Comment l'aéroport de Toulouse veut exploiter les données des passagers

Face à un trafic en pleine croissance, les aéroports du monde entier testent de nouvelles technologies pour réduire les temps d'attente, tout en maintenant un haut niveau de sécurité. Après la biométrie, place aujourd'hui à des algorithmes d'intelligence artificielle et à de la reconnaissance faciale. Mais que deviennent toutes ces données collectées sur les passagers ? À l'occasion d'une conférence organisée à Toulouse le 22 novembre, des experts de l'aéroport de Toulouse et une ancienne avocate de la Cnil ont débattu des opportunités économiques de l'IA dans les aéroports, mais aussi de ses répercussions sur la vie privée des usagers.
L'aéroport de Toulouse utiliser les données des voyageurs pour gérer les temps d'attente.
L'aéroport de Toulouse utiliser les données des voyageurs pour gérer les temps d'attente. (Crédits : Rémi Benoit)

"Je me souviens un jour avoir atterri à l'aéroport de Munich (Allemagne) et j'ai reçu sur mon portable un message 'push' pour me donner le plan du bâtiment. J'étais ravie car je ne connaissais pas les lieux, mais en même temps je n'avais rien demandé. On peut considérer que cela empiétait un peu sur ma liberté", fait remarquer Amélie Leclercq, directrice générale du cluster toulousain Digital Place, à l'occasion des Assises aéronautiques du développement durable qui se sont tenues à l'Enac, le 22 novembre dernier. Cette anecdote illustre les enjeux liés à l'utilisation des données des passagers.

L'aéroport de Toulouse veut exploiter l'IA

Depuis quelques années désormais, les aéroports collectent de plus en plus de data sur les voyageurs. L'objectif initial est de réduire les temps d'attente malgré un trafic aérien en forte croissance. Ainsi, l'aéroport de Toulouse-Blagnac a l'ambition depuis l'arrivée dans son capital d'actionnaires chinois de passer de 10 à 18 millions de passagers d'ici 2046. Pour gérer au mieux ces nouveaux flux, la plateforme utilise depuis juin 2015 un logiciel à partir des scans des billets. Ces scans, couplés aux informations personnelles fournies lors de l'achat du billet, sont une mine d'or pour l'aéroport. La plateforme est capable de savoir en temps réel combien de passagers se trouvent aux aux postes d'inspection filtrage des bagages, dans les différents halls d'embarquement, etc.

L'analyse prédictive de ces données permet alors d'adapter le nombre d'agents aux postes d'inspection des bagages, aux contrôles de police, mais est également utilisée avec les compagnies aériennes pour gérer les parkings avion. Les commerces de la galerie s'en servent par ailleurs pour anticiper la fréquentation de leur boutique. À présent, l'aéroport veut aller plus loin.

"Nous voulons nous appuyer sur l'intelligence artificielle pour alléger le travail de nos agents qui doivent analyser cette masse de données. Pour les décisions les plus simples, la machine pourrait trancher, laissant les analystes s'atteler à des tâches plus complexes. Par exemple, plusieurs avions arrivent en même temps sur le tarmac, bouleversant le programme, la machine peut arbitrer.

En revanche, l'humain reste essentiel lorsqu'il est nécessaire de mobiliser un jugement de valeur. Ainsi, quand plusieurs avions arrivent en retard et débordent sur le planning de nuit. Cela peut provoquer du bruit pour les autour de l'aéroport. C'est à un agent de prendre la décision de faire ou non atterrir l'avion", avance Laurent Verbiguié, responsable "information technology" au sein de l'aéroport toulousain.

Un parking dont le prix varie en fonction de l'affluence ?

L'autre piste de réflexion est de "mettre en commun les données de l'aéroport et des boutiques de l'aéroport dans le courant de l'année 2019". "Les commerçants ne savent pas qu'un avion est en retard, de la même manière que l'aéroport ignore si les boutiques sont en mesure de faire face à la fois en terme de stocks et d'effectifs à un afflux de passagers. Il ne faut pas oublier que 60% du chiffre d'affaires de l'aéroport est généré par les activités extra-aéroportuaires", poursuit-il.

Derrière la simple gestion de la fréquentation, les données représentent de nouvelles sources de revenus pour les plateformes aéroportuaires. Ainsi, l'aéroport de Toulouse envisage de faire fluctuer le prix de ses parkings en fonction de l'affluence.

"Nous proposons aux voyageurs de réserver une place de parking. On peut imaginer rendre le prix attractif si le taux de réservation est bas et inversement l'augmenter si la fréquentation est élevée".

La reconnaissance faciale pour embarquer plus vite ?

La reconnaissance faciale est autre axe de développement testé par les aéroports du monde entier en mobilisant les données des passagers. Cette technologie est aussi utilisée de plus en plus en Chine dans les lieux publics.

"Nous avons, par exemple, déployé pour Boston et Orlando des systèmes de reconnaissance d'images en 3D. Cela peut se faire en zone d'enregistrement, une photo est prise pour être enregistrée dans le système qui peut reconnaître le passager par la suite. Le voyageur n'a ensuite plus besoin de sortir sa carte d'embarquement et sa pièce d'identité. Bientôt, il sera possible de s'enregistrer dans la base via une application mobile en y joignant un selfie", assure Sébastien Fabre, vice-président de Sita aéro qui intègre ces technologies dans les aéroports.

Pour autant, l'avocate Delphine Carnel qui a travaillé pour la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) avant de fonder une société de conseil aux entreprises baptisée DildataK, alerte sur un risque d'empiétement sur les libertés fondamentales.

"Il peut y avoir des usages détournés de la reconnaissance faciale. Par exemple, si un groupe comme Starbucks a une boutique dans un aéroport, elle peut faire remonter vos données au siège et les réutiliser dans les enseignes du groupe pour vous envoyer par exemple une publicité quand vous passez à proximité d'une de leurs enseignes. C'est une incursion sournoise et une forme d'enrôlement contraint", estime-t-elle.

Reste à voir si les citoyens préfèrent bénéficier de services commerciaux ou préserver leurs données personnelles...

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