Une chercheuse toulousaine tente depuis dix ans de percer le mystère du blob

Le blob est apparu sur terre il y a un milliard d’années. Ni animal, ni champignon, ni plante, cette cellule intrigue par son aspect semblable à celui d’une omelette ainsi que ses capacités de croissance, régénération, décision ou mémorisation hors du commun. Audrey Dussutour, chercheuse au CNRS et à l'Université Toulouse III Paul Sabatier, étudie le comportement de cet organisme qu’elle a découvert en Australie. Depuis dix ans maintenant, l’éthologiste (l'étude scientifique du comportement des espèces animales) essaie de percer le mystère du blob qui reste (presque) entier.
Depuis dix ans, la chercheuse Audrey Dussutour observe les comportements du blob qu'elle a découvert en Australie.
Depuis dix ans, la chercheuse Audrey Dussutour observe les comportements du blob qu'elle a découvert en Australie. (Crédits : CNRS)

LA TRIBUNE : Qu'est ce que le blob ?

Audrey Dussutour : C'est un organisme unicellulaire qui se trouve généralement en forêts tempérées et dont les premiers ancêtres ont un milliard d'années. Le blob fait partie du règne amibozoaire qui regroupe des organismes composés d'une seule cellule et qui émettent des excroissances appelées pseudopodes. « Physarum polycephalum » de son vrai nom, il a longtemps été classé dans les champignons avant d'être reclassé dans les années 90 dans les amibozoaires lorsqu'on s'est aperçu qu'il s'agissait d'une toute autre espèce, ni champignon, ni animale, ni végétale. Au lieu d'avoir une cellule avec un noyau comme toutes nos cellules, les blobs en ont des milliers, voire des millions ce qui explique leur taille gigantesque. Il possède un système vasculaire, qui permet de distribuer tous les nutriments et l'oxygène au sein de la cellule, qui n'est pas délimité par des membranes comme un système vasculaire classique. Lorsqu'il est encore tout petit, le blob n'a pas ce réseau, c'est lorsqu'il atteint une certaine taille qu'il le développe. C'est fascinant, car il s'adapte en temps réel.

Quelles sont les particularités qui font du Physarum polycephalum un organisme spécial ?

A. D. : Tout d'abord, il y a sa taille. Un record de 10 m2 a déjà été enregistré, mais il n'y a pas réellement de limite. Sa croissance exponentielle est surprenante puisqu'il double voire triple de taille chaque jour. Le blob est capable de se régénérer quand il est dans des situations critiques. Par exemple, si le milieu se dessèche, s'il n'a plus à manger, s'il fait trop chaud ou froid, il va entrer en état dormant et peut rester ainsi plusieurs années. Il suffit de l'arroser et de le remettre dans un milieu propice pour qu'il puisse se réveiller et repartir. Ce qui étonne également, c'est qu'en se réveillant, il devient de nouveau jeune, c'est une sorte d'immortalité biologique. Pour l'instant, les scientifiques n'ont pas réussi à comprendre ce mécanisme de régénération. Par ailleurs, le blob a la capacité de prendre des décisions. Par exemple, en le mettant en position de choix alimentaires, il va focaliser son activité sur des nourritures qui vont maximiser sa croissance. Il peut aussi transférer ses connaissances à d'autres blobs par fusion. C'est un organisme que l'on peut couper en morceaux et faire fusionner avec d'autres blobs génétiquement identiques. Dans un labyrinthe, il est capable de trouver le chemin le plus court. Selon le pays d'où il provient, le blob diffère dans son aspect et comportement. Le blob ne dispose pas de deux genres mâle/femelle, mais de 720 sexes et existe sous des milliers d'espèces. Au final, un blob peut se déplacer pour trouver sa nourriture, voir, sentir, digérer, s'accoupler sans bouche, ni cerveau, ni estomac, ni yeux.

Comment s'occupe-t-on de blobs en laboratoire ?

A. D. : C'est assez facile, puisque ce que le blob aime par-dessus tout, c'est manger, l'humidité et le noir. Nous les élevons dans des laboratoires à 25 °C et les rangeons dans des armoires qui sont plongées dans l'obscurité dans des boîtes humides remplies de flocons d'avoine. En effet, s'il mange des champignons et des bactéries en forêt, en laboratoire nous le nourrissons de flocons d'avoine dont il raffole. Nous changeons les boîtes tous les jours, puisque comme tout organisme vivant le blob fait des excréments et peu attraper des infections.

Quelles sont les découvertes majeures que vous avez réalisées en dix ans d'observation ?

A. D. : Aujourd'hui, nous sommes très peu à étudier le comportement des blobs dans le monde. Le Japon est l'endroit où les chercheurs sont les plus nombreux. En France, nous devons être cinq à l'heure actuelle. Mais cela va changer, je donne de nombreux blobs à mes homologues scientifiques. La première découverte a été réalisée sur le régime alimentaire et le fait que le blob était capable de résoudre des challenges nutritionnels assez épatants. Il peut sélectionner dans des cafétérias des nutriments qui lui sont bénéfiques. Ensuite, nous avons prouvé que les blobs pouvaient voir à distance, interagir et coopérer entre eux. La plus grosse avancée a été celle sur l'apprentissage. Nous avons été les premiers à démontrer une capacité d'apprentissage chez un organisme dépourvu de système nerveux (le blob) ce qui n'avait jamais été fait auparavant à part chez les plantes. Nous avons montré que cet organisme, qui n'a pas de cerveau, est capable d'apprendre et de conserver cet apprentissage lorsqu'il rentre en état dormant et le retrouver au réveil. Par exemple, il peut se souvenir d'un nutriment qu'il appréciait ou non avant de dormir. Nous nous sommes aussi intéressés à la diversité des blobs. À partir de plusieurs individus de la même espèce, on s'est aperçu que même si ce sont des êtres unicellulaires, ils sont très différents les uns des autres et n'ont pas les mêmes capacités. Par exemple, un blob australien est très bon en apprentissage et dans la prise de décision, mais il est extrêmement lent. Le blob japonais est beaucoup plus rapide, mais mauvais dans ses prises de décision. L'Américain est très caractériel et refuse de manger les flocons d'avoine bio. Enfin, nous travaillons actuellement sur la perception et signaux dans l'environnement, pour essayer de savoir si le blob est capable de communiquer sur autre chose que son état nutritionnel.

Quelle est la chose la plus difficile à comprendre chez le blob ?

A. D. : Il change beaucoup d'avis. Lors de certains tests, il va montrer qu'il aime quelque chose et trois mois plus tard, quand on refait la même expérience, il n'aime plus cette chose. C'est assez compliqué, car cela nous oblige à répéter les expériences de nombreuses fois pour avoir des réponses significatives.

Outre la recherche, dans quels domaines peut-il servir ?

A. D. : Il y a des chimistes qui m'ont demandé un échantillon pour essayer de détecter de nouvelles molécules qui pourraient produire des antibiotiques puisque les bactéries et les champignons sont la nourriture de prédilection du blob. Ensuite, il existe de nombreux algorithmes et modèles mathématiques pour optimiser les réseaux urbains, ferroviaires ou de télécommunication basés sur le blob. Enfin, le blob français a une capacité d'accumulation des métaux lourds, ce qui inspire à certains des projets de dépollution des sols.

Avez-vous observé une augmentation de la popularité du blob ?

A. D. : Lorsque j'ai publié en 2017 le livre « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander », je ne m'attendais pas à ce qu'il soit autant lu. À la suite de cela, j'ai eu l'occasion de donner des conférences grand public un peu partout. Les enfants et plus particulièrement les collégiens et lycéens se sont passionnés pour le sujet et ont réalisé plusieurs projets scolaires autour. J'anime une page Facebook sur laquelle plus de 10 000 personnes, de tout âge et qui ne sont forcément des chercheurs, échangent sur le blob et m'envoient des photos.

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Commentaires 3
à écrit le 05/09/2019 à 18:33
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....10 ans a chercher et a ne rien trouver ! C'est pas beau la vie de chercheur ?

à écrit le 05/09/2019 à 8:54
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Vous ne devriez pas faire un article sur elle, nos LREM vont lui imposer de rentabiliser immédiatement ses recherches sinon stop ! Un article qu'ils sont incapables de comprendre alors que la science cela devrait être ça et uniquement ça, la rech...

à écrit le 04/09/2019 à 19:48
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Est ce vrai ? si c'est la cas Mme Dussutour je vous admire profondément

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