Commerces de proximité : en Occitanie, la fronde des maires s'intensifie fortement

ENQUÊTE. Les heures passent et les arrêtés municipaux permettant la réouverture des commerces de proximité non-alimentaires en Occitanie se répandent comme une traînée de poudre. Face à cette rébellion des élus locaux, les préfectures attaquent ces textes devant les tribunaux administratifs, les jugeant "illégaux" en cette période de confinement. Si les premières délibérations sont attendues avec impatience dans les jours à venir, les commerçants et d'autres acteurs économiques comptent exprimer leur colère à l'occasion d'un grand rassemblement de 1 000 personnes sur la place du Capitole à Toulouse, le 6 novembre.
Les commerces de proximité non-alimentaires pourront-ils rouvrir dans les jours à venir grâce à la fronde des élus d'Occitanie ?
Les commerces de proximité non-alimentaires pourront-ils rouvrir dans les jours à venir grâce à la fronde des élus d'Occitanie ? (Crédits : Rémi Benoit)

"Je n'ose croire que l'ancien maire de Prades (aujourd'hui Premier ministre, ndlr) veuille faire mourir les commerçants de Perpignan et d'ailleurs", déclare dans une interview accordée à La Tribune Louis Aliot, le maire de Perpignan, vendredi 30 octobre. Il est alors l'un des tout premiers maires de la région Occitanie, mais aussi de France, a prendre un arrêté municipal permettant l'ouverture des commerces de proximité non-alimentaires, contraints à la fermeture suite à la promulgation d'un nouveau confinement national le même jour.

Depuis, la liste des maires frondeurs en Occitanie ne cesse de s'allonger au fil des heures... Béziers (Pyrénées-Orientales), Rodez (Aveyron), Fleurance, Seissan, Riscle (Gers), Mazamet, Lavaur, Albi, Castres (Tarn), Beaumont-de-Lomage, Montauban (Tarn-et-Garonne), pour ne citer que ces exemples... Mais ils sont plusieurs dizaines au total à prendre des arrêtés similaires. "Une poignée de maires irresponsables", selon le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. Des propos qui ont marqué les esprits.

"Ses propos sont insupportables et ils sont même blessants ! Bien sûr que la situation sanitaire est inquiétante, mais c'est affligeant de voir la manière dont nous sommes traités alors que nous avons simplement donné l'alerte ! C'est hallucinant de constater que notre ministre de l'Économie n'ait pas remarqué cette distorsion de concurrence entre nos commerces de proximité, contraints à la fermeture, et nos supermarchés qui vendent les mêmes produits quelques kilomètres plus loin et qui, eux, peuvent rester ouverts", s'insurge Christian Teyssèdre, le maire de Rodez qui a pris un arrêté municipal pour que ses commerces de proximité puissent ouvrir à nouveau.

Une fronde à plusieurs degrés

Depuis, l'élu local a retiré son arrêté car il estime avoir été entendu à la suite de l'annonce dimanche 1er novembre de la fermeture de certains rayons de supermarchés et un avenant au décret national précisant les produits jugés "essentiels". Ceux qui ont fait marche arrière de la sorte se comptent sur les doigts d'une main dans la région car la tendance est davantage à une montée de la grogne qu'à un apaisement.

"C'est la cohue dans les supermarchés et on ouvre la porte en grand à la vente en ligne! Alors oui, j'ai pris cette arrêté car je suis inquiet pour nos petits commerces et pour démontrer la grande incohérence dans les décisions prises pour gérer cette épidémie. Nous pouvons renforcer le protocole sanitaire dans ces commerces de proximité, déjà bien appliqué, en faisant entrer les clients un par un voire deux par deux. On le fait déjà dans nos bureaux de tabac, à la boucherie et à la boulangerie. Pourquoi cela ne marcherait pas pour le marchand de chaussures ou de jouets ?", s'insurge Jean-Paul Cuzin, le maire de Beaumont-de-Lomage, une commune rurale de 4 000 habitants, tout en prévenant qu'il ira "jusqu'au tribunal administratif car je ne retirerai pas cet arrêté".

À deux mois de la période des fêtes de Noël, la pilule est effectivement difficile à avaler pour ces milliers de commerçants en France car "c'est une période crucial pour leur chiffre d'affaires annuel", comme le souligne Olivier Fabre, le maire de Mazamet. Cet élu se dit être dans "une fronde raisonnée". Par rapport à ses homologues, il conseille aux commerces de proximité de sa commune d'attendre la validation définitive de son arrêté, notamment par le tribunal administratif, avant de lever le rideau.

"Par rapport à ce qu'il se fait ailleurs, nous l'avons présenté d'une autre manière pour qu'il ait des chances d'être jugé légal en remplaçant les choses dans le contexte. Vu que le gouvernement maintient ouvert certains services publics, des commerces de proximité sont liés à ces services. Par exemple, Pole Emploi fonctionne toujours, le marché de l'emploi est toujours ouvert et les entretiens d'embauche se font toujours. Les demandeurs d'emploi ont besoin d'être présentable à ces rendez-vous, le maintien des activités de coiffure est donc nécessaire. Même constat à propos de l'éducation. Les établissements scolaires sont encore ouverts et les élèves ont besoin de livres pour étudier. Les libraires ont donc une nécessité à rester ouvertes", démontre l'édile de cette localité de plus de 10 000 habitants.

Au niveau national, le gouvernement donne rendez-vous le 12 novembre, date officielle de la prochaine évaluation de la situation sanitaire où il pourrait être décidé de permettre la réouverture de certains commerces. "À cette date, rien ne changera au regard des chiffres officiels de l'épidémie ! Il annonce cela pour calmer les tensions", regrette Thierry Deville, l'adjoint à la maire de Montauban en charge des Finances et de l'Économie. L'élu, aussi premier vice-président du Grand Montauban, regrette aussi la mobilisation de forces de police à cette situation au regard du contexte sécuritaire.

"Alors qu'il vaudrait mieux protéger nos lieux de culte et qu'il y a une menace terroriste, on envoie dans le centre-ville de Montauban des policiers à la traque aux commerçants ! On menace les commerces de proximité de verbalisation et de fermeture administrative... Ce sont des menaces insupportables. L'État est en train de réprimer les commerçants. Alors que j'ai la certitude qu'il n'y aura jamais un cluster dans un commerce de notre ville car ils appliquent scrupuleusement le protocole sanitaire. Cette situation est ridicule", peste l'élu.

"Faire tomber ces arrêtés"

Désormais, tous les maires et élus contactés par La Tribune attendent une seule chose : les premières audiences devant les tribunaux administratifs et les délibérés qui suivront. Pour Perpignan, l'audience est fixée à ce mardi 3 novembre, tandis que pour Montauban, elle est attendue pour vendredi 6 novembre. Pour en arriver à une telle situation, les préfectures ont référé devant la juridiction administrative ces arrêtés qu'elles voient d'un mauvais œil.

"Dans ce contexte qui devrait nous conduire à l'unité pour lutter contre la propagation du virus, je regrette que madame le maire de Montauban ait signé un arrêté illégal autorisant le maintien de l'ouverture des commerces non alimentaires de Montauban", a ainsi déclaré par voie de communiqué le préfet du Tarn-et-Garonne, Pierre Besnard.

Si le préfet de Haute-Garonne et d'Occitanie, Étienne Guyot, se refuse à tout commentaire à ce sujet, son homologue du Tarn devrait prendre la parole à son tour dans les heures à venir. "La position nationale est de référer ces arrêtés municipaux pour les faire tomber", fait néanmoins déjà savoir son cabinet.

"Depuis quand un préfet fait du droit et déclare un arrêté illégal avant le tribunal administratif ?" pointe du doigt le maire de Rodez, Christian Teyssèdre. Surtout, un tel jugement à l'avance peut s'avérer périlleux. Dans le dossier des salles de sport, ou encore des bars et restaurants, les différents tribunaux administratifs de France n'ont pas rendu le même verdict sur leur fermeture ces derniers mois. En sera-t-il de même pour les commerces de proximité ? "Si nous ne sommes pas attendus, nous pourrons aller jusqu'à saisir le Conseil d'État", prévient déjà Thierry Deville.

Avant l'annonce de ces décisions juridiques tant attendues, certaines municipalités à l'image de Pibrac (Haute-Garonne), et intercommunalités comme le Sicoval (Sud-est toulousain) lancent des market places en ligne pour instaurer un dispositif de click & collect pour leurs commerçants. D'ailleurs, ces derniers, aux côtés des salles de sport et de la filière événementielle, ont prévu de rassembler d'une manière innovante 1 000 personnes sur la place du Capitole à Toulouse, vendredi 6 novembre pour faire entendre leur colère.

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