Pourquoi les fortes chaleurs vont bouleverser le transport aérien

À Toulouse, des chercheurs travaillent depuis deux ans en collaboration avec Airbus pour mesurer l'impact du changement climatique sur l'aviation. Ils ont pu démontrer que la multiplication des épisodes de fortes chaleurs pourrait augmenter drastiquement le nombre de jours où les avions devront embarquer moins de passagers pour arriver à décoller. Le réchauffement climatique risque aussi d'avoir de nombreuses conséquences sur les opérations aériennes et une partie des aéroports.
Le changement climatique pourrait bouleverser le transport aérien.
Le changement climatique pourrait bouleverser le transport aérien. (Crédits : Rémi Benoit)

47,9°C au Canada, 46,1°C aux Etats-Unis... depuis quelques jours, l'Ouest américain est prisonnier sous un dôme de chaleur. Ces épisodes de températures extrêmes risquent de se multiplier avec le réchauffement climatique. Des fortes chaleurs qui sont loin d'être neutres pour le transport aérien. En 2017, l'aéroport de Phoenix en Arizona (USA) a vu ses avions cloués au sol pendant une semaine car les températures avoisinaient les 47°C.

"Une augmentation des températures diminue la densité de l'air et du coup la poussée de l'avion. En cas de fortes chaleurs, pour pouvoir décoller, il faut soit diminuer le poids de l'avion (en nombre de passagers ou de marchandises), soit allonger la piste de décollage. Cela engendre des problèmes pour les opérations aériennes, les vols étant annulés ou retardés en attendant que la température baisse pour arriver à décoller", avance Emilia Sanchez-Gomez, chercheuse au Cerfacs (Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique) à Toulouse.

Depuis deux ans, les chercheurs toulousains du Cerfacs coordonnent un programme de recherche baptisé Impact du changement climatique sur l'aviation (ICCA) en partenariat avec l'Isae-Supaero, Météo France, l'Onera, l'Enac et Airbus. "L'idée était de réunir des expertises sur le climat, l'aéronautique et la sociologie pour répondre à cette question. Nous avons commencé par faire un état des lieux des menaces que faisait peser le changement climatique sur l'aviation et ensuite échangé avec Airbus pour connaître les priorités de la communauté aéronautique", ajoute-t-elle.

Multiplication des restrictions sur le poids des avions

Parmi les sujets prioritaires figure donc l'impact des fortes chaleurs sur le transport aérien et surtout l'identification des aéroports les plus à risque en la matière. Dans une note à destination d'Airbus, trois chercheuses du Cerfacs ont étudié l'impact de températures très élevées sur le décollage d'un A320-200 dans six aéroports à travers le monde : Dubaï, Phoenix, Madrid, Johannesburg, Mexico et Quito. Elles ont ensuite évalué en fonction de quatre scénarios climatiques le nombre de jours où des restrictions du poids de l'avion seront nécessaires d'ici la fin du siècle.

Il en ressort que par exemple l'aéroport de Quito (Équateur) risque  d'être en permanence obligé de réduire de 453 kg (ou 1.000 lb) le poids embarqué dans l'avion et la plateforme "verrait augmenter le pourcentage des jours avec des restrictions de poids d'au moins 10.000 lb (soit 4,5 tonnes) de 45 % environ selon le scénario climatique le plus dramatique et de 20 % selon le scénario intermédiaire".

"Pour donner un ordre d'idée, un avion moyen-courrier de type Airbus A320 a une capacité d'à peu près 150-160 passagers. Réduire de plusieurs tonnes le poids de l'appareil pourrait nécessiter d'embarquer entre 30 à 50 passagers en moins, donc cela veut dire une réduction de quasiment d'un tiers de la capacité de l'aéronef", illustre Nicolas Gourdain, chercheur à l'Isae-Supaero.

Des chercheurs américains avaient mené la même démarche en 2014 (E.Coffel, R.Horton, Climate Change and the Impact of Extreme Temperatures on Aviation) en s'intéressant cette fois à l'impact des températures extrêmes sur un Boeing 737 (également un moyen-courrier).

"Nous avons trouvé que le nombre de jours de restriction entre les mois de mai et septembre augmenterait de 50% à 200% dans quatre aéroports aux États-Unis à l'horizon 2050-70 selon le scénario RCP8.5 du Giec (le plus pessimiste, ndlr)", concluent-ils.

Ainsi, le nombre de jours de restriction passerait de zéro à 20 par an à l'aéroport de Phoenix et doublerait à celui de LaGuardia à New York. Ce dernier ainsi qu'un petit aéroport de Washington seraient encore plus pénalisés du fait des courtes pistes d'atterrissage dont ils disposent.

Plus de turbulences, risque de submersion

Mais au-delà des restrictions propres à l'avion, "ces fortes chaleurs pourraient avoir beaucoup d'impact sur les opérations aériennes, sur les besoins de climatisation dans les aéroports, sur le goudron des pistes", glisse Emilia Sanchez-Gomez.

Le changement climatique pourrait aussi augmenter le risque de turbulences. "Ces dernières sont provoquées par les différences de température de l'atmosphère. Et donc, quand le climat va se réchauffer, on va observer une augmentation de cette différence de température entre le sol et la haute altitude et le moteur va générer de la turbulence", souligne Nicolas Gourdain.

Avant d'ajouter :

"Il y a un autre aspect dont on parle assez peu, c'est le volet social. Plusieurs travaux de recherche ont déjà montré qu'il y aura une modification des comportements des touristes à cause du changement climatique. La Grèce par exemple, pourrait voir le nombre de touristes chuter à partir de 2030."

Un bouleversement de la demande qui pourrait lourdement impacter les programmes de vol des compagnies aériennes. Sans parler du risque de submersion des aéroports qui pourrait concerner en premier lieu l'Asie du Sud-Est et les destinations dans le Pacifique. En France, l'aéroport de Nice est également considéré à risque et la DGAC a d'ailleurs déjà commencé des travaux pour étudier le phénomène.

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Commentaire 1
à écrit le 03/07/2021 à 9:58
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Merci pour cet article à la fois malin et très intéressant, malin parce que profitant du buzz télé sur le fameux "dôme de chaleur" dont nous parlent tous les médias de masse et très intéressant parce que le reliant avec un mode de transport très part...

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