
LA TRIBUNE - En quoi la quantique va bouleverser la filière spatiale ?
MATHIAS VAN DEN BOSSCHE - Les technologies quantiques ne vont pas bouleverser uniquement le spatial mais le monde tout court. Nous sommes à la veille d'une deuxième révolution quantique. La première étant celle qui a amené l'industrialisation de l'électronique et du laser il y a 50 ans.
Il existe actuellement trois technologies quantiques émergentes : l'ordinateur, les communications et les capteurs quantiques. Thales est impliqué dans deux de ces domaines. Nous laissons la fabrication d'ordinateurs quantiques à Google ou IBM, déjà positionnés sur ces enjeux. En revanche, Thales fait des recherches sur les capteurs quantiques qui peuvent prendre diverses formes : des horloges atomiques, des accéléromètres à atomes froids, des capteurs supraconducteurs ou qui utilisent des impuretés dans les diamants. Ces capteurs permettent de mesurer des champs électromagnétiques avec une précision bien plus bien plus forte que ce que nous faisons jusqu'à présent. Ce sont les équipes de Thales à Palaiseau qui s'y intéressent plus particulièrement.
Du côté de Thales Alenia Space à Toulouse, nous nous positionnons sur les communications quantiques avec deux types de services. Premièrement, la physique quantique permet de générer des chaînes de nombres aléatoires à distance sans les échanger, de manière à ce qu'elles soient totalement confidentielles. Il est donc possible de développer des clés de chiffrement pour sécuriser les communications de manière extrêmement forte.
Le deuxième service, ce sont les réseaux d'information quantique. Il s'agit d'une façon de mettre en réseau des ordinateurs ou des capteurs quantiques afin de construire des instruments de mesure ou de calcul très performants. En reliant deux capteurs, il est possible de créer des méga capteurs. De manière analogue, en reliant deux ordinateurs quantiques, nous pouvons constituer un méga ordinateur quantique. Ce réseau sera doté d'une puissance de calcul encore plus forte que ce que l'on peut faire avec les ordinateurs quantiques isolés. De quoi permettre de résoudre des problèmes scientifiques insolubles à l'heure actuelle avec des ordinateurs classiques.
Thales contribue notamment au projet européen EuroQCI qui vise à déployer un tel réseau sécurisé par le quantique. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Les technologies quantiques ont été entièrement inventées en Europe entre 1995 et 2010. Pour autant, aujourd'hui les Chinois ont pris une avance significative sur nous (une équipe de chercheurs chinois a annoncé en janvier dans la revue Nature avoir mis sur pied un réseau de communication quantique rassemblant 150 utilisateurs, ndlr).
La Commission européenne a décidé de prendre le problème en main pour créer un vrai système de communication complet qui nous remettrait au niveau des Chinois. Le but de cette infrastructure est de placer l'Europe à nouveau en première ligne sur les communications quantiques. Le projet a à la fois un volet spatial et un volet terrestre. Thales est impliqué sur les deux aspects.
Qui pourrait bénéficier de ces communications ultra sécurisées grâce aux technologies quantiques ?
Les premiers usagers seraient les gouvernements. Les communications quantiques pourraient servir à sécuriser les échanges entre les bureaux de la Commission européenne, entre des ambassades de pays membres et des ministères des Affaires étrangères, des relations entre les gouvernements des États membres. Le deuxième niveau d'usage, c'est de sécuriser des communications internes, des infrastructures critiques européennes par exemple des réseaux de distribution d'électricité et de contrôle du trafic aérien, les systèmes de santé, les banques. Plus tard, puisque cela prendra du temps pour passer sur un marché de masse, la technologie quantique permettrait de sécuriser les communications entre les particuliers et les banques par exemple.
D'autres usages auxquels nous n'avons pas pensé émergeront sûrement dans les 50 ans à venir. Les inventeurs d'Internet dans les années 60 voulaient juste échanger des fichiers entre ordinateurs. Et puis sont apparus les mails, le web, les réseaux sociaux, etc.
Et à quelle échéance il faudra s'attendre à l'arrivée des communications quantiques ?
La première étape est de faire des démonstrations de satellites de clés quantiques dans les trois à quatre ans qui viennent. Il faudra deux ou trois ans de plus pour atteindre un service opérationnel de ces clés quantiques. Et puis ensuite, il y aura les réseaux d'information quantiques où là aussi il faudra lancer des démonstrateurs avant la mise en service opérationnelle. En résumé, ces technologies vont arriver en opération dans les 15 années qui viennent.
La France peut-elle encore gagner la bataille du quantique ?
Nous sommes bien placés même si nous avons des concurrents ailleurs en Allemagne et en Autriche. Mais l'important est que nous ayons un vrai soutien et nous comptons notamment beaucoup sur le plan quantique annoncé par le gouvernement (qui a annoncé courant janvier un plan à 1,8 milliard d'euros, ndlr) pour nous maintenir au niveau.
Dans le Sud-Ouest, la création de l'Institut quantique occitan a été annoncée il y a quelques semaines. Que peut vous apporter cette collaboration avec les chercheurs ?
En tant qu'industriel, nous avons exprimé nos besoins pour résoudre certains problèmes qui relèvent de la recherche. Par exemple, il est nécessaire de travailler sur la question des mémoires qui permettront de stocker de l'information quantique. Ce type de travaux permettrait de mieux développer ensuite les communications quantiques.
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