Aéroport de Toulouse : pourquoi l'État ne veut plus céder ses 10% au Chinois Casil Europe

Par Florine Galéron  |   |  897  mots
Mike Poon, président de Casil Europe à Toulouse en décembre dernier. (Crédits : Rémi Benoit)
L'État a confirmé lundi 26 février qu'il ne souhaitait pas "pour le moment" vendre ses parts restantes dans l'aéroport de Toulouse-Blagnac. Ce choix aurait permis à la société d'actionnaires chinois Casil Europe de devenir majoritaire au sein du capital. Entre la pression des élus locaux et les frictions au sein du consortium chinois, le gouvernement préfère ne pas précipiter une telle décision.

"On ne cèdera pas les 10,01% au Chinois Casil, a confirmé à l'AFP lundi 26 février une source gouvernementale. Pour le moment on ne bouge pas". Alors que l'État a la possibilité à partir du 18 avril 2018, pendant un an, de mettre en œuvre l'option de vente à Casil Europe de ses 10,01% de parts restantes au sein de l'aéroport de Toulouse, l'exécutif privilégie pour l'instant le statu quo. La vente de ces parts à la société d'actionnaires chinois Casil Europe (qui a déjà racheté 49,99% de parts étatiques en 2015) en ferait l'actionnaire majoritaire dans le capital de l'aéroport.

"L'État a de bonnes raisons de ne pas vendre"

Même si les élus locaux n'ont reçu pour le moment aucune confirmation écrite du renoncement du gouvernement, pour Bernard Keller, vice-président de Toulouse Métropole en charge de l'aéronautique, "l'État a de bonnes raisons de ne pas vendre" :

"La vente des 10,01% de parts rapporterait seulement 60 millions d'euros, c'est pratiquement rien. Cela ne vaut pas le coup d'entrer en conflit avec les collectivités locales et la CCI pour une telle somme.

Par ailleurs, les relations avec les actionnaires chinois sont compliquées. Mike Poon (président de Casil Europe) a fait amende honorable reconnaissant qu'il n'était pas assez présent au sein de l'aéroport. Je ne suis pas sûr non plus que les relations soient parfaitement fluides entre les deux membres du consortium : entre le groupe du Parti communiste chinois Shandong High Speed Group et la société hongkongaise, ce n'est pas la même culture".

Pour Pascal Boureau, représentant du Conseil départemental de Haute-Garonne au sein du conseil de surveillance de la société ATB, "le gouvernement n'a pas intérêt en ce moment à ouvrir un nouveau front de contestation", estimant que "l'État a entendu la voix des élus".

"L'aéroport de Toulouse-Blagnac a une spécificité unique en France. Il sert à notre industrie aéronautique, notamment à Airbus pour tous ses essais. C'est donc une question de souveraineté nationale et je pèse mes mots. Notre aéroport n'est pas simplement un aéroport commercial comme à Nice. C'est pourquoi il est indispensable que l'État reste actionnaire dans cet aéroport parce qu'il a une dimension nationale. L'actionnariat public doit rester majoritaire", avait expliqué début février Carole Delga, la présidente de la Région Occitanie lors de la Matinale organisée par la Tribune.

Mike Poon a déjà démenti une sortie du capital de l'aéroport

En décembre dernier, dans un courrier adressé au Premier ministre, la Région, le Département, la Métropole et la Chambre de commerce et d'industrie (CCI), actionnaires à 40% de la société de gestion de l'aéroport, s'inquiétaient de la "volonté systématique" de Casil Europe de "ponctionner les réserves de la société et de maximiser le versement de dividendes". 7,85 millions d'euros de dividendes ont été versés aux actionnaires de l'aéroport en juin 2017 dont 1,5 million issu des réserves financières de l'aéroport. Dans une interview exclusive à La Tribune en décembre dernier, Mike Poon avait rétorqué :

"La part moyenne des dividendes versée aux actionnaires sur l'ensemble des infrastructures françaises correspond à un rendement entre 4 et 5%, à l'aéroport de Toulouse pour Casil Europe ce versement représente moins de 1%. Il existe toujours une énorme différence par rapport à ce qui serait un retour sur investissement équilibré".

Dans ce même entretien, Mike Poon démentait une éventuelle revente des parts de Casil Europe au profit de Vinci : "La vérité est que pour Casil Europe l'aéroport de Toulouse est un investissement de long-terme. Nous n'essayons pas de vendre nos parts de capital. Tout ceci relève de rumeurs que nous ne voulons pas commenter".

"Cela ne change rien", pour l'avocat des opposants

Pour Christophe Lèguevaques, l'avocat du collectif contre la privatisation d'ATB, "il s'agit d'une non-décision de la part de l'État qui a encore une fenêtre d'un an pour céder ses parts et qui ne change rien. Le pacte d'actionnaires tenu secret contraint l'État à voter à chaque fois dans le sens des propositions de l'actionnaire chinois".

Mediapart avait ainsi révélé l'existence d'un pacte d'actionnaires où l'État s'engage à voter en faveur des candidats "présentés par l'acquéreur" au conseil de surveillance, "à ne pas faire obstacle aux décisions prises en conformité avec le projet industriel" et à voter, "sauf pour motif légitime", "dans le même sens que l'acquéreur pour les décisions importantes". "Casil Europe a déjà la main sur toutes les décisions de l'aéroport, même avec 49,99% des parts. Les 10% ne changent rien. À la différence des élus locaux, je souhaiterais que les Chinois quittent l'actionnariat de l'aéroport et qu'ils soient remplacés par un grand opérateur français, je ne crois pas que ce soit à l'État de gérer cette infrastructure", estime pour sa part Jean-Louis Chauzy, président du Ceser Occitanie.

De son côté, Christophe Lèguevaques ne veut pas croire aux rumeurs de revente des parts de Casil Europe : "ce serait un non-sens économique puisque pour dégager une belle plus-value, Casil Europe a tout intérêt à attendre que la fréquentation de l'aéroport atteigne l'objectif de 15 millions de passagers".