Querelle des économistes, le ministère de l'Éducation donne raison aux orthodoxes

Par Gael Cérez  |   |  770  mots
Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l'Éducation, et Genevière Fioraso, la secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur.
Après une lettre du Prix Nobel d'économie Jean Tirole, Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l'Éducation, et Genevière Fioraso, la secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur, ont finalement tranché. Il n'y aura pas de seconde section dédiée à "l'économie et la société" au Conseil national des universités. Néanmoins, une plus grande attention sera portée au pluralisme des courants de pensées.

Fin de la récréation dans l'enseignement supérieur. Depuis plusieurs mois, la polémique faisait rage entre partisans et opposants à la création d'une seconde section d'économie représentée au Conseil national des universités.

Sous pression des uns et des autres, la ministre de l'Éducation Najat Vallaud-Belkacem et la secrétaire d'État à l'Enseignement supérieur Genevière Fioraso, ont finalement tranché : il n'y aura pas de seconde section d'économie.

Dans une lettre adressée le 28 janvier à l'ensemble des membres de la section V du Conseil national universitaire, et à laquelle nous avons eu accès, les ministres expliquent leur choix :

"Réclamée par une partie significative de la communauté des économistes universitaires, la création d'une seconde section d'économie est rejetée par les autres.

Cette absence de consensus a conduit le ministère à ne pas pouvoir retenir une solution qui ferait courir le risque d'un clivage profond dans la discipline et d'une perturbation du fonctionnement des instances du Conseil national universitaire (CNU).

Pour autant, le ministère se dit "conscient des risques qui résulteraient d'un statu quo ou d'une évolution insuffisante en direction d'un plus grand pluralisme".

Les deux ministres annoncent donc qu'une "attention soutenue sera portée au processus de qualification qui se déroulera au sein de la section V au cours des prochains mois". Un bilan "quantitatif et qualitatif des qualifications" sera réalisé à la fin de cette année scolaire "afin de mesurer les avancées en matière de pluralisme des recrutements".

Jean Tirole écrit à Geneviève Fioraso

Cette décision fait suite à un intense débat entre les économistes universitaires. Jean Tirole, Prix 2014 de la Banque de Suède en Sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel, a lui-même pris la plume pour interpeller la secrétaire d'État Geneviève Fioraso.

Dans une lettre que Toulouse School of Economics ne confirme pas, mais relayée par l'AFP le 23 janvier, puis par Marianne, Jean Tirole fait part de son inquiétude "à propos d'une rumeur insistante relative à la création d'une nouvelle section du CNU intitulée "Institutions, économie, territoire et société".

"Si cette rumeur devait être confirmée, ce serait une catastrophe pour la visibilité et l'avenir de la recherche en sciences économiques dans notre pays, écrit le théoricien de l'économie économie industrielle.

Il est impensable pour moi que la France reconnaisse deux communautés au sein d'une même discipline. Il est indispensable que la qualité de la recherche soit évaluée sur la base de publications, forçant chaque chercheur à se confronter au jugement par les pairs. C'est le fondement même des progrès scientifiques dans toutes les disciplines.

Chercher à se soustraire à ce jugement promeut le relativisme des connaissances, antichambre de l'obscurantisme. Les économistes auto-proclamés "hétérodoxes" se doivent de respecter ce principe fondamental de la science. La création d'une nouvelle section du CNU vise à les soustraire à cette discipline.

(...) La science économique moderne est ouverte sur les grandes questions de société, comme l'illustre parfaitement les travaux récents de Thomas Piketty et beaucoup d'autres grands économistes français. De nombreux chercheurs parmi les meilleurs économistes français et étrangers travaillent sur les liens entre économie, psychologie, sociologie, histoire, sciences politiques, droits, et géographie. La
science économique est de plus en plus interdisciplinaire. (...)

Réagissant à ces propos, l'Association française d'économie Politique (AFEP) - dont est membre Gabriel Colletis, un autre économiste toulousain de renom - s'est insurgée le 29 janvier dans une lettre ouverte à Jean Tirole : "la diversité intellectuelle n'est pas source d'obscurantisme et de relativisme mais d'innovations et de découvertes !"

Pourquoi une nouvelle section d'économie ?

Partisans de la création d'une section "Économie et société" aux côtés de la section "Sciences économiques" du CNU, l'AFEP faisait le constat d'une uniformisation des profils des chercheurs en économie ces dernières années.

En 2013, l'association publiait un rapport sur le sujet :

Sur 209 nouveaux professeurs recrutés à l'Université entre 2000 et 2011, 84,2% dédient leurs recherches au courant dominant de la science économique. 5,3 % sont (plutôt) des historiens de la pensée économique ; et les 10,5% restant sont hétérodoxes.

Fort de ce constat, l'Afep, dont Bernard Maris (assassiné lors de l'attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier) fut l'un des membres, avait semble-t-il convaincu Benoît Hamon, puis Najat Vallaud-Belkacem qui devait annoncer, selon Marianne, la création de la nouvelle section, le 13 janvier lors de l'assemblée générale de l'association.
 
La prise de position - de poids - de Jean Tirole aura-t-elle fait changer d'avis la ministre ?