Carole Delga : "Il y a une recentralisation au détriment des territoires"

À l’occasion de la seconde édition de The Village, Carole Delga, présidente de la Région Occitanie, s’est longuement confiée à La Tribune sur le thème de la fracture territoriale. Entretien.
Carole Delga, la présidente de la Région Occitanie, se dit prête à reprendre la gestion des petites lignes de la SNCF.
Carole Delga, la présidente de la Région Occitanie, se dit prête à reprendre la gestion des "petites lignes" de la SNCF. (Crédits : Rémi Benoit)

LA TRIBUNE - La loi NOTRe, menée par le gouvernement dont vous avez fait partie sous François Hollande, a donné naissance à de grandes régions. Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées sont devenues Occitanie. Avec ce changement, le sentiment de fracture territoriale n'est-il pas renforcé dans une région comptant 13 départements ?

CAROLE DELGA - Non, le sentiment de fracture territoriale n'est pas lié à la taille des territoires. Ce sentiment serait plutôt en rapport avec une faible présence des services publics sur l'ensemble du territoire, à un manque de liaisons entre eux et à des taux de chômage élevés. Mais cette crainte d'accentuer la fracture territoriale aurait pu avoir lieu si, au moment de la fusion, tout avait été concentré dans un seul et même site. Seulement, la Région Occitanie, à travers l'ouverture d'une Maison de la Région dans dix des treize départements, rassure la population et apporte la preuve qu'il n'y a pas d'éloignement.

Par conséquent, est-ce un avantage pour la Région Occitanie d'avoir deux métropoles importantes, à savoir Toulouse et Montpellier ?

Nous ne sommes pas la seule région de France à disposer de plusieurs métropoles importantes sur notre territoire. Mais oui, nous avons la chance de compter deux métropoles dynamiques et il faut qu'elles tissent un réel partenariat avec la Région, car celle-ci est le vecteur qui permet de faire la liaison avec l'ensemble des territoires. C'est cette relation que l'on construit à travers les contrats que nous signons avec nos métropoles, mais également avec les PETR [Pôle d'équilibre territorial et rural, ndlr].

Quelles sont les actions mises en place par le Conseil régional de la Région Occitanie pour lutter contre ce phénomène de fracture territoriale entre les territoires urbains et ruraux  ?

Nous sommes très attachés sur l'ensemble de nos politiques à développer un maillage territorial. C'est vrai sur l'éducation avec la construction de lycées dans les territoires reculés, éloignés des métropoles. C'est également vrai pour les universités. J'ai demandé à Frédérique Vidal, la ministre de l'Enseignement supérieur, de disposer davantage de sites décentralisés dans la région afin que l'on puisse irriguer les petites villes en matière d'enseignement supérieur. C'est pourquoi la question des transports est tout aussi importante et nous avons un débat depuis un long moment avec le gouvernement à ce propos. Dans le rapport Spinetta, consacré à l'avenir du transport ferroviaire, il a été indiqué que la SNCF ne devait faire que du transport de masse. Et là, j'ai une profonde divergence avec cette vision parce que le réseau ferré doit faire du transport de masse, mais aussi du maillage et des liaisons.

Ce rapport recommande également la fermeture des « petites lignes ». De ce fait, la ligne Toulouse-Auch, qui est pourtant très empruntée par la population locale, est menacée. Quelle est votre position à ce sujet ? La Région Occitanie serait-elle prête à prendre en charge la gestion de ces lignes comme l'envisage l'État ?

Davantage de personnes voudraient prendre cette ligne au quotidien et c'est pour cette raison que la Région achète désormais des wagons à deux étages afin d'augmenter la capacité de transport. Mais vous pointez là l'absurdité de ce raisonnement. Dire que la ligne Toulouse-Auch devrait fermer, c'est ridicule parce que sa fermeture aurait des effets importants en termes d'embouteillages en amenant beaucoup plus de véhicules sur les infrastructures routières. Je ne suis pas opposée au principe que la Région gère ces petites lignes, mais avec quelles dotations ? Il faut qu'on puisse avoir les capacités financières de les gérer.

Vous avez souvent repris le terme de « fracture territoriale » dans votre lutte contre la réforme de l'apprentissage qui doit entrer en vigueur à la rentrée 2019. Pour quelles raisons ?

Actuellement, les Centres de formation pour apprentis (CFA) sont financés pour partie en fonction du nombre d'élèves et pour une autre partie, assez importante, au moyen de ce qu'on appelle une dotation de péréquation pour faire en sorte que, quand ils sont situés dans des territoires ruraux ou éloignés, ils puissent avoir le financement nécessaire pour assurer leur fonctionnement. Avec la réforme, cette dotation de péréquation va être réduite de moitié, ce qui veut   dire que, dès 2019, des CFA n'auront plus les moyens de fonctionner.

Donc le risque est de voir certains établissements de la région Occitanie fermer leurs portes ?

Oui, dans le département de l'Ariège, les CFA de Saint-Girons et de Pamiers sont menacés, tout comme celui de Figeac, dans le Lot. Dans l'Aveyron par exemple, seuls les CFA installés à Rodez pourraient continuer à fonctionner et le dépar­tement de la Lozère n'en compterait plus un seul. Au total, ce sont 68 CFA qui sont menacés, ce qui risquerait de toucher 5.000 apprentis. Cette réforme va priver les territoires d'un outil d'enseignement.

Le gouvernement va bientôt présenter une loi sur la santé dans laquelle la lutte contre les déserts médicaux devrait occuper une place importante. Il y a également le plan « Cœur de ville » à destination des centres-villes de villes moyennes d'un montant de 5 milliards d'euros. Comment jugez-vous l'action du gouvernement à l'égard des territoires ruraux ?

Il faut savoir que la Région Occitanie a lancé l'opération « Centres-bourgs », sur laquelle on se retrouve avec l'État via son opération « Action cœur de ville ». Par la suite, nous verrons les orientations que donnera le gouvernement avec sa future loi Mobilité, qui sera essentielle. Le problème est qu'il y a eu d'autres mesures à l'encontre des territoires comme la baisse des dotations pour les Régions. Sur le budget 2018, l'Occitanie enregistre un différentiel de 120 millions d'euros par rapport à 2017. On ressent une recentralisation alors qu'il existe un besoin de  libérer l'initiative venant des territoires. Il faut laisser la place à l'innovation et à l'intelligence territoriales.

Lire aussi : The Village revient pour construire "le monde de demain"

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