À quel point pensez-vous que l'intelligence artificielle va bousculer le monde du travail ?

Calum Chace : Je pense que certaines personnes vont continuer à travailler pendant longtemps mais la plupart des métiers actuels seront bientôt réalisés de manière plus efficace, plus rapidement et à moindre coût par des machines. Par exemple, il y a cinq millions de chauffeurs aux États-Unis : à l'arrivée des véhicules sans chauffeurs, il est difficile d'imaginer comment tous ces gens vont continuer à travailler. C'est la même chose pour les centres d'appels téléphoniques, les boutiques (le e-commerce prend une ampleur grandissante) ou encore les entrepôts (certaines machines sont capables de déplacer une boîte d'un endroit à l'autre). Mais l'intelligence artificielle ne va pas avoir uniquement un impact sur les postes peu qualifiés et manuels, elle va bousculer aussi les métiers intellectuels.

Avez-vous quelques exemple de métiers intellectuels qui pourraient être touchés par l'IA ?

Les cabinets d'avocats arrêteront d'embaucher de jeunes collaborateurs puisque bientôt les machines pourront réaliser mieux qu'eux leurs tâches. Le travail des avocats est de lire beaucoup de documents (comme des contrats ou des emails) pour repérer quelque chose d'incorrect ou une preuve qu'ils peuvent utiliser dans la procédure. Les robots ne peuvent pas comprendre ce qu'ils lisent mais ils peuvent aujourd'hui déjà synthétiser l'information utile. Il existe déjà des cabinets d'avocats qui utilisent ces technologies pour analyser les documents. Il en sera de même pour les activités de comptabilité ou de banque. UBS (plus grande banque de gestion de fortune dans le monde, NDLR) a indiqué la semaine dernière que les effectifs allaient diminuer de 30%.

Il faut aussi garder en tête une chose : les robots doublent leurs capacités en 18 mois. Si aujourd'hui les machines réalisent des tâches plutôt basiques, leurs compétences seront décuplées dans 10 ans et elles seront amenées à réaliser des tâches beaucoup plus sophistiquées.

Qu'en sera-t-il de l'activité journalistique ?

Il existe déjà des milliers d'articles réalisés par des robots, comme des comptes-rendus de résultats sportifs ou sur la bourse. À partir des données, les machines créent un article : le lecteur ne voit pas la différence avec un article rédigé par un journaliste et le robot le produit beaucoup plus vite. De même, certains genres de littérature comme les thrillers ou les romans d'amour seront écrits d'ici 10 ans par des robots. Mais il faudra encore attendre avant que le prix Pulitzer ou le Nobel de littérature soient remportés par une machine. Il y aura toujours des journalistes d'investigation ou des romanciers mais la plupart des gens de notre génération seront inemployables à cause de l'intelligence artificielle. Ils ne pourront plus continuer leur activité : ils ne disposeront pas de compétences que n'auront pas déjà les robots.

Comment pourront vivre tous ces gens considérés comme "inemployables" ? Êtes-vous en faveur d'un revenu universel ?

Peut-être que je me trompe mais je ne pense pas que le revenu universel puisse compenser la perte d'emplois avec l'arrivée des robots. Pour moi, la solution serait que les besoins de base soient accessibles à des prix très bas. ll serait par exemple possible d'utiliser des robots dans les champs pour produire une alimentation sans pesticides à faible coût. De la même manière, s'il n'y a pas besoin d'humains pour conduire les transports en commun, leur prix sera très bas. Il faudrait aussi taxer la minorité de personnes qui travaillent et ceux qui tirent des revenus de l'intelligence artificielle.

Comment expliquez-vous que les bouleversements attendus avec les progrès de l'intelligence artificielle soient peu pris en compte par les responsables politiques ?

Effectivement, l'intelligence artificielle fait l'objet d'études depuis de nombreuses années mais il a fallu beaucoup de temps afin que cela devient un sujet majeur de débat. C'est au moment où l'intelligence artificielle a fait des progrès remarquables à partir de 2012 qu'on a commencé à en réaliser la portée. Mais les géants du web comme Google ou Microsoft ne veulent pas croire à cette disparition massive d'emplois pour la simple et bonne raison que ce serait avouer qu'ils vont conduire notre civilisation au bord d'une falaise.