Pour faire la LGV Bordeaux-Toulouse, faut-il abandonner Bordeaux-Dax ? [Tribune]

Par Tribune de Marc Ivaldi, TSE  |   |  781  mots
Train en gare de Toulouse
"L'idée, simple et pas nouvelle, est de faire Bordeaux-Toulouse maintenant et de repousser Bordeaux-Dax, non pas en 2027 comme prévu, mais aux calendes grecques". Tribune signée Marc Ivaldi, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et enseignant à Toulouse School of Economics (TSE).

"Si le financement de cette LGV ne saurait bien sûr s'abstraire des paramètres et conditions économiques, il résultera avant tout d'arbitrages politiques. Et il ne peut en être autrement quand un argument majeur en support de ce projet est avancé en forme de question : est-il possible que la 4e ville de France ne soit pas reliée au réseau à grand vitesse alors que sa métropole connaît, depuis des années, la plus forte progression démographique de ce pays ?

Rappelons tout d'abord que le projet sur la table, le Grand Projet du Sud-Ouest (GPSO), consiste à construire simultanément une LGV entre Bordeaux et Toulouse et une autre entre Bordeaux et Dax, les 2 ayant une portion commune. Le tout pour 9 milliards d'euros, la partie Bordeaux-Dax représentant près un tiers de cet investissement. Ce projet comprend aussi à terme une liaison Dax-Espagne.

Rappelons ensuite que la loi dite Loi Macron impose une règle d'or sur l'augmentation de la dette SNCF Réseau. En gros elle ne peut quasiment plus augmenter. Autant dire que ce ne sera pas facile de financer le GPSO. Et l'auteur de cette loi étant maintenant chef de l'État, il y a fort à parier que la règle d'or sera strictement appliquée, même si le candidat Emmanuel Macron, après avoir hésité, a apporté un appui sans ambigüité à la LGV Bordeaux-Toulouse. La déclaration du président ce week-end, en appui du développement des réseaux de proximité, ne vient pas contredire celle du candidat. Elle est la traduction logique de la règle d'or qui de fait impose une inversion des priorités : rénover et maintenir le réseau ferré actuel plutôt que de le faire croître. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura plus aucune nouvelles LGV en France.

Alors que la Déclaration d'Utilité Publique du GPSO vient d'être annulée par le tribunal administratif de Bordeaux tandis que depuis dimanche dernier des TGV mettent Bordeaux à deux heures de Paris, où trouver des marges de liberté pour tout de même réaliser une nouvelle infrastructure dans le Sud-Ouest ? Parmi les solutions, il y a évidemment d'étaler dans le temps la réalisation du GPSO. L'idée, simple et pas nouvelle, est de faire Bordeaux-Toulouse maintenant (ouverture prévue en 2024) et de repousser Bordeaux-Dax, non pas en 2027 comme prévu, mais aux calendes grecques. Resterait plus qu'à trouver 6 milliards d'euros (tout de même), mais cela donne un projet Bordeaux-Toulouse avec une rentabilité tout à fait honorable, surtout si on met en place un partenariat public-public-privé pour le réaliser.

Cette solution est éminemment politique. La région Occitanie, Toulouse Métropole et d'autres collectivités territoriales ont aidé la région Aquitaine en contribuant au financement de Paris-Bordeaux. Cette solidarité appelle un retour de solidarité : la Nouvelle-Aquitaine devrait laisser tomber sa revendication sur Bordeaux-Dax pour mettre tous ses œufs politiques dans la LGV Bordeaux-Toulouse.

Et nos amis d'Aquitaine ont plus d'une bonne raison de le faire. Tout d'abord il est évident que Bordeaux-Dax ne sera pas rentable parce qu'il n'y a pas de trafic pour couvrir un coût de construction qui avoisine les 30 millions d'euros le kilomètre (à comparer au coût d'un million le kilomètre d'autoroute). Vu l'état des budgets de la France et de la SNCF, c'est une folie. Pourquoi s'arquebouter sur Bordeaux-Dax ? La première raison est que ce tronçon préfigure le raccordement avec le réseau espagnol à grande vitesse. Mais précisément, ce projet ressemble bien à un château en Espagne : les réticences pour faire passer une infrastructure dans le Pays Basque sont telles qu'il est bien possible que le projet Hyperloop d'Elon Musk sera entretemps devenu réalité et aura remisé le TGV au musée des technologies.

La seconde raison, c'est la congestion créée par les millions de camions qui passent par les Landes pour rejoindre l'Espagne ou le Nord de l'Europe. C'est un vrai problème, mais il n'est pas raisonnable de penser qu'en construisant une LGV pour les passagers, on résoudra le problème du transport du fret en Aquitaine qui est bien pourvu en autoroutes. Si l'autoroute A63 (qui met Bayonne à deux heures de Bordeaux) est trop congestionnée, pourquoi ne pas forcer les camions à emprunter l'A65 (par Pau, soit une heure de plus) d'autant que cette autoroute est, de notoriété publique, sous-utilisée ? Ce serait un bel acte politique moderne. Mieux utiliser les infrastructures existantes, mieux gérer les trafics, n'est-ce pas déjà "Make the Planet Great Again" ?

Décideurs politiques d'Aquitaine et d'Occitanie unissez-vous"