Jean-Luc Moudenc : "Il faut plus de décentralisation et plus de déconcentration de l'État"

ENTRETIEN. Le maire de Toulouse se dit favorable à une nouvelle étape de la décentralisation accompagnée d’une déconcentration des services de l’État.
Le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc veut davantage de décentralisation.
Le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc veut davantage de décentralisation. (Crédits : Rémi Benoit)

LA TRIBUNE - Pas moins de 80 % des Français, selon notre sondage réalisé avec BVA et Public Sénat appellent à une réorganisation des collectivités locales. Partagez-vous ce constat ?

JEAN-LUC MOUDENC - Les Français sont d'accord aujourd'hui avec leurs élus locaux qui demandent une nouvelle étape de décentralisation. Néanmoins, les réponses apportées ne peuvent pas être uniformes dans l'ensemble du pays. On voit bien que, dans les grandes agglomérations, la demande de décentralisation supplémentaire est plus forte qu'ailleurs. Alors nous pouvons très bien distinguer les grandes agglomérations et les concevoir comme des locomotives pour le pays auxquelles l'État donnerait davantage de moyens. L'autre lecture de ce sondage concerne l'organisation de l'État lui-même.

Il est victime de ce qu'on pourrait appeler l'hydrocéphalie, où la tête a beaucoup enflé et le corps rapetissé. Je veux dire par là que les administrations centrales, qui sont à Paris, sont tout aussi puissantes que lorsque l'État était centralisé avant les différentes réformes. Par contre, nous observons que les préfets en région ont de moins en moins de moyens. L'État aurait à gagner à ré-arbitrer la répartition de ses moyens entre ce qui doit être conservé à l'échelon central et renforcé en région. Je suis frappé par le fait que nos services aient une expertise supérieure à celle des services décentralisés de l'État sur différentes thématiques où l'on doit travailler en commun. Je suis donc partisan d'un double mouvement: plus de décentralisation et plus de déconcentration des administrations centrales au profit des administrations décentralisées.

Mais quatre échelons territoriaux - communes, agglomérations, départements et régions -, n'est-ce pas trop ?

Oui, je pense que c'est trop, mais c'est une question très délicate qui crée toujours des tensions entre collectivités et associations d'élus quand le sujet est abordé.

Malgré tout, vous avez travaillé pendant plusieurs mois avec le gouvernement sur l'hypothèse que la Métropole récupère les fonctions du Conseil départemental sur son territoire. Finalement vous avez jeté l'éponge il y a quelques semaines. Qu'est-ce qui a bloqué cette réorganisation territoriale et espérez-vous que ce dossier revienne sur la table un jour ?

Si ce projet n'a pas prospéré, c'est que l'exécutif a été incapable de se tenir à une méthode de travail sérieuse et qu'il n'a luimême pas respecté le calendrier qu'il avait annoncé. Donc Christian Estrosi [président de la métropole de Nice, également concernée par le sujet, ndlr] et moi, dans la foulée d'autres collègues, avons constaté que tout cela n'était pas mené de manière cohérente et que, les élections municipales approchant, cela n'avait plus aucun sens de se lancer dans cette réforme. Pour autant, j'ai la conviction que cette réforme reviendra un jour. Quand ? Je ne le sais pas.

Mais j'observe que, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il était question de fusionner les Départements et les Régions avec la création de conseillers territoriaux. Cela ne s'est pas fait. Sous François Hollande, il était carrément question de supprimer tous les Départements. Cela ne s'est pas fait. Sous Emmanuel Macron, il a été question de fusionner les Départements et les grandes métropoles. Autrement dit, on voit bien que la pertinence de l'échelon départemental se pose en France depuis plus de dix ans, même si les gouvernements successifs, par des méthodes différentes, n'ont pas su mener à bien cette réforme. On tourne autour du pot, on voit bien qu'il y a un sujet, alors laissons le mûrir encore.

A contrario, l'échelon communal semble avoir retrouvé de la superbe lors de ce Grand débat national, puisque 56 % des sondés déclarent vouloir revoir à la hausse le pouvoir accordé aux communes. En tant que maire de la quatrième ville de France, comment accueillez-vous cette statistique ? Dans quels domaines la commune pourrait-elle avoir de nouvelles compétences ?

Le regain d'intérêt pour la commune répond à un besoin de proximité dans un monde où la mondialisation est un phénomène qui fait peur et dans lequel la commune représente un ancrage du quotidien bien connu, bien vécu, bien repéré. C'est donc une dimension rassurante. Je pense qu'il y a certains services d'action sociale qui touchent tellement à la relation avec la personne que l'on gagnerait à muscler la réponse au niveau communal. Par exemple, si la réforme que nous évoquions se faisait avec l'attribution de compétences départementales aux Métropoles, pour moi, la plupart des actions sociales du Département seraient beaucoup mieux exercées à l'échelon d'un centre communal d'action sociale qu'à l'échelon métropolitain strict.

Autrement dit, si un jour la Métropole recevait ces compétences, elle aurait tout intérêt à la subdéléguer à l'échelon communal, du moins quand la commune a la capacité d'avoir une action sociale, sinon il faudrait développer une solution intercommunale de secteur. Néanmoins, je regrette que les sondés n'aient pu s'exprimer au sujet de l'échelon intercommunal, qui est un échelon de modernité. Très discuté en milieu rural, à travers l'application controversée et forcée de la loi NOTRe avec des regroupements de communes parfois mal vécus, les intercommunalités ont très bien marché en milieu urbain. Cet échelon apporte un plus que l'échelon communal seul n'était pas capable d'amener.

Les intercommunalités doivent-elles être renforcées au détriment des communes ?

Il ne faut pas être dogmatique. On ne peut pas concevoir l'intercommunalité en milieu urbain comme on la conçoit en milieu rural. Soyons nuancés et souples. En milieu urbain, l'échelon intercommunal permet de mettre de la cohérence dans les politiques publiques et de conduire des stratégies de développement économique, social et urbanistique à la bonne échelle. Pour autant, je ne plaide pas en faveur de la disparation de la commune car, sur de nombreuses questions, c'est l'échelon qui donne de la proximité au quotidien comme l'école, la crèche, la propreté ou la vie du quartier. Si tout cela devait être piloté par une Métropole, cela serait une erreur.

Concernant la fiscalité locale, les Français sont partagés sur un dilemme, celui de payer plus d'impôts contre davantage de services publics ou une baisse de la taxation locale avec moins de services publics. Comment interprétez-vous ces résultats ?

Les Français ne savent pas comment sont financés les services publics. Ils connaissent le prix des impôts qu'ils payent mais ils ne connaissent pas le coût des services dont ils bénéficient. Alors, forcément, l'impôt est mal vécu et contesté. C'est la raison pour laquelle, dans ma contribution personnelle au Grand débat national, j'ai proposé que les services publics fassent systématiquement apparaître sur la facture, au-delà du coût de l'usager, le coût réel du service, afin que ce dernier fasse le lien avec l'impôt local qu'il paie. À Toulouse, nous sommes la ville la plus dynamique de France en terme de création de places en crèche.

Cela coûte très cher. Lorsqu'une famille paie pour que son enfant soit en crèche selon son niveau de revenu, elle paie entre 4 % et 20 % du coût réel. Le reste est pris en charge par la collectivité à travers la mairie et la Caisse d'allocations familiales, qui payent entre 80 % et 96 % du coût réel, mais les citoyens ne le savent pas. C'est pareil pour tout ! Sur les transports, les utilisateurs des transports en commun toulousains aimeraient avoir la gratuité. Seulement, ils ne réalisent pas que, si on enlève 85 millions d'euros de recettes annuelles au financement de l'autorité de transport de l'agglomération toulousaine, cela représenterait 85 millions d'euros d'investissement en moins par an. Les gens sont très facilement contradictoires parce qu'ils peuvent vous dire que le ticket de métro ou de bus est trop cher, mais qu'il n'y a pas assez de bus dans leur quartier. La culture économique des Français est donc bien moindre que leur culture historique et tant qu'on ne dira pas la vérité sur le coût des services public, on aura des contestations fiscales.

À ce propos, la fiscalité locale est en chantier depuis plusieurs mois afin de combler la suppression de la taxe d'habitation. Que suggère France urbaine pour indemniser les collectivités locales impactées par cette suppression ?

La réforme de la fiscalité locale est sur la table depuis un an et elle est enclenchée pour une seule raison, qui est la suppression de la taxe d'habitation. Même si l'État s'est engagé à rembourser le manque à gagner des collectivités concernées, c'est extrêmement coûteux pour lui. Mais ,comme le gouvernement ne veut pas créer de nouvel impôt, il ne peut y avoir que redistribution des impôts existants, ou nouveau partage du produit des impôts existants, et c'est de loin ce qui nous occupe le plus actuellement. Pour remplacer le produit de la taxe d'habitation, France urbaine demande l'affectation de la part départementale de la taxe du foncier bâti [la TFPB]. Aujourd'hui, elle est répartie entre la commune, l'intercommunalité et le Département.

Par souci de cohérence, nous demandons de redistribuer aux deux premières la part départementale de cette TFPB. Si cela se fait, on compensera environ 60 % de la taxe supprimée. Pour compléter, nous souhaitons que soit affectée à l'intercommunalité et à la Région la part départementale de l'impôt économique, la CVAE [cotisation sur la valeur ajoutée], par cohérence avec la loi NOTRe, qui a enlevé toute compétence économique au Département au profit des Régions et intercommunalités.

Si ces deux points sont mis en place, le produit fiscal, perdu avec la suppression de la taxe d'habitation, sera à peu près compensé et, surtout, on reconstitue de l'autonomie fiscale, qui est la grande revendication des communes et des intercommunalités. D'ailleurs, lorsque le président de la République, Emmanuel Macron, était venu parler aux maires de France en novembre 2017 lors du congrès de l'Association des maires de France, il avait annoncé que le déclenchement de cette réforme sur la fiscalité locale avait pour but de redonner de l'autonomie aux communes. Enfin, à France urbaine, nous proposons de compenser les Départements par une fraction de la CSG, qui colle parfaitement avec l'ADN social des Départements. Évidemment, cela implique que l'État se réforme car cela fait une recette fiscale en moins pour lui, mais c'est une fraction. Il faut savoir qu'aujourd'hui, la CSG représente un produit fiscal supérieur à l'impôt sur le revenu.

Si de nouvelles compétences sont confiées aux collectivités locales, en cas de nouvelle étape de décentralisation, il faudra de nouvelles recettes pour elles. Quelles sont les pistes que suggère France urbaine dans le cadre du Grand débat national ?

Nous avons des contributions assez techniques sur ce point. Par exemple, en lien direct avec le mouvement des "gilets jaunes", nous proposons l'affectation aux intercommunalités d'une partie de la Contribution climat énergie. Aujourd'hui, les impôts sur l'énergie sont totalement affectés à l'État, mais 80 % de ce produit fiscal ne sert pas à financer des politiques de transition énergétique, cela va dans le budget général !

Or, en réalité, ce sont les collectivités locales qui mènent toutes les actions de transition énergétique sur le terrain : nous demandons donc au gouvernement de nous donner une partie de cette contribution. Nous nous engageons à ce qu'il n'y ait aucune déperdition et que la totalité de ce produit finance nos actions de développement durable.

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