Fusion des régions : Gérard Onesta (EE-LV) critique une réforme "mal embarquée" et propose sa propre version

"La réforme territoriale est terriblement mal embarquée." Gérard Onesta, conseiller régional de Midi-Pyrénées EE-LV, estime que la carte de 14 régions proposée par François Hollande en juin dernier a été faite "à l'arrache" et propose, dans un document de 28 pages, sa propre version de la réforme. Pour ce spécialiste des questions institutionnelles, la forte identité des régions et le bicamérisme (deux assemblées par région) sont les clés du système. Interview.
Gérard Onesta propose sa version de la réforme territoriale

"La réforme territoriale est terriblement mal embarquée." Gérard Onesta, conseiller régional de Midi-Pyrénées EE-LV, estime que la carte de 14 régions proposée par François Hollande en juin dernier a été faite "à l'arrache" et propose, dans un document de 28 pages, sa propre version de la réforme. Pour ce spécialiste des questions institutionnelles, la forte identité des régions et le bicamérisme (deux assemblées par région) sont les clés du système. Interview.

Que reprochez vous à la carte de 14 régions proposée par François Hollande le 2 juin dernier ?
Il y a du bon dans le projet de loi de François Hollande, je le reconnais. Le besoin de remettre à plat le millefeuille territorial français n'est plus à démontrer.
Mais la méthode est catastrophique. Un texte saucissonné, un calendrier incohérent : on ne comprend pas. La carte a été faite dans un milieu très fermé, opaque, à l'arrache, en fonction de qui gueule le plus au téléphone. De toute façon, une réforme territoriale digne de ce nom ne pourra donner toute sa mesure qu'au travers d'une remise à plat plus globale de nos institutions. Cette réforme est nécessaire mais terriblement mal embarquée et risque d'accoucher d'un monstre.

Vos propositions reposent sur un point majeur : le bicamérisme, c'est-à-dire deux assemblées régionales. Pourquoi est-ce essentiel?
On se rend compte que la société humaine est traversée par deux forces opposées : celle qui nous pousse vers nos semblables (pour attraper le mammouth il vaut mieux que toute la tribu se mobilise) et celle qui nous diversifie (on pisse au quatre coins du territoire pour marquer sa propriété : ma mobylette, ma chambre, mon porte-avion). Les institutions doivent marquer cette double tension. On a besoin d'une chambre qui nous rassemble, où s'exprime tout ce qui nous transcende, c'est la chambre régionale citoyenne. À coté, il faut un organe qui incarne notre besoin de diversité, c'est la chambre régionale territoriale. Quand il n'y a pas d'équilibre entre ces deux forces, la société humaine ne tient pas.

Comment se composent ces deux assemblées ?

Le mécanisme est simple : la première assemblée (assemblée citoyenne) est composée de personnes élues au suffrage universel direct selon leurs couleurs politiques et leurs grands projets. La 2e chambre (assemblée territoriale) est composée de représentants des territoires, ce que j'appelle les "pays", également élus au suffrage universel direct. Elle a le même pouvoir que la première chambre et gère le même budget. Au lieu de 14 budgets dissociés (Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées associées représentent 13 départements plus une assemblée régionale, NDLR), on en a un seul. Ce n'est pas le budget de la Catalogne mais on se rapproche ! Et il n'y a, de fait, plus de problèmes de compétences : les deux assemblées codécident par un vote.

L'exécutif, c'est donc le président de la Région ?
En effet, les deux chambres élisent un exécutif séparé. C'est un des points importants de la réforme, l'exécutif doit être extérieur à l'assemblée. Comment est-il désigné ? Le lendemain des élections, les deux chambres sont constituées, avec exactement le même nombre d'élus (ce qui va au passage diminuer le nombre d'élus d'environ un tiers). On propose alors un ou une président(e) qui doit avoir l'investiture des deux assemblées. Cette personne constitue son gouvernement régional. Je suis ouvert à ce qu'il soit éventuellement composé, partiellement, de gens qui ne sont pas élus, choisis sur compétences.
Le président arrive avec son collège de vice-présidents (est-ce qu'on osera le mot ministre ?) et demande la confiance des deux assemblées. S'il n'a pas la confiance des deux assemblées, le président tombe et on propose un autre nom.
Avec un exécutif extérieur, cela permet au passage d'avoir un(e) président(e) de l'assemblée régionale citoyenne, un(e) président(e) de l'assemblée régionale territoriale et un(e) président(e) de gouvernement. Cela fait trois personnes. Le fonctionnement est collégial.

Que faites-vous des départements ?

Le département est la plus vieille institution au monde ! Elle n'a pas bougé depuis 223 ans. On ne peut pas rester fossilisé. Avec le bicamérisme, le besoin de proximité et de représentativité du monde rural est réglé. Le mont de Lacaune pèsera autant que Toulouse Métropole dans la seconde chambre.
Jusqu'à maintenant, la République a fonctionné au travers du trinôme commune / département / État. Le 21e siècle voit naître un nouveau trinôme : pays / région / Europe.

Votre carte propose 17 régions, établis sur 4 critères. Lesquels ?
C'est bien que le gouvernement ait proposé une carte, car il ne faut pas laisser décider les petits barrons locaux. Mais, à partir de cette carte-là, il faut définir des critères un peu plus fins, un peu plus intelligents. Je propose 4 critères.
D'abord, on sait très bien que ce qui fait un territoire, c'est la socio-économie. Où est la grande métropole d'équilibre ? Où sont les réseaux d'acteurs économiques, industriels, agricoles qui fonctionnent ensemble ? Le deuxième critère est l'histoire et la culture. Je trouve regrettable que le ministre de l'Intérieur dise qu'il ne veut absolument pas créer des régions à forte identité. Il se trompe complètement. Ce qui fait que le Pays basque ou la Catalogne existe, c'est l'identité. Le 3e critère est géographique et environnemental. J'en rajoute un 4e : le principe d'euro-régions. Par exemple, le Hainaut français travaille avec le Hainaut belge. Ils ont des structures communes. Nous faisons le pari que dans le siècle qui commence, cela fera sens.

Faut-il créer des régions qui comprennent des départements de nos pays limitrophes ?
Dans les prochaines décennies, Bayonne sera toujours administrée majoritairement par la loi française et Bilbao par la loi espagnole. Mais je fais remarquer que depuis 1964, Bayonne et Bilbao sont régies de manière beaucoup plus importante par les directives européennes qui s'imposent au droit national. On a déjà la même monnaie, la politique agricole commune, la même politique étrangère, la même politique de commerce extérieur.
Au cours du 21e siècle, nos euro-régions déborderont de l'Hexagone mais en attendant pourquoi pas un territoire à statut particulier (Catalogne, Pays Basque, Alsace, Savoie...) Cela existe déjà, je n'invente rien. L'euro région Sar-Lor-Lux (Sarre-Luxembourg-Lorraine) fonctionne.

Dans cette logique, pourquoi pas un grand sud Aquitaine - Midi-Pyrénées - Languedoc-Roussillon?
Je pense qu'une grande région Aquitaine - Midi-Pyrénées - Languedoc Roussillon est trop grande. Il faut quand même garder la capacité de faire l'aller-retour dans la journée.
C'est peut-être l'Albigeois qui parle, mais avec la fusion Midi-Pyrénées - Languedoc-Roussillon, je crois qu'on peut parler de réunification du Languedoc car on ne fait que reconstituer le Languedoc historique, la jonction du haut et du bas Languedoc. Appelons ça Languedoc et Christian Bourquin sera content, c'est lui qui absorbera Martin Malvy !

Quel est le ton des discussions avec Martin Malvy sur la réforme territoriale ?
Les socialistes ont toujours eu un problème avec la réforme territoriale parce que c'est leur fond de commerce. Je ne dis pas Martin Malvy, je dis les socialistes. On était prêts à mettre à bas la réforme territoriale de Sarkozy. Mais par quoi on la remplace ? Chacun veut sauver son canton, sa commune, son intercommunalité, sa région, son département. Martin Malvy est dans son rôle, il suit le gouvernement. Avec lui, nous sommes en phase en ce qui concerne l'impôt, les compétences, l'exécutif. Il se dit prêt à étudier mes propositions et nous allons en discuter tout l'été.

Finalement, à qui est destiné le document de 28 pages, "La réforme impossible?" que vous avez écrit pour proposer votre analyse ?
J'ai envoyé ce document à quelques ministres et au secrétaire général de l'Élysée, en attirant leur point de vue sur 2 ou 3 points clés. Est-ce que cela va déboucher sur des rendez-vous stratégiques importants ? Je ne sais pas. Honnêtement, les collègues de droite ou de gauche, qu'ils soient pro-régionalistes, départementalistes ou pro-européens, sont venus me voir pour me dire qu'il y avait de bonnes choses dans mes propositions. Cette bouteille à la mer va-t-elle échouer sur la bonne plage, sur le bureau du bon décideur politique ? Il faudrait que cela touche avant tout ceux qui se rendent compte que le passage en force de la réforme va faire des dégâts...

Propos recueillis par Sophie Arutunian
© photo Rémi Benoit

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