Startups : "beaucoup frappent aux portes des financeurs, peu repartent avec un chèque"

Quelles différences entre le financement d'une startup et d'une entreprise classique? Qui sont les financeurs de startups ? Expert associé au Centre européen de droit et d'économie de l'Essec (école de commerce), Louis Janicot a écrit une thèse sur "l'obligation d'information de l'investisseur envers le marché". Il était présent lors de la journée de l'innovation du Cnes à Toulouse. Entretien.
Louis Janicot, Expert associé au Centre européen de droit et d'économie de l'Essec

En quoi le financement des startups est différent de celui des autres entreprises ?

La spécificité principale est qu'on n'est pas dans un système de financement traditionnel, c'est-à-dire basé sur le prêt bancaire. La création d'une entreprise est toujours une prise de risque. Mais le business model d'une startup va être amené à évoluer, ce qui représente un risque beaucoup trop grand pour les banques. Cela dit, les choses sont en train de changer car le secteur bancaire est pragmatique. Les banques se disent qu'il est peut-être dommage de passer à côté du prochain Google ou Apple et fournissent aujourd'hui des produits adaptés. Cela dit, selon les étapes de croissance d'une startup, les financements sont différents.

Pouvez-vous spécifier ces différences ?

En incubation, au début de l'histoire d'une startup, le financement se fait essentiellement à travers le love money. Ce qu'on appelle en anglais les 3F (friends, family and fools) ou en français les 3C (copains, cousins et cinglés). Depuis 2000, ce love money s'est beaucoup développé. Ensuite, il y a les aides publiques et les concours. Et, enfin, les incubateurs ou accélérateurs. Il faut d'ailleurs différencier les deux. L'incubateur est un espace permettant aux jeunes entreprise de passer de la simple idée au développement commercial. L'accélérateur, généralement une structure privée, s'implique davantage dans le développement commercial de la startup.

Vient ensuite la période d'amorçage. Quelles sont les sources de financements à ce moment-là ?

En phase d'amorçage, la société n'est pas encore rentable mais c'est une période de dépenses. Les premiers apports en capital arrivent alors, au travers des business angels, des financements publics, des fonds d'amorçages ou du crowdfunding.Il existe trois formes de crowdfunding : don contre don, prêt et equity.

Cependant, en 2014, les business angels représentaient 73 % des fonds européens d'amorçage avec 5,5 milliards d'euros. En France, on compte 10 000 business angels et leur investissement représentait 1,7 ‰ du PIB, contre 2 ‰ en Allemagne, 4,4 ‰ au Royaume-Uni et 4,6 ‰ en Suède.

Quelles sont les autres sources de financement en fonction du développement de la startup ?

On entre ensuite en phase de démarrage, dans du capital-risque au sens strict du terme. On parle là de fonds beaucoup plus conséquents, entre 500 000 euros et plusieurs dizaines de millions. En France, au premier semestre 2016, le capital risque a atteint 1 milliard d'euros avec 296 opérations, soit 33 % de plus qu'au premier semestre 2015. Il faut cependant noter que plus des deux tiers de ces fonds sont destinés au secteur numérique et technologique (Deezer, MedDay, Gecko Biomedical...).

Vient enfin la phase de croissance. Il s'agit là aussi de capital-risque. En France, le secteur est dynamique mais les levées de fonds sont plus modestes qu'ailleurs en Europe. On constate un manque d'internationalisation des acteurs en France. Les affaires Dailymotion et Uber sont mal passées même si les choses sont en train de s'arranger. Il est aussi intéressant de noter que la participation publique est plus importante qu'ailleurs et que les plus grandes levées de fonds françaises se font avec l'aide des fonds publics.

À la sortie, se pose la question de la revente ou de l'entrée en bourse. Je veux toutefois souligner l'importance de protéger et de valoriser le capital intellectuel, notamment au travers de brevet.

Existe-t-il une spécificité pour le financement des startups du secteur spatial ?

Dans le secteur spatial, en 2015, les startups ont levé 1,8 Md$ aux États-Unis (SpaceX et OneWeb essentiellement). C'est un changement car, au début des années 2010, le spatial était perçu comme trop risqué. Les retours sur investissements étaient trop incertains mais certaines success stories portent aujourd'hui le marché. En 2014, Google a racheté Skybox Imaging pour 500 millions de dollars.

Après, en matière de financement, quel que soit le secteur, les startups trouvent les mêmes fonds. La seule différence, dans le secteur spatial, notamment dans les infrastructures, ce sont les coups de R&D énormes et donc les besoins qui en découlent. Les business angels ne sont pas suffisants et c'est là que les fonds de capital-risque ont toute leur place.

En Europe, les capitaux-risqueurs sont-ils aussi attiré par le secteur spatial qu'aux États-Unis ?

Je pense qu'aujourd'hui, les acteurs sont prêts. Cela va se faire dans le moyen terme mais les actions menées par le Cnes et les institutions vont permettre d'attirer les investisseurs. Comme je le disais, la particularité de la France, c'est l'importance du secteur public, au travers de BPI France notamment. Si ces financements sont gérés comme il le faut, cela peut avoir un effet de levier. Et puis, les fonds de capital-risque sont pragmatiques et s'ils voient qu'il y a des succès aux États-Unis, ils n'hésiteront pas longtemps. Mais il faut comprendre qu'il y a un risque énorme dans ces financements et, comme certains fonds de capital-risque sont alimentés par des fonds de pension et que la BPI dispose de fonds publics, il y a aussi une grande responsabilité dans la manière de gérer les fonds.

On a parfois l'impression qu'il faut absolument lever des fonds dès le début pour être crédible auprès du milieu...

C'est vrai que pour les investisseurs, il est toujours plus rassurant d'avoir des sociétés qui lèvent des fonds. Mais on a de plus en plus d'entreprises qui ne lèvent pas de fonds car elles n'en ont pas besoin pour leur développement. Certaines sont aussi plus sélectives sur les fonds qui rentrent au capital. Cela dépend des secteurs. Pour une startup de techno pure et dure, il y a énormément de coûts, donc peu d'alternative à la levée de fonds rapide. La clé pour une startup reste de trouver la stratégie et le business model qui sont les bons, et les fonds suivront.

N'assiste-t-on pas cependant à un effet de mode autour des startups avec certaines entreprises qui lèvent des fonds sans avoir véritablement de business model ou de solution réellement innovante à proposer ?

Dans une startup, le business model évolue tout le temps. Et pour avoir vu de l'intérieur comment les business angels, les fonds de capital-risque ou les fonds publics décident d'investir, cela ne se fait pas sur un coup de dés. Ce n'est pas anodin. Il y a énormément de jeunes qui tapent à la porte des financeurs et peu repartent avec un chèque.

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