Comment les entrepreneurs sociaux veulent peser sur l'élection présidentielle

"Mettre du sens dans l'entreprise", c'est l'objectif commun des adhérents au Mouves (mouvement des entrepreneurs sociaux). La Toulousaine Naoile Jouira est responsable du développement de ce réseau national, qui souhaite peser sur l'élection présidentielle. Elle coorganise également l'Impact Investing Tour : des rencontres entre des entrepreneurs et une nouvelle génération d'investisseurs qui comprend les besoins des entreprises sociales. Entretien.
Naoile Jouira, responsable du développement de Mouves

Le Mouves est un réseau d'entrepreneurs. Est-il un réseau politique ?

Le Mouves est un réseau d'environ 600 chefs d'entreprise, dirigeantes et dirigeants en entreprises sociales. Il rassemble également des sympathisants qui ont envie de mettre du sens dans leur entreprise. Parmi ces sympathisants, il y a notamment des personnes qui travaillent dans des grands groupes et entreprises classiques et qui veulent changer les choses de l'intérieur. Le réseau a été créé il y a quelques années par une vingtaine de chefs d'entreprise qui voulaient un réseau décloisonnant, agile et dynamique, et qui puisse représenter leurs besoins et leurs revendications. Nous ne sommes pas un syndicat, mais nous sommes un mouvement militant, certes politique parce que l'on fait du plaidoyer, mais non partisan.

Néanmoins, dans le cadre de la présidentielle, vous tentez de porter la voix des entrepreneurs sociaux. Par quel moyen ?

Oui, nous avons comme mission de porter la voix de ces entrepreneures sociaux. Ce que l'on espère, c'est qu'aujourd'hui les décideurs politiques comprennent vraiment ce que veut dire "entreprise sociale", que l'on ne soit plus obligé de l'expliquer. La lutte contre le chômage peut largement passer par les entreprises sociales, il faut ouvrir les yeux sur les solutions qui existent. En plus, la France est vraiment en avance sur les entreprises sociales. La loi ESS de Benoit Hamon représente une avancée significative que l'on peut encore améliorer. Nous avons donc prévu d'aller voir chaque candidat à la présidentielle pour leur soumettre plusieurs propositions auxquelles les entreprises sociales ont réfléchi depuis septembre dernier. Une de ces propositions est d'associer les entrepreneurs sociaux à la conception et à la réflexion sur les politiques publiques. On ira beaucoup plus vite, et plus loin.

Le Mouves promeut la "lucrativité limitée" des entreprises. Mais sans rentabilité, pas d'emploi...

La rentabilité des entreprises est indispensable, sinon il n'y a pas de poursuite de l'utilité sociale. Ce que l'on entend par lucrativité limitée, ce n'est pas que l'entreprise ne gagne pas d'argent, au contraire, si elle veut survivre et durer, elle a besoin de vendre des produits et services et de pouvoir fonctionner comme une autre entreprise. Une entreprise sociale a exactement les mêmes exigences et contraintes de gestion, de besoin de rentabilité, d'investissements, qu'une entreprise classique. Sauf que sa principale mission est de répondre à un besoin et d'avoir un impact social. Le capital n'est plus une fin, mais un moyen. Cela peut prendre un peu plus de temps, ce sont des entreprises qui se développent un peu plus lentement, mais la durée de vie de ces entreprises est beaucoup plus longue et la création d'emplois est plus importante. L'idée derrière tout ça, c'est que le profit vient servir l'intérêt général.

Les startups prônent la croissance, toujours plus de croissance, c'est la définition même d'une startup. Cela signifie-t-il qu'il n'y a pas de startup sociale ?Il y a bien un antagonisme entre super-croissance et impact social. Néanmoins, il existe des startups qui essaient de concilier leur croissance rapide et l'idée de créer de la valeur sociale, sociétale ou environnementale. Celles-là misent aussi sur tout un univers et un écosystème qui vont aller dans leur sens, et s'appuient sur des investisseurs qui sont sensibles à l'impact social des entreprises qu'ils accompagnent.

Comment sait-on si une entreprise est "sociale" ou pas ?

Il y a quatre critères sur lesquels on s'appuie pour le dire : la lucrativité encadrée citée plus haut, la gouvernance participative et l'utilité sociale et / ou environnementale. Aujourd'hui, c'est justement un besoin fondamental des entreprises sociales : se doter d'outils et d'indicateurs pour pouvoir prouver leur utilité sociale. De nouveaux moyens de financement des entreprises sociales émergent et exigent certains outils pour mesurer son impact. C'est le cas des titres à impact social qui sont en expérimentation en France (social impact bonds : des obligations dont le rendement dépend de l'efficacité des politiques sociales qu'ils financent, NDLR). Cela concerne particulièrement les entreprises qui engagent des salariés en insertion, des personnes qui sont au RSA... Ainsi, des coûts immenses sont évités pour l'État, notamment en termes de chômage ou de RSA.

Y a t-il d'autres indicateurs de l'impact social d'une entreprise ?

Il n'y a pas un outil ou un indicateur. Il y a nécessairement une analyse des attentes des parties prenantes et en particulier des personnes bénéficiant de programmes sociaux. Le retour à l'emploi d'une personne s'accompagne d'autres bienfaits comme le lien social, le bien-être pour soi et sa famille. La méthode de l'"Outcomes Star" (ou "étoile de progression"), basée sur le dialogue, peut évaluer de manière qualitative ces programmes. En matière de santé, la prévention permet avant tout d'éviter l'isolement, la dépendance et de graves maladies, et donc forcément de réduire les coûts de l'État sur ces questions-là. 



Trouvez-vous que l'économie sociale en Occitanie est suffisamment mise en valeur par les pouvoirs publics ?

Ce n'est jamais suffisant ! Mais oui, en Occitanie, il y a beaucoup d'acteurs de l'économie sociale. Dans le Nord-Pas-de-Calais et dans l'Est, par exemple, il y a peu de structures d'accompagnement spécialisées. En Occitanie, il y a Catalis, Alter'incub, Première Brique, le parcours AdreSS... Il y a aussi à Montpellier une structure référente en matière d'ESS, Réalis, qui accompagne beaucoup de startups et entreprises sociales.

Mais l'ESS est encore peu connue et mise en valeur aux yeux du grand public par rapport à une entreprise comme Airbus. Nous voudrions que soit davantage mis en avant le fait que l'on parle d'emploi non-délocalisable et de ressources locales valorisées.

Vous coorganisez, avec Comptoir de l'innovation, l'Impact Investing Tour, qui aura lieu pendant Midinvest, le 22 février à Toulouse. Quel est l'objectif de cet événement ?

Dans le sillage de l'émergence des entreprises sociales, une nouvelle génération d'investisseurs est née. L'idée est de réunir tous les investisseurs et les financeurs à impact social présents au niveau national et au niveau local. D'abord pour faire connaître les entreprises sociales du territoire, des pépites sociales qui ne sont pas dans les radars des financeurs. Ensuite, pour avoir un tronc commun de connaissances sur "l'impact investing" (un terme un peu pompeux mais qui a été choisi au niveau européen pour parler de l'investissement à impact social).Il y aura donc un tour de France, dans 10 villes, avec à chaque fois une journée d'ateliers, d'échanges, pour répondre à toutes les questions des chefs d'entreprise (qui finance ? à quel moment ? dans quel projet ? à quel stade ?...) et nouer des relations avec les investisseurs. Je souhaite que ce tour puisse vraiment avoir des résultats derrière, c'est-à-dire des prises de rendez-vous entre les financeurs et les entrepreneurs. Il y aura aussi à chaque fois une remise de prix, un prix Impact Territoire et Impact Innovation.

Qui sont les investisseurs spécialisés dans l'économie sociale ?

La Nef par exemple, est une banque éthique qui finance uniquement des projets à impact social, environnemental ou culturel. Triodos aussi, une banque basée en Belgique. Le premier fonds d'investissement à impact social est le Comptoir de l'innovation. La Caisse des Dépôts a lancé le fonds NovESS dédié aux entreprises sociales. Il y a aussi les fonds Investir&+,  ou encore 1001Pact.

Lire aussi : Les femmes et l'économie solidaire à l'honneur au Salon de l'Entreprise et Midinvest

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