Philippe Douste-Blazy : "Face à la crise migratoire, construire des murs n'est pas une solution"

Par Alexandre Léoty  |   |  751  mots
Philippe Douste-Blazy, secrétaire général adjoint des Nations Unies et président d'Unitaid
"Guerre Mondiale ou Solidarité Mondiale ?" : c'est l'intitulé de la pétition en ligne lancée hier 3 septembre par Philippe Douste-Blazy, secrétaire général adjoint des Nations Unies et président d'Unitaid. Face à l'urgence humanitaire liée à la crise migratoire, l'ancien maire de Toulouse propose d'instaurer une taxe sur les transactions financières. Interview.

Vous venez de lancer une pétition sur internet pour interpeller le grand public, mais aussi les décideurs politiques internationaux, sur la crise migratoire actuelle. Quel est le but de cette initiative ?
On parle parfois avec trop de froideur de cette crise migratoire, qui est l'une des plus grandes tragédies de l'histoire contemporaine. Parce que derrière des flux, derrière les quotas dont nous entendons parler tous les jours, il y a surtout des êtres humains qui vivent des souffrances épouvantables. Il faut remonter à la Seconde guerre mondiale pour retrouver de pareilles atrocités. La photo de cet enfant (le cliché du corps sans vie d'un enfant syrien de trois ans échoué sur une plage turque publié le 3 septembre dans la presse internationale, NDLR) a permis à l'opinion publique de comprendre de quoi il s'agit. Il s'agit avant tout d'êtres humains qui sont dans un désespoir total et qui fuient l'horreur.

Pour vous, la réponse ne peut pas être court-termiste...
Non. Qu'il faille s'occuper du court terme, évidemment. Mais ceux qui bénéficient de cet afflux, ce sont ceux que l'on entend en permanence : les populistes. Ce sont les gens qui disent : "Avec moi, il n'y aura plus d'immigration", "Regardez, il vont nous prendre notre pain, notre travail, nous n'avons qu'à les laisser se noyer...". Ce sont ceux qui essayent de gagner des voix sur le dos de gens qui meurent tous les jours en Méditerranée. C'est inadmissible. D'autres disent qu'il faut davantage de policiers, de militaires, qu'il faut construire des murs. Ce n'est évidemment pas la solution. En réalité, la seule solution se construira sur le moyen et le long terme.

C'est-à-dire ?
Nous devons donner à chaque être humain les biens publics mondiaux que sont l'eau potable, la nourriture, l'éducation, les systèmes d'assainissement, mais également la santé de base, les médicaments et vaccins essentiels. Des biens publics sans lesquels aucune société économique ne peut se développer. Il faut comprendre que les migrants fuient la guerre pour certains d'entre eux, fuient l'extrême pauvreté pour d'autres, mais qu'en réalité, à cet endroit du monde, il existe un cercle vicieux qui lie l'extrême pauvreté, la violence et la guerre civile.

Quelle solution proposez-vous ?
Nous avons une opportunité. Les principaux pays du monde se retrouveront le 28 septembre prochain à New York lors de l'assemblée générale des Nations Unies. Ils vont se réunir pour signer le lancement des "Objectifs du développement durable" pour lutter contre l'extrême pauvreté. Ils vont faire un très bel accord politique, mais il n'y a pas d'argent. Ce serait l'occasion ou jamais de lancer la création de financements innovants. Avec Unitaid, nous avons initié en 2006 un prélèvement d'un euro par billet d'avion, dans douze pays, ce qui nous a permis de récolter plus de 2,2 milliards de dollars. Il faut développer cela. Nous proposons aujourd'hui une taxe de 0,1 % sur chaque transaction financière. Cela permettrait de générer 400 milliards de dollars chaque année. Il n'y aurait plus un seul enfant qui ne disposerait pas des biens publics mondiaux.

C'est l'appel que vous lancez à travers votre pétition...
Absolument. Si nous sommes des dizaines de milliers à le demander il pourrait y avoir un accord. Il faut que cela vienne des êtres humains. Aujourd'hui, il existe une mondialisation de la communication. Tout être humain regarde tout être humain et peut comparer son mode de vie. Il est évident que ces gens qui ont un frère, un fils ou une fille qui meurt du paludisme, par exemple, savent qu'avec 50 centimes d'euros, il est possible de soigner cette maladie. S'ils voient sur internet que nous, nous déjeunons pour 20 ou 30 euros par jour, il est certain qu'au bout d'un moment, ils vont être choqués. J'ajoute que pour un fondamentaliste ou un extrémiste, il est beaucoup plus facile d'enrôler quelqu'un qui n'a plus rien à perdre et qui voit ces injustices en permanence...

Selon une enquête d'opinions Elabe réalisée pour BFMTV le 2 septembre, 56 % des sondés sont opposés à ce que la France accueille de nouveaux migrants, notamment en provenance de Syrie. Quelle est votre réaction ?
Il faut toujours faire attention avec les sondages. Car si on réalisait un sondage juste après la publication de la photo de cet enfant (syrien mort en Turquie, NDLR), je suis sûr que les résultats ne seraient pas les mêmes.