Avocats et magistrats défilent à Toulouse contre "la déshumanisation de la justice"

Par Florine Galéron  |   |  589  mots
Avocats et magistrats ont défilé dans les rues de Toulouse ce mercredi 12 décembre. (Crédits : Florine Galéron)
Un cortège d'avocats et de magistrats a défilé mercredi 12 décembre dans les rues de Toulouse pour dénoncer le projet de loi justice qui vient d'être adopté en première lecture à l'Assemblée nationale. Ils pointent notamment le développement de plaintes en ligne et craignent l'émergence de "déserts judiciaires" à l'issue de la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance.

Sur la pancarte brandie par une avocate mercredi 12 décembre, devant le Palais de justice de Toulouse, figure une image de Tintin et du capitaine Haddock coincés en plein désert, le célèbre reporter s'interrogeant : "Où est le tribunal ?". Par ce photomontage, les robes noires voulaient alerter sur le risque de créer "des déserts judiciaires" en France.

Le projet de loi justice adopté en première lecture par l'Assemblée nationale dans la nuit de mardi à mercredi prévoit notamment la fusion des tribunaux d'instance et de grande instance.

"Un habitant de Muret pouvait se rendre dans le tribunal d'instance de la ville mais désormais, tout sera transféré à Toulouse. Au total, en France, ce sont 300 tribunaux d'instance qui vont être supprimés. Cela créé un éloignement de la justice", déplore Jean-Marc Lacoste, président de l'Union des jeunes avocats de Toulouse.

Les plaintes en ligne vont-elles "dissuader les victimes"?

L'autre point d'achoppement qui fait craindre à cet avocat "une déshumanisation de la justice" est le déploiement de plaintes en ligne. "Notre ambition est bien de donner une parole plus facile aux victimes, de leur permettre de porter plainte de manière plus aisée", avait expliqué il y a quelques jours la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, à l'Assemblée nationale.

Mais Jean-Marc Lacoste craint au contraire que cette mesure "dissuade les victimes de se tourner vers la justice", notamment ceux qui ne maîtrisent pas ou qui n'ont pas accès à des outils numériques. "Ceux qui auront les moyens pourront se payer un avocat pour gérer ces procédures", estime-t-il.

De son côté, Odile Barral, déléguée régionale du Syndicat de la magistrature à Toulouse, alerte sur le passage par des plateformes numériques pour gérer les injonctions de payer. "Cela concerne les factures impayées, des crédits... Mais on ne va pas régler en ligne des problèmes de paiement de pensions alimentaires", juge-t-elle.

Lire aussi : À Toulouse, la ministre de la Justice interpellée sur le "manque de moyens"

Les algorithmes vont-ils rendre la justice ?

À plus long terme, les professions du droit pourraient voir leur quotidien bouleversé face à l'émergence de l'intelligence artificielle. Dans la ville de Cleveland aux États-Unis, face au nombre importants de dossiers à traiter, les magistrats sont aidés par des machines qui recensent l'ensemble des infractions commises par un prévenu et fournissent au juge une recommandation de peine.

"Nous sommes totalement opposés à l'instauration de barèmes automatiques en fonction des litiges. L'essence de notre métier repose sur une individualisation de chaque situation", relève la juge Odile Barral.

L'avocat Jean-Marc Lacoste abonde :

"Comment un justiciable peut accepter une décision de justice, que ce soit une relaxe ou une condamnation, si elle vient d'un ordinateur ?"

Même si ces technologies restent à ce jour encore peu matures, avocats et magistrats regrettent que la justice numérique soit prônée dans l'optique de faire des économies : "Le gouvernement aurait pu considérer que la justice est le 3ème pouvoir régalien et qu'on doit y investir massivement", suggère le président de l'Union des jeunes avocats.

200 avocats et quelques magistrats ont participé mercredi midi au défilé organisé entre le Palais de justice et la préfecture de Toulouse. D'autres rassemblements étaient organisés également à Tarbes et Albi. Le projet de loi justice n'est pas encore définitivement adopté et donc d'autres journées "justice morte" pourraient se tenir durant les mois à venir.