est l'innovation et la recherche, ce qui m'a été présenté tout au long de la visite. J'ai vu des laboratoires, des brevets et des innovations que ce soit sur le produit ou le conditionnement. C'est l'un des plus beaux fleurons de l'industrie en France, un exemple à suivre. Nous avons besoin de grands industriels et de créateurs d'entreprises pour avancer."

Nombreuses réactions
Le maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole Pierre Cohen "salue la mémoire de cette personnalité hors du commun dont le parcours a été exemplaire. En 1962, ce pharmacien de formation a fondé son entreprise, devenue aujourd'hui un géant du secteur de la pharmacie et des cosmétiques, qui emploie plus de 10 000 salariés. Cet homme remarquable, arrivé au niveau mondial de son industrie, est resté très attaché à son territoire. Pierre Fabre a très largement contribué au développement de la recherche, de l'innovation et de l'emploi sur la région Midi-Pyrénées et notamment sur Toulouse. Il a été l'un des moteurs les plus précieux de l'Oncopole en y implantant, le premier, son laboratoire de recherche. Il a aussi partagé sa réussite avec les siens en soutenant financièrement depuis 25 ans le Castres Olympique. Il est parti en ayant partagé le bonheur de son équipe devenue championne de France de rugby cette année."

Jean-Luc Moudenc, député de la Haute-Garonne et ancien maire de Toulouse souligne lui "le parcours extraordinaire de ce petit pharmacien de province, devenu un industriel important et reconnu de tous. Il a su, par son authenticité et sa créativité extraordinaires, bâtir un géant de la santé. Totalement fidèle à sa région, il avait choisi d'enraciner son groupe ici, en Midi-Pyrénées, après l'avoir considérablement développé. Le beau projet d'avenir que constitue le Canceropôle-Oncopole n'aurait pas pu voir le jour sans le soutien sans faille de Pierre Fabre."

Gérard Trémège, maire de Tarbes et président du groupe Républicains&Territoires au Conseil régional, a fait part de sa "profonde tristesse (...) Midi-Pyrénées vient de perdre l'un de ses grands hommes. Profondément attaché à son territoire, Pierre Fabre était non seulement un entrepreneur modèle mais aussi un profond humaniste doublé d'un grand mécène. Le Tarn, Toulouse et Midi-Pyrénées lui doivent beaucoup."

De son côté, Philippe Folliot, député du Tarn et conseiller municipal de Castres met en avant son "œuvre immense tant il a su conjugué efficacité économique, faisant d'une officine familiale un groupe international, et ancrage territorial, gardant une fidélité sans faille à sa ville et à sa région. Le décès de monsieur Pierre Fabre est une terrible nouvelle pour Castres et le Tarn. La grande œuvre de Pierre Fabre c'est la dimension citoyenne de son groupe, tant par la fondation qui porte son nom, que par le Castres Olympique qu'il a toujours supporté dans tous les sens du terme. La République a, du reste, solennellement reconnu ses exceptionnels talents en le faisant grand croix de la légion d'Honneur. Il nous reste à présent à achever collectivement son dernier combat qu'il n'a vu que s'esquisser, le désenclavement de sa ville natale, Castres. Le mener à terme est plus qu'une nécessité, maintenant c'est un devoir."

Le monde du sport est lui aussi en deuil. Laurent Labit, entraîneur champion de France avec le Castres Olympique la saison dernière est ainsi "sous le coup de l'émotion. C'était, outre un grand professionnel, un homme humble, modeste. Il a réussi à créer de nombreuses choses et notamment faire vivre le Tarn et la ville de Castres. On a tous l'impression de perdre un membre de notre famille. C'est quelqu'un qui était toujours dans le travail, dans la rigueur, mais qui était toujours à l'écoute des autres. Avec Laurent (Travers, coentraîneur du CO l'an dernier, NDLR), on était des privilégiés car nous avons eu la chance de le rencontrer. Il n'avait pas pu être présent à Nantes (pour la demi-finale) ni au Stade de France, mais nous savions par Pierre-Yves Revol (président du CO de 1989 à 2008) qu'il regardait le match en famille et qu'il était heureux. On l'a rencontré dernièrement à titre privé en compagnie de M. Revol. On a apporté le Bouclier de Brennus chez lui."

Paul Périé
© photo Rémi Benoit