
En 2013, le film Gravity met en scène le scénario catastrophe d'un missile détruisant un satellite russe, une opération entraînant par réaction en chaîne une multiplication de débris en orbite. Ce phénomène scientifique connu sous le nom de syndrome de Kessler finit par mettre en danger les personnages principaux du film incarnant des astronautes de la navette spatiale américaine.
Le long-métrage a le mérite de mettre en lumière une problématique majeure pour le secteur spatial dans les prochaines décennies : comment gérer le risque accru de collision en orbite ? D'après l'Agence spatiale européenne, 36.000 débris de plus de dix centimètres encombrent actuellement l'espace. Cette prolifération d'objets en orbite n'est pas près de s'arrêter avec l'augmentation exponentielle d'objets en orbite et les projets de méga-constellations. Elon Musk veut à lui seul envoyer 42.000 satellites pour sa constellation Starlink.
Mieux calculer la probabilité de collision entre deux objets en orbite
Des chercheurs toulousains du LAAS-CNRS ont conçu en collaboration avec Bruno Salvy (directeur de recherche INRIA, au LIP à Lyon) un algorithme capable de calculer plus précisément le risque de collision en orbite.
« Cet algorithme repose sur un modèle probabiliste, autrement dit nous allons évaluer la probabilité de collision entre deux objets ayant une position et une vitesse non-précisément connues, modélisées comme des variables stochastiques, propagées le long de la trajectoire. Cela est illustré par un tube, un halo autour de chaque objet et leur intersection revient à calculer une double intégrale d'une distribution gaussienne sur un disque», vulgarise Denis Arzelier, directeur de recherche au LAAS-CNRS.
Avant d'ajouter : « Le principe même de la méthode fait qu'il y a une grande simplicité des opérations. Nous ne mettons pas en œuvre d'évaluations numériques de fonctions compliquées dans le calcul par rapport à d'autres méthodes utilisées historiquement par exemple par la NASA ».
Au-delà de la simplicité d'utilisation, les chercheurs sont rapidement bluffés par « la précision et la vitesse d'exécution de l'algorithme... capable de livrer en quelques microsecondes la précision demandée par l'utilisateur », relève Mioara Joldes, chargée de recherches au laboratoire toulousain. Actuellement dès qu'il existe une chance sur 10.000 de collision entre deux objets, une alerte est envoyée pour réaliser une manoeuvre d'évitement. Mioara Joldes fait aussi valoir que l'algorithme a l'avantage d'être autonome : « C'est un petit code qui peut être implanté facilement dans n'importe quel langage et qui n'a pas besoin d'outils ou d'autres logiciels extérieurs pour fonctionner. »
Le résultat de leurs travaux de recherches a été publié en 2016 dans Journal of Guidance, Control, and Dynamics, revue de référence au niveau mondial en matière de recherche aérospatiale. Surtout, l'algorithme a été adopté depuis par le CNES, conquis par sa grande fiabilité. « L'algorithme donne de très bons résultats. Il est très simplifié ce qui lui permet de réaliser des calculs rapides mais néanmoins fiables », remarque Jérôme Thomassin, expert en contrôle d'orbite au CNES. Un avantage face aux contraintes colossales des opérations en orbite.
Bientôt des satellites autonomes ?
« Cette méthode permet d'alléger la charge de calcul. Il faut savoir que dans l'espace, nous sommes déjà limités par ce qu'on peut embarquer. Et puis les calculateurs à bord des satellites sont spatialisés. Ils ne sont pas aussi performants que les modèles sur Terre en raison de la robustesse recherchée pour fonctionner dans un environnement très hostile avec des températures extrêmes et des bombardements d'ions lourds », développe l'expert.
Au-delà de l'évitement de collision, le grand projet du CNES est de rendre les satellites autonomes pour rester sur leur trajectoire durant leur mission en orbite.
« Gérer ce risque de collision nécessite des équipes en astreinte 7j/7. Un satellite autonome permettrait d'alléger cette charge opérationnelle et de réagir beaucoup plus vite dans cette situation. Aujourd'hui, les décisions depuis le sol sont prises avec des informations qui ont potentiellement plus de 24 h, voire 48h alors que le satellite, lui, il connaît en temps réel sa position », fait valoir Jérôme Thomassin.
D'autant qu'avec l'essor des constellations, la charge de travail pour les équipes au sol va augmenter de manière exponentielle. « Le sujet des constellations et particulièrement des méga constellations amène ce sujet d'autonomie. Elles nécessitent d'opérer un nombre important de satellites. Soit on multiplie les ressources au sol pour le faire, soit on trouve un moyen de le gérer de manière autonome », ajoute-t-il.
Après des tests concluants au sol, l'algorithme fait désormais partie intégrante du logiciel Asteria (Autonomous Collision Risks Management) développé par le CNES, qui au-delà du calcul de risque de collision, permet de propager les trajectoires des objets en orbite dans le futur et vise à mettre en oeuvre des stratégies d'évitement de manière autonome. Il a été embarqué en juin 2021 à bord d'OPS-SAT, un cubesat. expérimental de l'Agence spatiale européenne (ESA). Les tests ont à nouveau prouvé la fiabilité du programme informatique initié par le LAAS-CNRS.
Pour Denis Arzelier, la clé du succès réside dans l'alliance « de compétences hétérogènes venues du LAAS-CNRS mais aussi du LIP à Lyon à partir d'un problème très théorique qui a trouvé une application directe dans le domaine spatial ». « À l'inverse, parfois ce sont les entreprises qui viennent vers nous avec un problème très pratique qui va déboucher finalement des sujets très théoriques », remarque-t-il. Ces dernières années, une multitude de nouveaux acteurs se sont positionnés sur la surveillance de l'espace ou les opérations en orbite à l'instar de Share My Space ou Aiko, récemment installés à Toulouse. Le laboratoire a également participé à un projet collaboratif financé par le CNES et impliquant les partenaires industriels Thales Services et Thales Alenia Space sur le thème de la gestion des risques de collisions dans l'espace avec l'essor des constellations, un domaine dans lequel tout reste à faire dans les années à venir.
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