Fintech : "Morning aujourd'hui n'a plus rien à voir avec le Morning d'hier"

Un an après son rachat par la banque Edel et le départ de son fondateur Éric Charpentier, que devient la fintech Morning ? Reportage à Saint-Elix-le-Château au sud de Toulouse où la société a toujours ses locaux. La startup estime avoir définitivement tourné une page et veut développer des offres professionnelles pour devenir rentable.
Frédéric Senan est le directeur général de Morning depuis un an.
Frédéric Senan est le directeur général de Morning depuis un an. (Crédits : Rémi Benoit)

"Je préfère faire moins de buzz mais plus de business. Morning aujourd'hui n'a plus rien à voir avec le Morning d'hier", lance Frédéric Senan, directeur général de l'entreprise depuis un an. Et effectivement la fintech n'a plus grand chose en commun avec la société innovante qu'avait fondée l'entrepreneur toulousain Éric Charpentier en 2013 sous le nom de Payname. La startup s'était lancée à l'origine comme société de paiement de services à la personne puis cagnotte en ligne avant de se positionner comme une banque en ligne "indépendante des acteurs traditionnels". Adepte d'une communication décalée sur les réseaux sociaux, Morning a acquis une notoriété au-delà des frontières toulousaines. En juin 2016 , la startup avait inauguré en grande pompe 600 m2 de locaux (qui ont coûté 1,2 million d'investissements) en pleine campagne sur la commune de Saint-Élix-le-Château à une quarantaine de kilomètres de Toulouse. Sur place, la société avait même installé sur un poulailler à disposition des salariés et avait financé une équipe de coureurs cyclistes.

Morning

Éric Charpentier lors de l'inauguration des locaux de Morning en juin 2016 (Crédit : Rémi Benoit).

Mais patatras, fin 2016, Morning s'est retrouvée à court de liquidités. Le régulateur financier, l'ACPR, a suspendu son agrément parce qu'elle avait ponctionné 500.000 euros sur son compte de cantonnement. Les cagnottes en ligne sont alors gelées pendant plusieurs jours. Le fondateur Éric Charpentier accusé de mauvaise gestion par la Maif est écarté. La banque Edel, filiale du groupe E.Leclerc reprend la startup en février 2017.

Que devient Morning ?

Plus d'un an après toutes ces péripéties, que devient Morning ? Pour le savoir, rendez-vous à Saint-Elix-le-Château où la société a toujours ses locaux. Le poulailler a disparu mais pas les moutons de même que des voitures floquées Morning permettant aux salariés de faire du covoiturage chaque jour depuis le centre-ville de Toulouse. Seule une dizaine d'entre eux a choisi d'habiter sur la commune ou dans le Sud toulousain.

morning

Des voitures Morning servent à faire du covoiturage entre Toulouse et Saint-Elix (Crédit : Rémi Benoit).

"À notre arrivée, certains ne se sont pas retrouvés dans le projet ou étaient très proches d'Éric Charpentier. Une dizaine de personnes est partie (sur 49 salariés). Quand Morning a retrouvé des couleurs, les CV aussi. Aujourd'hui, l'entreprise compte 41 salariés et nous sommes en phase de recrutement sur des profils de développeurs, explique aujourd'hui Frédéric Senan. Nous avons complètement normalisé les relations avec l'ACPR et obtenu le statut d'établissement de monnaies électroniques, soit l'avant-dernier avant celui de banque, cela va nous permettre d'élargir nos métiers."

morning

morning

Morning compte aujourd'hui 41 salariés (Crédit : Rémi Benoit).

Morning a conservé son activité de cagnotte en ligne et de compte de paiement. Depuis la reprise par la banque Edel, la fintech a lancé des "offres affinitaires", ciblant des niches spécifiques de clients : "Morning jump", une carte de paiement pour les 12-18 ans;  "Morning welcome" pour les étudiants Erasmus qui veulent ouvrir un compte en France; "Morning protect" pour les majeurs sous tutelle ou curatelle.... Frédéric Senan affirme que le nombre de clients actifs sur la cagnotte en ligne et les comptes de paiement est passé "de 65 000 fin 2016 à 115 000 utilisateurs aujourd'hui" même si l'entreprise s'est faite très discrète depuis un an.

morning

Morning a lancé diverses cartes (Crédit : Rémi Benoit).

 "2017 était une année blanche en terme de chiffre d'affaires, nous avons consacré notre énergie à la reprise complète de l'activité. Nous avions dû faire face à une perte lourde l'année dernière. Mais Morning sera à l'équilibre à la fin de l'année 2018", assure Frédéric Senan. Ancien cadre de la Caisse d'Épargne, également passé par le courtier en ligne MeilleursTaux, le dirigeant ne croit pas à l'émergence de banques en ligne indépendantes des acteurs institutionnels proposant des frais bancaires quasi gratuits.

"On voit bien que toutes les fintech finissent dans le giron des banques ou d'opérateurs proches des banques. Pour être indépendant des banques, il faut avoir les moyens de son indépendance sinon on est toujours dépendant de quelqu'un. Je ne connais pas d'entreprise qui puisse survivre sans être rentable à moins d'être rachetée... ce qui est arrivé à Morning. Les fintech n'ont pas révolutionné la banque tout juste en ont-elles écorné les usages. Le modèle de la gratuité demande des coûts d'acquisition marketing très élevés. Or, pour faire tourner une fintech, il faut 10 à 15 millions", lance Frédéric Senan.

Avant de tacler les concurrents :

"Notre stratégie n'est pas de cramer un maximum d'argent pour faire monter les valorisations. La fintech N26 vient de lever 126 millions de dollars pour attaquer le marché US. Leur modèle n'est pas rentable. Si le seul élément différenciant entre les fintech, c'est le prix, ce combat-là ne m'intéresse pas".

morning

Locaux de Morning (Crédit : Rémi Benoit).

Pour devenir rentable, Morning veut miser à terme plutôt sur le BtoB plutôt que le BtoC. "C'est ça qui permettra de faire notre chiffre d'affaires", assure Frédéric Senan. Nous proposons des services de paiement en marque blanche pour des banques, des distributeurs, des compagnies d'assurances..." Morning va aussi nouer des partenariats pour des cartes cadeaux prépayées pour un seul magasin ou un ensemble de boutique d'un centre commercial.

saint elix le chateau

Le château de Saint-Elix (Crédit : Rémi Benoit).

 Pour l'instant, la startup n'envisage pas de déménager mais les salariés se rendent parfois dans les locaux de la banque Edel à Labège où des salles de réunion sont à leur disposition. Son implantation dans la commune rurale avait été soutenue par la mairie qui a fait venir en 2016 spécialement la fibre pour que la fintech bénéficie d'une connexion internet rapide. Dans l'optique aussi d'attirer d'autres sociétés. "L'entreprise est toujours là. D'autres entreprises se sont implantées depuis sur la zone d'activités, se félicite Sandrine Lavigne conseillère municipale de Saint-Elix-le-Château qui avait suggéré à Éric Charpentier de s'installer dans la petite commune. En revanche, l'ancien président du club des entreprises du Sud toulousain Dominique Valentin se dit plus amer : "On avait eu le droit à un show à l'américaine lors de l'inauguration en juin 2016. Depuis le soufflet est retombé. Il y a autant de petites zones d'activités que de sorties d'autoroute dans cette zone rurale sans perpective de développement."

Un an après la reprise par la banque Edel, Morning n'ambitionne plus de "réveiller la banque". Son implantation en pleine campagne a un impact mitigé sur l'attractivité du territoire. Loin des paillettes, la fintech entend devenir rentable. Mais parviendra-t-elle à atteindre cet objectif en toute discrétion ?

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.