Fusion Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées : tout ce qui va (vraiment) changer

Le 1er janvier 2016, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon ne formeront plus qu’une seule et même région, représentant 7,21 % du PIB français. Quelles conséquences pour les entreprises des deux territoires ? Quelles synergies à imaginer ? Quels nouveaux équilibres économiques ? Qui pour diriger la nouvelle région ? Enquête sur tout ce qui va (vraiment) changer.
Quelle sera la nouvelle identité de la grande région ?

Treize départements, 72 000 km2, 5,6 millions d'habitants et 7,21 % du PIB national. La nouvelle région qui naîtra le 1er janvier 2016 du rapprochement entre Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon sera un mastodonte. La fusion aura des conséquences directes sur les citoyens, le personnel politique et les agents territoriaux. Mais elle impactera également les entreprises, dont certaines voient aujourd'hui dans la création de cette super région une source d'opportunités.

Pourtant, les frontières du monde économique sont par essence éloignées de celles des institutions publiques.

"La territorialité est différente, analyse Philippe Robardey, président du Medef Midi-Pyrénées. Les entreprises sont ouvertes et internationalisées. Le marché des hommes politiques, c'est la circonscription. Celui des entreprises, c'est le monde."

Un avis partagé par Bernard Fourcade, président de la CCI Languedoc-Roussillon : "Les entreprises n'ont pas attendu la loi pour travailler un peu partout."

Une mutualisation attendue

Cependant, la fusion peut avoir des effets directs sur la vie des entreprises locales, comme l'analyse Alain Di Crescenzo, président de la CCI de Toulouse :"Si toutes les aides publiques, si toutes les initiatives sont mutualisées, alors l'économie va y gagner." Mutualisation, le mot est lâché. Voilà ce qu'attend avec impatience le monde économique. Un challenge résumé par le président de la CCI toulousaine : "Faire davantage avec un budget inférieur." Et si la question des économies générées par la fusion reste toujours sensible, celle de la mutualisation des outils publics est plus que jamais d'actualité.

"Les entreprises attendent un accompagnement à la création et au développement, mais aussi une aide à la formation, estime Guy Giva, président du Ceser (Conseil économique, social et environnemental) Languedoc-Roussillon. Avec la réforme, il y aura davantage de financements pour aider le tissu économique."

Un espoir partagé par Emmanuel Mouton, PDG de Synox Group : "Les moyens destinés à l'accompagnement des entreprises seront peut-être moins dispersés." Certains observateurs restent cependant sceptiques, à l'image d'Agnès Paillard, présidente du pôle de compétitivité Aerospace Valley. "Avec des régions de cette taille, qu'en sera-t-il de la proximité pour les entreprises ?", s'interroge-t-elle. Selon Laurent Boissonade, président du Medef Languedoc-Roussillon, au-delà d'une "simplification des formalités administratives", les chefs d'entreprises attendent avant tout "plus d'efficacité dans les politiques territoriales. Tout le monde se revendique par exemple des compétences économiques. On ne s'y retrouve plus." Un point que la réforme devrait trancher, en accordant le leadership du développement économique aux Régions.

Pour Martin Malvy, président du Conseil régional de Midi-Pyrénées, l'équation est simple. "Tout consiste à savoir si le renforcement du fait régional et de sa compétence économique va dans le sens d'une plus grande performance. Je le crois." Mais le monde de l'entreprise attend encore davantage de la fusion des régions. Il entend bénéficier d'une taille critique, née de l'addition des forces des deux territoires. "Réunis, nous pesons davantage", s'enthousiasme Alain Di Crescenzo, qui répète à l'envi : "Il faut créer une meute plus grande." Un avis que partage pleinement le Montpelliérain Guy Giva : "Si nous sommes intelligents, nous ferons en sorte que 1 + 1 ne fassent pas 2, mais 2,5." Pour Philippe Robardey, c'est certain, "quelque chose va changer" :

"Lorsque nous discuterons avec la Catalogne, par exemple, au lieu de le faire de petit à grand, ce sera de grand à grand, d'égal à égal. Le rapport de force va être bouleversé. Faisons-en un avantage. Une entreprise qui grossit, soit elle est plus forte, soit elle est plus lourde et donc moins agile. Faisons en sorte d'être plus forts, plus performants."

En visite dans le Lot le 14 avril dernier, le président de la République François Hollande a assuré que la future entité serait "une très grande région. Géographiquement, mais aussi une région puissante. Une région à la pointe de l'Europe, parmi les premières." C'est également le souhait affiché par le préfet de Midi-Pyrénées, Pascal Mailhos (préfet préfigurateur de la grande région), qui vante une nouvelle région "de la taille de l'Autriche ou du Benelux" et qui deviendra de fait "la 19e région européenne". Selon une étude du cabinet Trendeo, Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées - dont le nouveau nom sera connu d'ici à l'été 2016 - serait ainsi "la grande bénéficiaire" de la réforme territoriale, à la fois en termes de création d'emplois et de startups.

Des synergies à développer

Certes, l'union des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon n'a pas fait que des heureux. N'aurait-il pas été plus naturel de rapprocher la première de l'Aquitaine et la seconde de Paca ? La question a longtemps cristallisé les débats. Mais désormais, comme le résume Guy Giva, "la fusion a été actée et nous devons la réussir. C'est un gros challenge, mais ensemble, nous serons une grande et belle région." Une région riche de ses différences et de ses complémentarités. Avec des points forts : pour Midi-Pyrénées, l'aéronautique, les systèmes embarqués et l'agriculture, et pour Languedoc-Roussillon, le tourisme, la viticulture, l'énergie et les biotechnologies. Mais aussi des points de convergence (le numérique, la santé, la recherche...) que les acteurs économiques devront apprendre à développer.

Certes, des synergies existaient déjà mais, comme l'indique Christophe Nicot, directeur général de Madeeli, l'agence de développement économique de Midi-Pyrénées, "elles étaient complexifiées par deux environnements administratifs distincts. Demain, tout cela sera simplifié." Selon Laurent Boissonade, des barrières vont tomber. "La densité d'entreprises de Midi-Pyrénées va se diluer sur l'axe Toulouse-Montpellier, estime-t-il. Si Toulouse ouvre les vannes de la sous-traitance aéronautique, Languedoc-Roussillon va pouvoir se réindustrialiser.
Un rééquilibrage va se réaliser." À condition, cependant, que le territoire adapte ses infrastructures.

"Étant données les distances, il va falloir trouver un équilibre, notamment en matière de transport, reconnaît Guy Giva. Nous souhaitons que la LGV maille de façon complète la grande région."

Max Lévita, le 'Monsieur Toulouse' de la métropole montpelliéraine, acquiesce. "Il est indispensable de créer une liaison TGV entre les deux villes, pour les mettre à une heure l'une de l'autre." Et si le Languedoc-Roussillon peut espérer bénéficier de la dynamique du secteur aéronautique toulousain, la réforme offre à Midi-Pyrénées un accès direct à la mer Méditerranée. "C'est ce qui nous manquait !", se réjouit Alain Di Crescenzo. Il est vrai, comme le rappelle Bernard Fourcade, que Port-la-Nouvelle est "le débouché naturel" de Midi-Pyrénées. "C'est déjà le cas en ce qui concerne l'export de céréales et de ciment, par exemple, explique-t-il. La fusion des deux régions ne pourra que consolider cette vocation." Le port de Sète, lui aussi, se rapproche symboliquement de Toulouse.

Une région plus visible et plus attractive

À tous les niveaux, c'est donc la coopération qui prime. Y compris sur le plan de l'image. "En matière de visibilité internationale, nous bénéficierons tous de ce rapprochement", assure Bernard Fourcade. Plus visible de l'étranger, la nouvelle région pourrait également être plus attractive pour les investisseurs.

"En la matière, nous sommes principalement challengés par la Catalogne, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et la Suisse, explique Agnès Tixier, directrice générale d'Invest Sud de France, l'agence de développement économique du Languedoc-Roussillon. Grâce à la fusion, nous gagnons en attractivité. Nous faisons désormais le poids et nous avons tout pour réussir : des opportunités de marché, une sous-traitance forte, une capacité de développement d'applications industrielles et un écosystème de startups très riche. Sans oublier une main-d'œuvre de qualité et une offre foncière disponible."

Une plus vaste région s'étendant des Pyrénées à la mer Méditerranée serait par ailleurs susceptible d'attirer encore davantage les talents. "Quand on recrute, le cadre de vie est important", assure Bernard Fourcade, qui vante par ailleurs la situation géostratégique idéale de la nouvelle région, qui constitue un "carrefour incontournable". Une proximité avec l'Espagne qui n'a pas échappé à Alain Di Crescenzo : "En matière de collaboration, la géographie y fait souvent beaucoup, de même que la proximité culturelle. Désormais, nous avons les deux." Christophe Nicot insiste : "N'oublions pas l'Eurorégion Pyrénées-Méditerranée, qui regroupe avec nous la Catalogne et les îles Baléares. Nous allons pouvoir faire une superbe partie de tennis avec ces régions."

Plus largement, c'est toute l'Europe du Sud et les pays de la Méditerranée qui se rapprochent mécaniquement de Toulouse. Autre facteur d'optimisme mis en avant par les partisans de la nouvelle région : les entreprises locales devraient bénéficier désormais d'une plus grande visibilité à Paris et Bruxelles. "En matière de lobbying, plus on est gros, plus on est identifié et plus on pèse", résume Michel Bossi, président de la commission affaires européennes à la CCI Midi-Pyrénées.

Une opportunité pour les entreprises

Certaines entreprises avaient anticipé sans le savoir la fusion de Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. C'est par exemple le cas d'Orange. "Les directions régionales ont été regroupées dès 2006 afin d'atteindre une taille critique en termes de gestion des ressources humaines", explique Pierre Clément, directeur d'Orange Sud, qui rassemble Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon. Ce regroupement a permis à l'opérateur de répartir ses moyens.

"Pour notre réseau de boutiques, qui compte 300 points de vente dans chacune des deux régions, nous avons décidé de mettre en place un pilotage centralisé, précise Pierre Clément. Mais sur notre activité Intervention, nous n'avons pas regroupé les deux directions, car avec 1 000 collaborateurs dans chaque région, la taille critique par territoire existait déjà. Il faut rechercher un équilibre."

Autre expérience réussie à cheval entre les deux territoires : celle du groupe gersois Abrisud. Le n°1 européen des fabricants d'abris de piscines, qui compte 330 salariés et prévoit un chiffre d'affaires de 60 millions d'euros cette année, dispose de deux unités de production en Languedoc-Roussillon. Deux sociétés - Sun Abris et TSP - reprises respectivement en 2011 et 2013. "Ces sociétés proposaient des expertises complémentaires aux nôtres, confie François-Xavier Desgrippes, PDG d'Abrisud. Soyons honnêtes, nous ne les avons pas forcément choisies pour leur localisation géographique ! Mais je préfère racheter des sites qui ne sont pas trop éloignés de notre siège." Et ce pour des raisons purement pratiques. "Cela permet à notre directeur industriel de visiter le site dans la journée. Pour notre usine de Roubaix, c'est forcément plus compliqué... Un site rapproché induit une certaine rationalisation logistique.
C'est un atout."

Un atout qui pourrait séduire d'autres entreprises, bien décidées à étendre leur champ d'action à l'ensemble de la grande région. "Tous les fournisseurs du secteur public, notamment, vont probablement se poser la question d'un déploiement commercial dans le territoire voisin, afin de couvrir l'ensemble de la nouvelle région, estime Philippe Robardey. Ils vont s'adapter pour saisir au mieux les opportunités." De même, selon Laurent Boissonade, "au niveau des plateformes logistiques, il va y avoir une intensification du mouvement allant de Midi-Pyrénées à Languedoc-Roussillon."

Branle-bas de combat

Mais les entreprises ne sont pas les seules à songer à se réorganiser. Le branle-bas de combat est déjà déclenché au sein des institutions publiques. Dans les conseils régionaux, premiers concernés par la réforme, on organise dès aujourd'hui la transition.

"Avec Languedoc-Roussillon, nous avons mis en place une méthode, explique Martin Malvy. Nous nous réunissons régulièrement, à tous les niveaux : les présidents, les directeurs généraux et les équipes. En travaillant sur trois grands thèmes, la transition énergétique, la desserte en haut et très haut débit et la politique de la ville, nous préparons le terrain pour la future assemblée régionale."

Quant à l'État, il a nommé un préfet préfigurateur, Pascal Mailhos, le préfet de la région Midi-Pyrénées. Les réseaux de soutien aux entreprises ne sont pas en reste. Ainsi, au Medef, on anticipe déjà le rapprochement. "Est-ce que ça sera une présidence unique ou une cogouvernance dans un premier temps ? Nous verrons, glisse Laurent Boissonade. Mais nous allons montrer l'exemple, en conciliant économie et proximité."

De leur côté, les CCI des deux régions devraient fusionner au 1er janvier 2016. "Le travail va être énorme, car nous sommes très différents", soupire Didier Gardinal, président de la chambre consulaire midi-pyrénéenne. À la même date devrait s'opérer la fusion des deux Ceser. "Il est logique de 'coller' au nouveau territoire", assure Jean-Louis Chauzy, président du Ceser Midi-Pyrénées. Certains clusters et plateformes d'aides aux entreprises songent par ailleurs à se regrouper. Bon gré ou mal gré, c'est l'ensemble du monde économique qui se met à la page. En attendant le grand saut.

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